Cessions de terres du Haut-Canada et les traités Williams (1764-1862/1923)
Cessions des terres du Haut-Canada (1764-1862)
Après des années de conflit en Amérique du Nord entre les Britanniques et les Français, le Traité de Paris a été signé le 10 février 1763. En vertu de ce traité, la France cédait à la Grande-Bretagne ses prétentions sur les territoires coloniaux en Amérique du Nord, notamment l'Acadie, la Nouvelle-France, les terres intérieures des Grands Lacs et la vallée de l'Ohio et du Mississippi. Reconnaissant les limites de leurs revendications, les administrateurs britanniques comme le surintendant des Affaires indiennes, Sir William Johnson, croyaient que le développement fructueux des colonies britanniques dépendait de relations stables et harmonieuses avec les Autochtones.
Le 7 octobre 1763, la Grande-Bretagne a adopté une proclamation royale pour orienter l'administration des colonies. Le document de grande portée traitait de l'administration des nouvelles provinces du Québec et de la Floride, indemnisait les soldats pour leur participation à la guerre de Sept Ans et établissait une frontière occidentale pour les colonies. La Proclamation royale prévoyait aussi que le nouveau Département des Indiens était le point de contact principal entre les Autochtones et les colonies et que seule la Couronne pouvait acheter des terres aux Autochtones. Ceci visait à faire cesser l'empiètement généralisé des colonies sur les terres des Autochtones et à maintenir des relations stables et harmonieuses.
La première cession de terres en vertu des protocoles de la Proclamation royale a été conclue entre Sir William Johnson du Département des Indiens et les Sénécas, un groupe membre de la puissante confédération des Six Nations/Haudenosaunee. En 1764, les Sénécas ont négocié un traité avec les Britanniques, lequel accordait aux Britanniques le libre accès à deux milles de chaque côté de la rivière Niagara à des fins de communication et de déplacement entre les lacs Érié et Ontario. La cession de terres ne constituait qu'une partie de la conférence de Niagara, qui visait à renouveler les alliances, à restaurer les échanges interrompus par la guerre et à renforcer la présence des Britanniques dans le bassin des Grands Lacs. Trois autres cessions de terres ont été conclues entre le Département des Indiens et les collectivités autochtones entre 1764 et 1783. Ces cessions concernaient de très petites parcelles de terres et étaient davantage axées sur la sécurité et le commerce que sur les colonies.
Le déclenchement de la guerre d'Indépendance américaine, suivi de la reconnaissance des États-Unis d'Amérique en 1783, a eu de profondes répercussions sur la relation entre la Couronne britannique et ses alliés autochtones. La perte des colonies américaines a entraîné l'arrivée de quelque 30 000 Loyalistes de l'Empire-Uni, qui se sont réfugiés dans les colonies britanniques restantes en Amérique du Nord. Ces réfugiés ont demandé aux administrateurs des colonies de nouvelles terres pour les colonies. Les colons n'étaient pas les seuls réfugiés : les Autochtones qui s'étaient battus aux côtés des Britanniques avaient aussi été dépossédés par la guerre. En guise de réponse, une série de traités de cession de terres ont été négociés entre les agents du Département des Indiens et les Anishinaabe vivant sur les rives du fleuve Saint-Laurent et des Grands Lacs inférieurs. Entre 1783 et 1812, 15 traités de cession de terres ont été conclus dans la péninsule du Haut-Canada. Étant donné qu'elles précédaient l'arrivée des colons dans la région, les cessions de terres établissaient de façon pacifique une colonie agricole dans la région et aidaient la Couronne à indemniser ses alliés autochtones pour les pertes subies durant la guerre contre les Américains. Les conditions des traités négociés au Haut-Canada étaient relativement simples. Les documents décrivaient les groupes concernés par les cessions, la superficie des terres cédées et les indemnisations qui allaient être versées aux Autochtones. Avant 1818, les Autochtones étaient indemnisés au moyen de paiements uniques en marchandises ou en argent, ou au moyen des deux, versés aux signataires au moment de la conclusion des traités. Ces traités n'établissaient pas toujours les terres de réserve pour les Autochtones.
Dans la période suivant la guerre de 1812, des immigrants européens sont venus en nombres de plus en plus importants au Haut-Canada pour se joindre aux premiers colons loyalistes. Compte tenu de l'établissement d'une paix durable entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, les Autochtones ont commencé à perdre leur influence sur les représentants britanniques et, au fur et à mesure que des immigrants arrivaient, le rythme des cessions de terres augmentait afin que les colonies disposent de terres agricoles. Les traités conclus entre 1815 et 1860 incluaient toutes les autres terres du Haut-Canada, des terres agricoles fertiles au sud du lac Huron jusqu'aux terres riches en ressources entourant le lac Supérieur et la baie Georgienne.
Puisque les nouvelles politiques britanniques étaient axées sur l'idée de convertir le mode de vie des Autochtones, les agents des Indiens ont transformé leurs rôles; autrefois, ils établissaient des alliances militaires avec les Autochtones, et à ce moment, ils les encourageaient à abandonner leur style de vie traditionnel pour adopter un style plus sédentaire et axé sur l'agriculture. Le Département des Indiens est devenu le vecteur de mise en œuvre du nouveau plan de « civilisation » dans les colonies du Haut et du Bas-Canada. Après 1818, les administrateurs britanniques ont opté pour un paiement annuel, ou une annuité, afin de réduire les dépenses initiales liées à la conclusion de traités. Les annuités pouvaient être financées par les revenus provenant de la vente des terres cédées. Le Département des Indiens utilisait les annuités pour créer des collectivités agricoles aux fins de l'établissement des Autochtones. Les annuités ont servi à financer la construction d'habitations et l'achat d'instruments et de bétail pour l'agriculture.
Vers 1830, il ne restait que quelques parcelles de terres non cédées appartenant aux Premières Nations dans le Haut-Canada. En 1836, un traité négocié par Sir Francis Bond Head, le lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, a établi sur l'île Manitoulin, dans la baie Georgienne, une réserve pour la population des Premières Nations dépossédée. On devait encourager cette population dépossédée à s'installer sur l'île, où elle serait écartée et préservée des volets les plus dangereux de la société coloniale, c'est-à-dire l'alcool et la prostitution. Toutefois, peu de Premières Nations se sont installées sur l'île Manitoulin.
Au fur et à mesure que les colons utilisaient les terres, un nouvel intérêt pour la cession des terres de la péninsule de Saugeen (aujourd'hui connue sous le nom de péninsule Bruce) et de l'île Manitoulin a vu le jour dans les années 1850 et 1860. Au cours des années 1850, le Département des Indiens a essayé à plusieurs reprises de vendre ces terres, ce qui a abouti au Traité Saugeen, en 1854, et à un traité cédant la plus grande partie de l'île Manitoulin, en 1862. Jusqu'à la création de la Confédération du nouveau Dominion du Canada en 1867, presque toute la masse terrestre de la province de l'Ontario avait été cédée par un traité.
Traités Williams (1923)
Entre 1764 et 1862, voulant obtenir une bande continue de colonisation le long du fleuve Saint-Laurent et des Grands Lacs inférieurs, des représentants coloniaux ont négocié un certain nombre de traités de cession de terres avec des groupes autochtones de la région. Lorsque la Confédération a été déclarée en 1867, il était largement entendu que ces terres de la province de l'Ontario avaient toutes été cédées sur le plan juridique à la Couronne par le biais de traités. Dans les années 1910 cependant, des inquiétudes ont été soulevées au sujet des traités qui posaient problème et concernant le fait que le traité ne portait pas sur toutes les terres du Centre de l'Ontario.
En fait, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, les Chippewas de la région du lac Simcoe et les Mississaugas de la rive nord du lac Ontario s'étaient plaints que certains traités conclus durant la période coloniale posaient vraiment problème étant donné qu'ils contenaient des descriptions faussées, des documents incomplets et des fautes de paiement. En outre, il semble qu'une grande parcelle de terres dans la région de Muskoka et du cours supérieur de la rivière des Outaouais n'avait été incluse dans aucun traité de cession de terres du Haut-Canada. Ces plaintes ont été ignorées jusqu'en 1916, moment où le ministre fédéral de la Justice a nommé R.V.Sinclair pour faire enquête sur cette question. L'un des principaux enjeux mentionné étaient les revendications possibles des Chippewas du lac Simcoe concernant les terres du sud cédées au moyen du Traité Robinson-Huron de 1850, qu'ils n'avaient pas signé. Sinclair a conclu qu'il existait plusieurs problèmes concernant les traités existants, et que certaines terres n'avaient jamais été complètement cédées à la Couronne.
En 1921, le gouvernement fédéral est allé voir le gouvernement de l'Ontario en ce qui concerne les revendications autochtones, et un an et demie plus tard, les deux ordres de gouvernement avaient établi un accord de procédure pour régler la question. L'accord réclamait la nomination d'une commission comportant trois membres, c'est à dire l'avocat du ministère des Affaires indiennes, A.S. Williams en tant que président, R.V. Sinclair, dont l'expérience concernant la question datait de 1916, et Uriah McFadden, avocat de Sault Ste. Marie. Ils avaient pour but était d'enquêter les revendications et, s'ils le jugeaient approprié, de négocier une entente avec les Autochtones concernés.
Dans son compte rendu de 1923, la Commission Williams a révélé que les revendications des Autochtones n'étaient pas valides et étaient beaucoup plus importantes que celles qui avaient été suggérées par l'enquête Sinclair de 1916. Étant donné que les deux gouvernements concernés avaient été soudainement confrontés à un rapport qui ne validait pas seulement les revendications pour la partie centrale de la province, mais qui vérifiait aussi d'anciennes revendications pour des terres sur la rive nord du lac Ontario et une parcelle de terrain considérable au sud du lac Simcoe, ils se sont dépêchés à supprimer les titres autochtones sur ces régions. Les terres en question étaient aussi utilisées par le gouvernement pour la colonisation et l'exploitation des ressources naturelles. Puisqu'une partie du territoire avait probablement été acquise par le gouvernement plus d'une décennie auparavant, il a été décidé que de nouvelles ententes de cession de terres soient conclues en raison de la documentation relative aux ententes initiales qui posait problème.
Demandant à Williams de terminer le processus entamé, la Commission a négocié deux traités distincts, connus sous le nom de Traités Williams – l'un d'eux concernait les terres entre la baie Georgienne et la rivière des Outaouais et l'autre, les terres sur la rive du lac Ontario et celles se rendant jusqu'au lac Simcoe; ils ont été signés respectivement le 31 octobre et le 21 novembre 1923. Dans le cadre des Traités Williams, les signataires des Premières Nations ont cédé leurs droits et leur titre sur les terres en question, y compris leurs droits de chasser et de pêcher. L'entente signée le 31 octobre 1923 concernait les revendications existantes des groupes du lac Simcoe ayant des revendications de titres non réglées sur les terres de Muskoka et du cours supérieur de la rivière des Outaouais, ainsi que toute revendication sous-jacente sur les terres cédées par le Traité Robinson-Huron de 1850. Dans l'intervalle, le traité du 21 novembre 1923 concernait les terres touchées par certaines des ententes qui posaient le plus problème datant des années 1780.
En plus des paiements initiaux et des annuités en vigueur, les traités conservaient les réserves existantes des bandes signataires, mais ne prévoyaient pas de nouvelles terres de réserve. Les Traité Williams s'écartaient de pratiques existantes, comme dans les premiers traités, notamment les Traités Robinson (1850) et les Traités numérotés. Alors que ces traités établissaient des droits permanents de chasser et de pêcher, à de nouvelles terres de réserve et à des annuités annuelles, les Traités Williams ressemblaient davantage aux traités de cession de terres du Haut-Canada, en ce sens qu'ils prévoyaient des paiements en argent, peu de réserves, le cas échéant, et la cession de tous les droits.
Cela ne constituait pas seulement l'abandon d'une pratique établie, mais cela créait des problèmes potentiels. Près de la moitié de la superficie du territoire visé par le traité du 31 octobre chevauchait le territoire concerné par le Traité Robinson-Huron, ce qui avait mené à un ensemble de droits différents sur les mêmes territoires puisque le Traité Robinson-Huron reconnaissait le droit permanent de chasser et de pêcher dans toute la région.
Selon le premier ministre de l'Ontario Howard Ferguson, qui parlait de l'avenir des Traités Williams, on s'était occupé de chaque tribu qui pouvait avoir une revendication à soumettre au gouvernement des « hommes blancs ». En bout de ligne, les Traités Williams ont assuré la cession de la dernière partie substantielle de terres du sud de l'Ontario qui n'avait pas déjà été cédée au gouvernement. La conclusion des Traités Williams en 1923 a marqué la cession à la Couronne de presque toutes les terres autochtones restantes – seules deux petites parcelles de terres n'étaient pas cédées. Elle a également marqué la fin du long processus de conclusion de traités entamé en 1763.