Points Saillants du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones

À l'aube d'un rapprochement

Table des matières

Avertissement

Le présent ouvrage résume quelques-uns des principaux thèmes et conclusions du rapport final de la Commission royale sur les peuples autochtones. Ce rapport constitue un énoncé complet des opinions de la Commission sur les questions aussi nombreuses que complexes soulevées dans le mandat en 16 points établi par le gouvernement du Canada en août 1991, ainsi que des solutions qu'elle propose.

Il n'a pas été possible de présenter ici la totalité de l'information, des analyses, des mesures proposées et des recommandations contenues dans le rapport. Chacun des cinq volumes composant ce rapport présente les vues et les recommandations de la Commission sur toute une gamme de questions reliées entre elles. Les chapitres sont consacrés aux grands sujets tels que les traités, le développement économique, la santé, le logement, les Métis et le Nord. Le volume 5 intègre toutes les recommandations dans un programme structuré de changement. Les titres des cinq volumes sont les suivants :

  1. Un passé, un avenir
  2. Une relation à redéfinir
  3. Vers un ressourcement
  4. Perspectives et réalités
  5. Vingt ans d'action soutenue pour le renouveau

Les cinq chapitres du présent ouvrage correspondent aux cinq volumes du rapport.

Quelques observations des commissaires

Le Canada est le terrain d'essai d'une noble idée – l'idée selon laquelle des peuples différents peuvent partager des terres, des ressources, des pouvoirs et des rêves tout en respectant leurs différences. L'histoire du Canada est celle de beaucoup de ces peuples qui, après bien des tentatives et des échecs, s'efforcent encore de vivre côte à côte dans la paix et l'harmonie.

Cependant, sans justice, il ne peut y avoir ni paix ni harmonie. C'est pour aider à rétablir une relation fondée sur la justice entre autochtones et non-autochtones au Canada, et pour proposer des solutions concrètes à des problèmes difficiles à résoudre, que la Commission royale sur les peuples autochtones a été établie. En 1991, quatre commissaires autochtones et trois commissaires non autochtones ont été chargés d'étudier les problèmes qui se posaient et de soumettre leurs conclusions au gouvernement.

Nous avons axé nos consultations sur une question primordiale : quels sont les fondements d'une relation équitable et honorable entre autochtones et non-autochtones au Canada?

Sans justice, il ne peut y avoir ni paix ni harmonie.

Nous avons tenu 178 jours d'audiences publiques, rendu visite à 96 collectivités, consulté des dizaines d'experts, commandé des quantités d'études, examiné les conclusions de plusieurs enquêtes et parcouru toutes sortes de rapports. Notre conclusion essentielle peut se résumer en quelques mots : c'est une mauvaise ligne de conduite qui a été suivie pendant plus de 150 ans par les gouvernements coloniaux et par les gouvernements canadiens ultérieurs.

Les gouvernements successifs ont tenté – parfois intentionnellement, parfois par simple ignorance – d'assimiler les autochtones dans la société canadienne et d'éliminer tout ce qui en fait des peuples distincts. Au fil des années et des décennies, les politiques ont miné et presque anéanti les cultures et les identités autochtones.

C'est là de l'assimilation. Mais cette négation des principes de paix, d'harmonie et de justice si chers à notre pays s'est soldée par un échec. Les peuples autochtones demeurent différents et fiers de l'être.

Les politiques d'as similation ont échoué parce que les autochtones ont le secret de la survie culturelle. Ils sont conscients de former des peuples possédant un patrimoine unique et ayant le droit à la continuité culturelle.

C'est cela qui les amène à dresser des barrages routiers, à protester devant les bases militaires et à occuper des terres sacrées. C'est cela qui les fait résister au suicide culturel auquel les convie la société eurocanadienne lorsqu'elle les pousse à s'assimiler au nom de l'égalité et de la modernité.

Les politiques d'assimilation ont fait un mal énorme; elles ont eu un effet destructeur sur les autochtones, leurs familles et leurs collectivités. L'âme et l'esprit du Canada en ont tout autant souffert, cet esprit de générosité et d'accommodement dont s'enorgueillissent les Canadiens.

Pourtant le mal n'est pas irréparable. Le secret consiste à prendre le contre-pied des principes d'assimilation qui déterminent et restreignent encore les chances de réussite des autochtones – malgré certaines réformes valables dans l'administration des affaires autochtones.

Pour déclencher ce changement fondamental, il est indispensable que les Canadiens comprennent que les peuples autochtones sont des nations. C'est-à-dire qu'ils forment des groupes politiques et culturels dont les valeurs et les modes de vie sont différents de ceux des autres Canadiens. Les autochtones ont vécu au sein de nations – parfois très centralisées, parfois plus ou moins fédérées, parfois organisées en clans – pendant des milliers d'années avant l'arrivée des Européens. Ces nations ont établi des alliances commerciales et militaires entre elles et avec les nouveaux arrivants. Aujourd'hui encore, le sentiment de confiance en soi et de bien-être des autochtones demeure lié à la force de leurs nations. Ce n'est qu'au sein de nations rétablies dans leur intégrité qu'ils pourront réaliser leur potentiel au xxie siècle.

Entendons-nous bien, cependant. Les peuples autochtones sont des nations, mais non pas des États-nations qui cherchent leur indépendance vis-à-vis du Canada. Ce sont des collectivités qui partagent un long passé, qui ont le droit de se gouverner elles-mêmes et qui, en général, ont la ferme intention de le faire comme partenaires du Canada.

Le rapport de la Commission est un compte rendu…

Nous espérons que notre rapport montrera aux autochtones et aux autres Canadiens les nombreux chemins qui s'offrent à eux – dès maintenant – pour réparer cette relation et aborder le prochain millénaire du bon pied, c'est-à-dire en misant sur la reconnaissance, le respect, le partage et la responsabilité.

Commission royale sur les peuples autochtones

Coprésidents
René Dussault, j.c.a.
Georges Erasmus

Commissaires
Paul L.A.H. Chartrand
J. Peter Meekison
Viola Robinson
Mary Sillett
Bertha Wilson

Un passé, un avenir

Après quelque 500 ans d'une relation fondée tantôt sur le partenariat, tantôt sur la domination, fluctuant du respect mutuel et de la coopération au paternalisme et aux tentatives d'assimilation, le moment est venu pour le Canada de jeter les bases d'une coexistence juste et durable avec les autochtones.

Le point de départ

La Commission a cerné quatre grandes raisons d'agir :

  • Le Canada prétend être une société juste et éclairée et doit donc agir en conséquence.
  • La qualité de vie des autochtones, qui demeure déplorable, doit être améliorée.
  • La négociation, menée selon les règles actuelles, n'a pas permis de régler les différends.
  • Des échecs répétés pourraient déboucher sur la violence.

Le Canada, société juste et éclairée

Le Canada a la réputation d'être un pays où les droits et la dignité de la personne sont garantis, où les règles de la démocratie libérale sont respectées, où la diversité des peuples est célébrée. Pourtant, cette réputation n'est pas pleinement méritée.

Une étude attentive de l'histoire de notre pays montre que le Canada s'est construit à partir d'une série d'ententes avec les peuples autochtones – ententes que ce pays n'a jamais pleinement honorées. Les traités entre les gouvernements autochtones et non autochtones étaient des ententes pour le partage des terres. Ces traités ont été remplacés par des politiques destinées à

  • …chasser les autochtones de leurs terres ancestrales;
  • … anéantir les nations autochtones et leurs gouvernements;
  • … miner les cultures autochtones;
  • … étouffer l'identité autochtone.

Il est temps de reconnaître cette vérité et de commencer à rétablir la relation entre les peuples en la fondant sur l'honnêteté, le respect mutuel et un partage équitable. L'image du Canada dans le monde et dans notre pays n'en exige pas moins.

Les bases d'une relation juste et équitable ont été jetées dès les premiers contacts.

La qualité de vie des autochtones

Le troisième volume de notre rapport, Vers un ressourcement, est consacré à l'étude des conditions sociales chez les autochtones. Le tableau présenté est inacceptable dans un pays considéré par les Nations Unies comme le meilleur au monde.

Le niveau de vie des autochtones s'est amélioré au cours des 50 dernières années, mais il est bien loin d'avoir rattrapé celui des autres Canadiens :

  • L'espérance de vie est moindre.
  • Les maladies sont plus répandues.
  • Les problèmes humains, depuis la violence familiale jusqu'à l'alcoolisme, sont également plus répandus.
  • Moins de jeunes achèvent leurs études secondaires.
  • Une minorité d'entre eux entrent au collège et à l'université.
  • Les logements des autochtones sont plus souvent mal construits, insalubres et surpeuplés.
  • Les systèmes d'adduction d'eau et d'égout des collectivités autochtones laissent plus souvent à désirer.
  • Moins d'autochtones ont un emploi.
  • Un plus grand nombre d'entre eux se retrouvent dans les prisons.

Les autochtones ne veulent pas de pitié ni d'aumône. Ce qu'ils veulent, c'est qu'on reconnaisse que tous ces problèmes sont en grande partie dus à la perte de leurs terres et de leurs ressources, à la destruction de leurs économies et de leurs institutions sociales, et à la négation de leurs identités nationales.

Ils cherchent réparation pour ces injustices, mais ce qu'ils veulent surtout, c'est de pouvoir contrôler leurs vies.

Échec des négociations

Une relation aussi complexe que celle qui existe entre les autochtones et les non-autochtones implique nécessairement des négociations. Mais le climat actuel de négociation est trop souvent empoisonné par les conflits, les affrontements, les accusations et la colère.

Dès le départ, il y a antagonisme d'intérêts. Les négociateurs autochtones cherchent à obtenir des ressources et des pouvoirs suffisants pour reconstruire leurs sociétés et exercer leur autonomie gouvernementale – qu'ils considèrent comme un droit et non un privilège. De leur côté, les négociateurs non autochtones s'efforcent de protéger les pouvoirs et les ressources des gouvernements canadiens et traitent les transferts aux collectivités autochtones comme une largesse de leur part.

L'échec fréquent des tentatives d'entente a engendré l'amertume et la méfiance chez les autochtones, le ressentiment et l'apathie chez les non-autochtones.

Dans notre rapport, nous recommandons quatre principes pour renouveler cette relation – pour rétablir un climat positif à la table de négociation – et inscrire ces négociations dans un nouveau cadre politique. Nous examinons les principes de cette démarche à la fin du présent chapitre et le nouveau cadre, au chapitre 2.

« Le Canada peut être un pays diversifié, passionnant, productif et généreux : un pays où tous les enfants peuvent être confiants et enthousiastes face à l'avenir. »

Martha Flaherty, Présidente, Pauktuutit (association des femmes inuit)

Risques de violence

Les autochtones ont clairement montré, par leurs actes comme par leurs paroles, qu'ils n'accepteront plus d'attendre passivement que leurs griefs soient entendus et que leurs droits soient rétablis. Malgré leur longue tradition de paix, certains dirigeants craignent un vent de violence.

« Nous en avons assez des promesses du gouvernement fédéral. Nous en avons assez des commissions. Nous en avons assez de nous faire analyser. Ce que nous voulons, c'est qu'on passe à l'action. »

Norman Evans, Pacific Metis Federation

Ce dont les autochtones ont besoin est clair, sinon simple :

  • contrôler leur existence au lieu d'être soumis au paternalisme bien intentionné mais dévastateur des gouvernements canadiens antérieurs;
  • des terres, des ressources et des gouvernements choisis par eux, qui leur permettront de rétablir l'ordre social, économique et politique;
  • le temps, l'espace et le respect que doit leur accorder le Canada pour permettre la guérison de leurs esprits et la revitalisation de leurs cultures.

Les fantômes de l'histoire

Tous les Canadiens seront gagnants si nous parvenons à nous sortir de l'impasse qui engendre des affrontements entre autochtones et non-autochtones et les dressent de part et d'autre de barricades réelles ou symboliques. Pourtant, ces barricades ne tomberont que lorsque nous aurons compris comment elles ont été édifiées.

L'étude du passé nous apprend qui nous sommes et quelles sont nos origines. Elle nous révèle souvent des secrets enfouis que certains s'efforcent de dissimuler et que d'autres essaient de révéler. Dans le cas qui nous occupe, une telle étude aide à comprendre comment sont nées les tensions entre autochtones et non-autochtones et pourquoi elles sont si difficiles à apaiser.

Les Canadiens sont assez peu au courant de la relation paisible et harmonieuse qui s'est établie entre les Premières nations et les premiers Européens arrivés ici. Ils savent encore moins comment cette relation a dégénéré au cours des siècles. Dans notre rapport, nous examinons cette histoire de manière assez détaillée, car ses fantômes nous hantent encore.

Les fantômes prennent des formes diverses : traités non respectés, vol de terres autochtones, élimination des cultures autochtones, enlèvement d'enfants autochtones, appauvrissement et suppression de la liberté d'action des peuples autochtones. Pourtant, au début, personne n'aurait pu prédire ces résultats, car dans la plupart des cas les premiers rapports étaient fondés sur la coopération.

La relation entre les autochtones et les non-autochtones est passée par quatre étapes :

  • Il y a eu une époque pendant laquelle les autochtones et les non-autochtones vivaient sur des continents distincts et ignoraient tout de l'existence des uns et des autres.
  • Après les premières années de contact, des relations fragiles, fondées sur la paix, l'amitié et une égalité approximative, ont acquis force de loi grâce à la conclusion de traités.
  • Le pouvoir a ensuite basculé en faveur des non-autochtones et de leurs gouvernements. Les autochtones se sont alors trouvés chassés d'une grande partie de leurs terres et ont été soumis à des mesures destinées à les civiliser et à leur faire acquérir les murs européennes.
  • Il y a enfin l'étape actuelle – une période de rétablissement pour les autochtones et leurs cultures, une période d'examen critique de notre relation, une période de renégociation et de renouveau.

Un grand nombre des lois et des institutions qui fonctionnent si mal aujourd'hui – la Loi sur les Indiens et le morcellement des nations en bandes, pour n'en donner que deux exemples – sont des vestiges de la troisième étape de notre histoire. Mais l'honneur n'était pas absent de ce passé; en fait, les bases d'une relation juste et équitable ont été jetées dès les premiers contacts.

Première étape : des mondes étanches

Avant 1500, les sociétés autochtones des Amériques et les sociétés européennes ont évolué séparément, sans rien connaître les unes des autres. La diversité de leurs langues, de leurs cultures et de leurs traditions sociales était infinie. Pourtant, des deux côtés de l'Atlantique, des peuples différents dotés de systèmes de gouvernement qui évoluaient – bien que plus modestes et plus simples que les nations et les gouvernements que nous connaissons aujourd'hui – étaient en pleine expansion.

« L'Amérique, séparée de l'Europe par un vaste océan, était occupée par un peuple distinct, réparti en plusieurs nations indépendantes les unes des autres et du reste du monde, qui avaient leurs propres institutions et leurs propres lois. Il est difficile de comprendre que la découverte d'un peuple par un autre ait pour effet de dépouiller ce peuple de ses droits. »

Le juge en chef, John Marshall, Cour suprême des États-Unis, Worcester c. Georgia (1832)

Dans le sud-est de l'Amérique du Nord, les Cherokees formaient une confédération d'environ 30 villes – la plus grande de celles-ci était presque aussi importante que la Londres impériale lorsque les premiers explorateurs anglais la découvrirent. Ailleurs, en Amérique centrale et en Amérique du Sud, des peuples autochtones avaient créé de vastes empires à même les montagnes et la jungle, et ce bien avant l'arrivée de Cortez.

« La formation et le maintien de ces confédérations sont la preuve d'une grande habileté politique. »

Bruce Trigger, À propos de la confédération des Hurons (Wendat), dans The Children of Aataentsic

Dans les régions septentrionales de l'Amérique du Nord, les cultures autochtones étaient modelées par l'environnement et l'évolution de la technologie :

  • L'abondance des ressources marines et forestières avaient permis aux peuples de la côte ouest de créer des sociétés riches et raffinées.
  • Dans les prairies et dans la toundra septentrionale, les peuples autochtones vivaient en étroite harmonie avec les immenses troupeaux migrateurs de bisons et de caribous.
  • Dans les forêts du centre du Canada, les autochtones récoltaient le riz sauvage des marais, cultivaient maïs, courges et haricots en bordure des rivières et complétaient leurs récoltes par la pêche, la chasse et la cueillette.
  • Sur la côte est et dans le Grand Nord, l'abondance des ressources marines et terrestres et leur propre ingéniosité permettaient aux peuples autochtones de survivre malgré les rigueurs du climat.

Les Amériques n'étaient donc pas, comme l'avaient cru les Européens à leur arrivée, terra nullius – un territoire sans maître.

« Et comme il est juste, raisonnable et essentiel à nos intérêts et à la sureté de nos colonies que les différentes nations de sauvages avec lesquelles nous avons quelques relations et qui vivent sous notre protection, ne soient ni inquiétées et ni troublées dans la possession de telles parties de nos domaines et territoires comme ne nous ayant pas été cèdés, ni achetés par nous, leur sont réservés, ou à aucun d'eux, comme leur pays de chasse… »

Proclamation royale de 1763

Deuxième étape : des relations de nation à nation

L'interaction entre les autochtones et les non-autochtones a commencé à prendre de l'ampleur au xvie siècle. En gros, les premiers contacts ont évolué de la manière suivante :

  • curiosité mutuelle et appréhension;
  • échanges de marchandises, hésitants au début puis de plus en plus fréquents;
  • troc et arrangements commerciaux, amitiés et mariages, créant des liens entre individus et familles;
  • alliances militaires et commerciales, créant des liens entre nations et au sein de celles-ci.

Les comptes rendus non autochtones des premiers contacts ont tendance à souligner les éléments découverte et mise en valeur de l'Amérique du Nord par les explorateurs européens. Mais c'est un point de vue partial. Pendant au moins deux siècles, n'eût été de l'aide des autochtones, les nouveaux venus n'auraient jamais survécu aux rigueurs du climat, ils n'auraient jamais réussi dans leurs entreprises (pêche, pêche à la baleine, traite des fourrures), pas plus qu'ils n'auraient échappé aux balles de leurs adversaires.

Cette période, qui a duré jusqu'au xviiie ou au xixe siècle, selon la région, s'est caractérisée par une coopération prudente et non par les conflits. Dans l'ensemble, les autochtones et les non-autochtones se considéraient comme des éléments séparés, distincts et indépendants. Chacun était à son affaire. Chacun pouvait négocier ses propres alliances militaires, ses accords commerciaux, et les arrangements qui lui convenaient le mieux avec les autres.

Cette coopération a reçu une double consécration :

  • Dans les traités, consignés par écrit par les négociateurs européens et solennellement acceptés par les nations autochtones sous forme de récits oraux et de documents visuels, dont les ceintures de wampum.
  • Dans l'extraordinaire document connu sous le nom de Proclamation royale de 1763.
Les traités

La conclusion de traités entre peuples autochtones remonte à une époque très antérieure à l'arrivée des Européens. Ces traités avaient pour objet d'établir la paix, de réglementer le commerce, de partager l'utilisation des terres et des ressources, et d'organiser leur défense mutuelle. La cérémonie du calumet et d'autres cérémonies analogues conféraient à ces accords la valeur sacrée d'un serment.

Chez les Européens, la tradition du traité remonte à l'époque romaine, mais elle devait acquérir une importance nouvelle au xviie siècle. Les traités sont alors devenus pour les nouveaux États d'Europe un moyen d'éviter les guerres et de connaître des périodes de paix prolongées. Les traités étaient une façon de reconnaître l'indépendance et la souveraineté des uns et des autres et constituaient une marque de respect mutuel.

Dans les colonies qui devaient devenir le Canada, on n'a pas tardé à constater la nécessité d'avoir des traités. Le territoire était immense, et les colons peu nombreux. Ils craignaient la force des nations autochtones qui les entouraient. Les puissances coloniales se faisaient la guerre sur tout le continent, avides d'imposer leur domination et de contrôler le commerce. Il était indispensable qu'elles concluent des alliances avec les nations indiennes.

Le gouvernement colonial britannique avait une attitude schizophrène à l'égard des traités. En signant ces traités, les autorités britanniques donnaient l'impression de reconnaître que les peuples autochtones constituaient des nations et qu'ils étaient leurs égaux. Elles s'attendaient cependant aussi à ce que les Premières nations reconnaissent l'autorité du monarque et, de plus en plus, acceptent de placer de vastes territoires sous le contrôle britannique – afin de permettre aux colons de s'y établir et de protéger ces territoires contre d'autres puissances européennes ou les États-Unis, qui auraient pu vouloir s'en emparer.

Pendant plusieurs centaines d'années, les traités ont servi à maintenir la paix et à partager la richesse du Canada.

Les autochtones avaient une conception toute différentes des traités. Ils croyaient ce que les représentants du Roi disaient et que les inscriptions portées sur les parchemins captaient l'essence même de leurs conversations. Lorsqu'ils ont découvert plus tard que les engagements oraux pris entre chefs n'avaient pas été consignés avec exactitude, ils en ont été atterrés et ont réagi avec colère. Certes, les autochtones reconnaissaient le monarque, mais uniquement comme une sorte de parent, de protecteur lointain à qui ils pouvaient faire appel pour défendre leurs intérêts et faire respecter les traités. L'idée de céder leurs terres ne leur venait pas à l'esprit car c'était là une notion totalement étrangère aux cultures autochtones.

« La notion de cession n'existe pas dans ma langue. Il n'y a pas de mot pour cela. Je ne peux même pas vous parler de cession dans ma langue. Comment alors mon peuple aurait-il pu signer un acte de cession? »

Le chef François Paulette, Conseil tribal du Traité 8, Yellowknife, (Territoires du Nord-Ouest)

Le wampum à deux rangs, ceinture commémorative du traité de 1613 entre les Mohawk et les Hollandais, illustre parfaitement la manière dont les peuples autochtones comprenaient ces choses – pour eux, les traités symbolisaient la paix, l'amitié, le partage ou l'alliance, et non la soumission ou la reddition :

Un fond de wampum blanc symbolise la pureté de l'entente. Deux rangs de pourpre représentent l'esprit de nos ancêtres respectifs. Trois perles de wampum séparent les deux rangs; elles symbolisent la paix, l'amitié et le respect. Les deux rangs représentent deux voies parallèles, deux embarcations, naviguant ensemble sur le même cours d'eau. L'une, un canot d'écorce de bouleau, représente les Indiens, leurs lois, leurs coutumes et leurs traditions tandis que l'autre, un navire, désigne les Blancs, leurs lois, leurs coutumes et leurs traditions. Nous voyageons ensemble, côte à côte, mais chacun dans son embarcation sans que ni l'un ni l'autre n'essaie de diriger l'embarcation de son voisin.

La Proclamation royale

La Proclamation royale de 1763 est un document déterminant de la relation entre autochtones et non-autochtones en Amérique du Nord. Établie au nom du Roi, cette proclamation résumait les dispositions qui devaient régir les négociations entre les Britanniques et les autochtones – en particulier pour la primordiale question des terres.

La Proclamation est un document juridique complexe, mais les messages principaux dont elle est porteuse ressortent clairement du préambule. Les autochtones ne devaient être ni inquiétés ni troublés sur leurs terres. La Couronne et les assemblées de sauvages devaient négocier en bonne et due forme les transactions portant sur les terres autochtones. L'acquisition de ces terres devait respecter les règles de l'équité, c'est-à-dire faire l'objet de traités ou d'un achat par la Couronne.

Dans la Proclamation, les nations indiennes sont représentées comme des entités politiques conservant leur autonomie politique interne bien qu'elles soient placées sous la protection de la Couronne. La Proclamation combine de façon subtile la sauvegarde des droits ancestraux et l'élaboration d'un processus d'implantation des Britanniques. Elle trouve un compromis en permettant aux autochtones et aux non-autochtones de partager les mêmes droits souverains à l'égard des terres qui forment aujourd'hui le Canada.

Plus d'un siècle plus tard, en 1867, cet arrangement, que nous appelons aujourd'hui la Confédération, devait également offrir aux différents peuples et gouvernements la possibilité de partager le pouvoir. Mais c'est avec les Premières nations que fut négociée la première forme d'entente confédérative.

Troisième étape : la domination s'installe

Au cours du xixe siècle, la relation entre les autochtones et les non-autochtones, qui reposait sur un principe de quasi-égalité, a commencé à se dégrader. Le nombre des colons a continué à augmenter et leur pouvoir s'est accru. Les colons sont devenus plus puissants grâce aux quatre grandes mutations que vivait le pays :

  1. La composition de la population a évolué en faveur des colons. L'immigration est venue grossir leurs rangs tandis que la pauvreté et la maladie affaiblissaient les nations autochtones. En 1812, les immigrés étaient 10 fois plus nombreux que les autochtones dans le Haut-Canada.
  2. Le commerce de la fourrure se mourait et, avec lui, le vieil esprit de partenariat économique qui unissait négociants et trappeurs. La nouvelle économie reposait sur le bois, les minéraux et l'agriculture. Elle réclamait la terre et non la main-d'œuvre des autochtones, considérés désormais comme des obstacles au progrès et non plus comme des partenaires estimés.
  3. Les gouvernements coloniaux du Haut et du Bas-Canada n'avaient plus besoin de leurs alliés autochtones. Les Britanniques avaient triomphé de tous leurs adversaires au nord du 49e parallèle. Au sud, les États-Unis avaient obtenu leur autonomie politique par la force. La paix régnait sur le continent.
  4. Une idéologie proclamant la supériorité des Européens sur tous les autres peuples de la terre était en train de s'implanter. Elle justifiait les mesures de domination et d'assimilation qui progressivement ont remplacé l'esprit de partenariat dans les colonies nord-américaines. Au fil des ans et des générations, ces mesures se sont multipliées et ont eu des effets de plus en plus préjudiciables sur les autochtones.

« L'histoire n'a pas encore été écrite du point de vue des Indiens. »

Violet Soosay, Collectivité de Première nation Montana, Hobbema (Alberta)

Ironiquement, le passage du respect à la domination a été déclenché par les moyens mêmes qui devaient instituer un partenariat : les traités et la Proclamation royale de 1763. Ces documents offraient aux autochtones non seulement la paix, l'amitié, le respect et une égalité approximative, mais également une protection.

La politique de protection constituait le premier pas vers la domination. À l'origine, cette politique devait empêcher que les colons n'empiètent sur les terres des autochtones et ne menacent leur intégrité culturelle. Puis elle s'est transformée en politique d'assistance, mot codé impliquant qu'il fallait inciter les autochtones à renier leur identité et à se fondre dans la société coloniale.

La politique de protection prenait différentes formes : scolarité obligatoire, programmes d'ajustement économique, contrôle politique et social exercé par des agents fédéraux, etc. Ces mesures, qu'accompagnaient les efforts de civilisation et de conversion des missionnaires, ont gravement entamé les cultures et l'autonomie des autochtones et ébranlé leur confiance en eux.

« La Loi sur les Indiens nous a dépouillés de notre indépendance, de notre dignité, du respect de nous-mêmes et de notre sens des responsabilités. »

Kaherine June Delisle, Première nation de Kanien'kehaka, Kahnawake (Québec)
Les mesures de domination et d'assimilation

Aucun Canadien connaissant les mesures de domination et d'assimilation ne s'étonnerait de la méfiance qu'éprouvent les autochtones par rapport à la bonne volonté affichée aujourd'hui par les non-autochtones et leurs gouvernements.

La Politique d'assimilation

La Politique d'assimilation se fondait sur quatre a priori déshumanisants (et incorrects) au sujet des autochtones et de leurs cultures :

  • C'étaient des peuples inférieurs. Ils étaitent incapables de se gouverner et les autorités coloniales et canadiennes étaient les mieux placées pour savoir comment protéger leurs intérêts et leur bien-être.
  • La relation spéciale fondée sur le respect et le partage que consacraient les traités était une anomalie historique qui n'avait plus sa raison d'être.
  • Les idées européennes de progrès et de développement étaient de toute évidence correctes et pouvaient être imposées aux autochtones sans tenir compte des autres valeurs, opinions ou droits qui pouvaient être les leurs.
  • Les gouvernements coloniaux et canadiens ont créé des réserves autochtones (dont la superficie et les ressources étaient souvent insuffisantes), sans toujours s'appuyer sur un accord pour le faire. Le système de réserves a débuté en 1637 quand des Jésuites se sont installés à Sillery, en Nouvelle-France. Il avait pour but de protéger les autochtones et leur mode de vie, mais, en réalité, il les a appauvris et isolés.
  • En 1857, la province du Canada a adopté un acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus sauvages. Elle offrait aux Indiens de bonne réputation (selon le jugement d'un conseil de non-autochtones) la possibilité d'être reconnus, en pratique, comme des non-Indiens. On les engageait, en tant que non-Indiens, à intégrer la société canadienne en y apportant leur part des terres tribales. Seul Elias Hill, un Mohawk des Six-Nations, aurait accepté cette invitation.
  • Vers le début du xixe siècle, les Métis étaient présents en grand nombre dans pratiquement tout le Canada. En raison de leur patrimoine culturel autochtone, français et britannique, ainsi que du rôle d'intermédiaires qu'ils avaient été appelés à jouer dans les luttes commerciales et territoriales d'autrefois, ils se distinguaient des autres peuples par leur culture, leurs institutions et leur mode de vie.

Les promesses que nous devons vous faire ne valent pas seulement pour aujourd'hui, mais aussi pour demain, et pas seulement pour vous mais aussi pour vos enfants et toute votre descendance. Et les promesses que nous vous faisons aujourd'hui seront respectées aussi longtemps que le soleil brillera dans les cieux et que les fleuves se jetteront dans l'océan.

Alexander Morris, lieutenant-gouverneur, du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest, Discours prononcé devant les Cris et les Saulteux, Fort Qu'Appelle (1874)

Les gouvernements britanniques et canadiens pratiquaient cependant une politique d'exclusion à l'encontre des Métis. Ils n'étaient considérés ni comme des Indiens, ni comme de véritables colons. On les qualifiait habituellement de squatters et on les expulsait peu à peu des terres qu'ils cultivaient pour laisser la place aux vrais colons.

Sous Louis Riel, les Métis de la vallée de la rivière Rouge se sont battus pour avoir des terres et leur propre gouvernement. La Loi de 1870 sur le Manitoba les leur garantissait, mais ces promesses ne furent pas tenues. De nombreux Métis partirent s'installer plus au nord et à l'ouest du pays, où ils reprirent leur combat pour obtenir des terres et la reconnaissance politique. Au printemps 1885, leur armée fut écrasée à Batoche par un corps expéditionnaire envoyé par Ottawa. Ils ont à nouveau été dispersés, et leurs revendications territoriales et politiques ne sont toujours pas réglées.

Notre Loi sur les Indiens repose en général sur le principe selon lequel les autochtones doivent être maintenus sous notre tutelle et traités comme les pupilles ou les enfants de l'État. La sagesse et le devoir nous enjoignent de faire accéder l'Indien, par l'éducation et d'autres moyens, à un niveau supérieur de civilisation en l'encourageant à assumer les privilèges et les responsabilités d'un citoyen à part entière.

Rapport annuel du ministère de l'Intérieur (1876)
  • La Confédération, déclarée en 1867, constituait entre les colons anglais et français une nouvelle forme de partenariat dont l'objet était d'administrer les terres et les ressources au nord du 49e parallèle. Elle fut négociée sans aucune participation des peuples autochtones, premiers partenaires des Anglais comme des Français. En fait, John A. Macdonald, qui venait d'être élu Premier ministre, a déclaré que son gouvernement s'était fixé pour objectif d'en finir avec le système tribal et d'assimiler totalement les Indiens au reste de la population du Dominion.
  • L'Acte de l'Amérique du Nord britannique, la nouvelle constitution du jeune Canada, soumettait à la réglementation gouvernementale les Indiens et les terres réservées pour les Indiens, au même titre que les mines et les routes. Le Parlement s'est vigoureusement attelé à la tâche en votant des lois qui remplaçaient les gouvernements autochtones traditionnels par des conseils de bande aux pouvoirs insignifiants, en prenant le contrôle des précieuses ressources situées dans les réserves, en assumant le contrôle des finances des réserves, en imposant un système de propriété foncière déconcertant pour les autochtones et en utilisant des notions étrangères en matière de mariage et d'éducation des enfants.

Ces dispositions, entre autres, ont été codifiées dans les lois sur les Indiens de 1876, 1880, 1884 et suivantes. Le ministère de l'Intérieur (qui allait devenir le ministère des Affaires indiennes) avait envoyé à l'époque des agents dans toutes les régions afin de s'assurer que les lois étaient observées.

  • En 1884, la cérémonie du potlatch, un des fondements culturels des nations autochtones de la côte ouest, a été déclarée illégale. En 1885, la danse du soleil, qui occupait une place comparable dans les cultures des Prairies, a subi le même sort. Participer à de telles cérémonies était devenu illégal.
  • En 1885, le ministère des Affaires indiennes a institué un système de droit de passage. Aucun étranger ne pouvait venir dans une réserve pour faire affaire avec un autochtone sans l'autorisation d'un agent chargé des Indiens. Dans de nombreux endroits, cette directive a été interprétée comme interdisant aux autochtones de quitter leur réserve sans y être autorisés par l'agent. Les réserves étaient en train de devenir de véritables prisons.
  • En 1849, le premier établissement de ce qui allait devenir un véritable réseau de pensionnats pour les enfants autochtones ouvrait ses portes à Alderville, en Ontario. Les chefs des Églises et du gouvernement avaient conclu qu'il était possible de résoudre le problème de l'indépendance et de la sauvagerie des autochtones en enlevant de leur famille les très jeunes enfants et en les envoyant passer huit ou neuf ans dans un pensionnat, loin de chez eux, où on leur inculquerait les murs de la société dominante

La fréquentation de ces établissements était obligatoire. Les enfants devaient abandonner tout ce qui les caractérisait comme autochtones : langues, coutumes et tournures d'esprit. Les liens de centaines d'enfants autochtones avec leurs familles et leurs nations ont ainsi été déformés ou brisés, avec des résultats désastreux.

  • Au cours de cette étape, les gouvernements canadiens ont déplacé à leur gré des collectivités autochtones entières d'un endroit à un autre. Si l'on jugeait que les autochtones n'avaient pas suffisamment à manger là où ils vivaient, on décidait simplement de les réinstaller dans des endroits où il y avait plus de gibier ou de possibilités d'emploi. S'ils étaient malades, on les transplantait dans de nouvelles localités où on pouvait leur fournir des services de santé, des installations sanitaires et des logements permanents. Lorsque les autochtones gênaient l'expansion du développement agricole ou possédaient des terres dont les colons avaient besoin, il arrivait qu'on les déplace pour leur bien. Lorsque leurs terres contenaient des minéraux exploitables, des forêts à abattre ou des cours d'eau sur lesquels des barrages pouvaient être édifiés, on les déplaçait dans l'intérêt national.
  • À chacune des deux guerres mondiales, plus de 3 000 Indiens inscrits et un nombre indéterminé d'Inuit, de Métis et d'Indiens non inscrits se sont portés volontaires pour combattre dans les forces armées canadiennes. L'importance des sacrifices qu'ils ont consentis a été appréciée au Canada, et la plupart de ces volontaires ont gagné le respect de leurs pairs sur le champ de bataille. Des centaines y ont trouvé la mort ou y ont été blessés.

Les survivants ne réclamaient pas d'honneurs particuliers, mais ils s'attendaient à être traités de la même façon que les autres soldats à leur retour au Canada, ce qui n'a pas été le cas. On leur a en effet refusé la plupart des avantages accordés aux autres. Leurs réserves ont été amputées d'une partie de leurs terres qui ont été utilisées à des fins militaires ou attribuées à des anciens combattants non autochtones. Ceux qui sont encore vivants aujourd'hui continuent à lutter pour qu'on reconnaisse leur apport à l'effort de guerre et qu'on les dédommage des pertes subies plus tard.

  • Les traités demeuraient le mécanisme privilégié pour la gestion de la relation entre autochtones et non-autochtones. Le processus est toutefois devenu de plus en plus difficile à utiliser à cause des interprétations contradictoires du but des traités.

The purpose of the treaties, in Aboriginal eyes, was to work out ways of sharing lands and resources with settlers, Pour les autochtones, ces traités étaient destinés à trouver des moyens de partager les terres et les ressources avec les colons, sans rien perdre de leur indépendance. Mais pour les représentants de la Couronne, les traités étaient simplement devenus un outil destiné à débarrasser les terres convoitées de la présence des autochtones.

Pour encourager les Premières nations à signer, les négociateurs coloniaux ont continué à leur assurer qu'il ne s'agissait pas simplement d'une entente, mais d'une garantie qui demeurerait valable aussi longtemps que le soleil brillerait et que les rivières continueraient à couler.

Quatrième étape : renouveau et renégociation

Les politiques de domination et d'assimilation ont ébranlé les institutions autochtones à un point tel qu'elles se sont parfois effondrées. La pauvreté, la maladie et la désintégration des structures sociales se sont aggravées. Les autochtones ont continué à lutter pour survivre individuellement, maintenant que le concept de nation avait été effacé de la psyché nationale et qu'il avait été presque totalement oublié par les autochtones eux-mêmes.

« Il reste que lorsque les colons sont arrivés, les Indiens étaient déjà là, ils étaient organisés en sociétés et occupaient leurs terres comme leurs ancêtres l'avaient fait depuis des siècles. C'est ce que signifie le titre indien… »

Cour suprême du Canada, Calder c. Procureur général de la Colombie-Britannique (1973)

La résistance à l'assimilation a faibli, mais elle n'a jamais totalement disparu. Au cours de la quatrième étape de la relation, il y a eu une nouvelle flambée qui a progressivement pris la forme d'un mouvement politique. Un des facteurs qui ont contribué à ce mouvement a été le Livre blanc du gouvernement fédéral sur la politique indienne, publié en 1969.

Le Livre blanc proposait d'abolir la Loi sur les Indiens et tout ce qui survivait de la relation spéciale entre les autochtones et le Canada – en offrant une nouvelle formule, celle de l'égalité. Les Premières nations ont presque unanimement rejeté cette idée. Pour elles, cette forme d'égalité imposée était le cercueil de leurs identités collectives, la fin de leur existence en tant que peuples distincts. Avec les Inuit et les Métis, elles ont commencé à se rendre compte de toute l'importance de leur survie face aux efforts soutenus d'assimilation déployés contre elles. Elles ont commencé à voir que leurs efforts s'inscrivaient dans un mouvement mondial de défense des droits des peuples autochtones. Elles ont commencé à rassembler les arguments juridiques justifiant leur continuité en tant que peuples – en tant que nations au sein du Canada – et à défendre publiquement leur position.

En étudiant leur propre histoire, les Premières nations ont découvert la preuve qu'elles possédaient des droits découlant de l'esprit et de l'objectif de leurs traités et de la Proclamation royale de 1763. Elles ont été confortées par les décisions des tribunaux canadiens, surtout depuis 1971, affirmant leur relation spéciale avec la Couronne et leur intérêt particulier dans leurs terres traditionnelles. C'est avec une ardeur nouvelle qu'elles ont donc entrepris de réédifier leurs collectivités et leurs nations.

Les rapports entre le gouvernement et les autochtones sont de nature fiduciaire plutôt que contradictoire et […] la reconnaissance et la confirmation contemporaines des droits ancestraux doivent être définies en fonction de ces rapports historiques.

Cour suprême du Canada, R. c. Sparrow (1990)

La forte opposition des autochtones à l'invitation contenue dans le Livre blanc de s'intégrer à la société dominante a pris les non-autochtones à l'improviste. La question de savoir qui sont les autochtones et quelle est leur place au Canada est alors devenue un élément essentiel du débat national.

Un tournant historique s'est produit après une douzaine d'années de lutte politique intense par les autochtones, y compris des appels à la Reine et au Parlement britannique. Les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones ont été reconnus dans la Loi constitutionnelle de 1982.

Les conditions nécessaires à un changement profond de la relation entre les peuples du Canada étaient désormais réunies, changement que la plupart des gouvernements ont cependant trouvé difficile à accepter.

La voie de l'avenir

Les politiques du passé n'ont pas réussi à apporter l'élément de paix et d'harmonie nécessaire aux relations entre les peuples autochtones et les autres Canadiens. Elles n'ont pas réussi non plus à rendre les autochtones prospères ni à les satisfaire.

À chaque consultation, les Canadiens déclarent qu'ils veulent que justice soit rendue aux autochtones mais qu'ils ne savent pas comment procéder. Dans les chapitres qui suivent, nous présenterons un ensemble d'idées aussi convaincantes que cohérentes sur la manière d'aller de l'avant.

Depuis la publication du Livre blanc, les gouvernements canadiens ont été encouragés à accorder plus de contrôle aux collectivités autochtones sur le plan local. Ils ont davantage associé les autochtones à la prise de décision et leur ont cédé des bribes du pouvoir administratif qui continue à régenter leurs vies.

Jusqu'ici, les gouvernements ont toujours refusé de reconnaître la continuité des nations autochtones et la nécessité d'enfin les décoloniser. En actes, sinon en paroles, les gouvernements continuent à empêcher les nations autochtones d'assumer les pouvoirs qui leur permettraient de structurer leurs propres institutions et d'élaborer leurs propres solutions aux problèmes sociaux, économiques et politiques. En fait, c'est ce refus qui empêche tout progrès.

La nouvelle relation que nous envisageons est bien plus qu'une relation politique ou institutionnelle. Il faut qu'elle représente l'engagement sincère des peuples de vivre ensemble dans la paix, l'harmonie et la sollicitude.

Pour qu'un tel engagement soit possible dans le climat actuel de tension et de méfiance, il doit reposer sur des principes qui expriment une vision. Il doit également comporter des mécanismes pratiques destinés à résoudre les conflits qui se sont accumulés et à réglementer le fonctionnement quotidien de cette relation.

Nous proposons quatre principes de base pour une relation renouvelée : reconnaissance, respect, partage et responsabilité.

Pour renouveler cette relation, nous proposons les quatre principes suivants :

  1. Reconnaissance
    Le principe de la reconnaissance mutuelle implique que les Canadiens non autochtones reconnaissent le fait que les autochtones sont les premiers habitants et gardiens des terres de notre pays et que cela leur confère des responsabilités et des droits particuliers. Il importe que les autochtones reconnaissent que les non-autochtones appartiennent également à ce territoire, de naissance et par adoption, et qu'ils lui sont attachés par des liens solides d'amour et de loyauté. Il importe que les deux parties se reconnaissent mutuellement comme partenaires et se traitent en tant que tels, en respectant leurs lois et leurs institutions respectives et en coopérant dans leur intérêt mutuel.
  2. Respect
    Le principe du respect exige de tous les Canadiens qu'ils créent un climat de respect mutuel entre les peuples et au sein de ceux-ci. Le respect est une protection contre les tentatives de domination et de contrôle d'un partenaire sur un autre. Le respect du statut et des droits particuliers des Premières nations ainsi que de la culture et du patrimoine précieux dont est dépositaire tout autochtone devra devenir partie intégrante du caractère national du Canada.
  3. Partage
    Le principe du partage exige l'équité des avantages reçus et accordés. C'est sur cette base que le Canada a été fondé, car si les peuples autochtones avaient refusé de partager leurs ressources et leur connaissance du pays, beaucoup de nouveaux arrivants n'auraient pas survécu ni prospéré. Le principe du partage est un élément essentiel des traités et un facteur déterminant de l'égalité réelle qui pourrait exister un jour entre les peuples du Canada.
  4. Responsabilité
    La responsabilité est la caractéristique d'une relation parvenue à sa maturité. Les parties à cette relation doivent assumer les promesses qu'elles ont faites, elles doivent avoir un comportement honorable et tenir compte de l'effet de leurs actes sur leur bien-être mutuel. Nous partageons la terre et le ferons toujours; il est donc dans l'intérêt des autochtones et des non-autochtones de se conformer aux normes les plus rigoureuses de responsabilité, d'honnêteté et de bonne foi les uns à l'égard des autres.

Les Six-Nations de la Confédération iroquoise ont décrit l'esprit de la relation que symbolise la chaîne d'alliance en argent. « L'argent est un métal solide qui ne se brise pas aisément; il ne rouille ni ne se détériore avec le temps. Il finit cependant par se ternir. Chaque fois que nous nous réunirons, il faudra donc polir et repolir cette chaîne, afin de rendre son éclat original à notre amitié. 

Le chef Jacob E. Thomas, Première nation des Cayugas, Confédération haudenosaunee (iroquoise)

Nous proposons, pour mettre ces principes en pratique, d'utiliser le mécanisme des traités. Pendant plusieurs centaines d'années, les traités ont servi à maintenir la paix et à partager la richesse du Canada. Les traités qui existent entre les autochtones et les non-autochtones, si poussiéreux soient-ils, contiennent des dispositions précises qui même aujourd'hui aident à définir les droits et les responsabilités des signataires.

Nous sommes convaincus qu'il est possible d'utiliser des traités nouveaux et renouvelés pour concrétiser les quatre principes d'une relation fondée sur la justice. Nous expliquons comment le faire au chapitre 2.

Une relation à redéfinir

Pour retrouver l'essence de la relation originelle entre les autochtones et les sociétés colonisatrices, relation décrite au chapitre 1, il faut mettre en place les éléments d'un partenariat moderne. Le point de départ de cette transformation est la reconnaissance des nations autochtones.

Les peuples autochtones en tant que nations

Les arguments à l'appui de la reconnaissance des peuples autochtones en tant que nations se rattachent au passé comme au présent. Les autochtones étaient constitués en nations lorsqu'ils ont contracté des alliances militaires et commerciales avec les Européens. C'est à titre de nations qu'ils ont signé des traités pour partager leurs terres et leurs ressources. Ils forment encore aujourd'hui des nations – par leur cohésion, leur caractère distinct et leur compréhension d'eux-mêmes.

La reconnaissance des nations autochtones ne menace en rien le Canada ni son intégrité politique et territoriale. Les nations autochtones ont presque toujours cherché la coexistence, la collaboration et l'harmonie dans leurs relations avec les autres peuples. Aujourd'hui, elles demandent au Canada la place légitime qui leur revient en tant que partenaires au sein de la fédération canadienne.

Le présent chapitre montre comment les bases de l'identité nationale autochtone ont été minées et comment elles peuvent être restaurées.

La justification de l'autonomie gouvernementale

Les autochtones et leurs régimes de gouvernement existent de temps immémorial. C'est du Créateur lui-même que les autochtones considèrent avoir reçu le droit à l'autonomie gouvernementale. Le Créateur a donné un territoire à chaque nation et il lui a confié la responsabilité de prendre soin de ces terres – et les uns des autres – jusqu'à la fin des temps.

Les gouvernements autochtones et la Charte canadienne des droits et libertés

Certains ont exprimé la crainte que les gouvernements autochtones invoquent leur droit à l'autonomie gouvernementale pour se soustraite aux obligations découlant de la Charte canadienne des droits et libertés. La Commission a examiné la question et conclu que les gouvernements autochtones étaient assujettis aux dispositions de la Charte.

La Constitution permet toutefois aux gouvernements fédéral et provinciaux d'utiliser une clause de dérogation pour se soustraite à l'application de la Charte dans certaines circonstances. Les gouvernements autochtones reconnus devraient aussi pourvoir exercer ce choix.

Il se pourrait, par exemple, que les droits ancestraux et issus de traités entrent en contradiction avec la Charte. L'article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982 permet une interprétation souple de la Charte qui, concrètement, accorde la primauté aux droits ancestraux et issue de traités. Cela signifie que les gouvernements autochtones bénéficieraient d'une latitude considérable pour élaborer des lois reflétant leurs cultures, leurs traditions et leurs valeurs.

La Constitution ne permet pas aux gouvernements autochtones de nier le droit des femmes à l'égalité. Ce droit est garanti à toutes les femmes, sans exception.

Dans le cas des autochtones, le droit à l'autonomie gouvernementale est conforté par trois autres sources :

  • Le droit international, auquel le Canada souscrit, reconnaît à tous les peuples le droit à l'autodétermination. L'autodétermination comprend la fonction gouvernementale, de sorte que les peuples autochtones ont le droit de choisir leurs propres formes de gouvernement au sein des États existants.
  • L'histoire du Canada montre que les puissances coloniales ne peuvent revendiquer aucun « droit de conquête », puisqu'il n'y a pas eu de conquête. L'Amérique du Nord n'était pas non plus une «terre sans maître» qu'il suffisait d'occuper, comme on l'a prétendu par la suite. Dans leurs premiers rapports avec les habitants de ce qui est devenu depuis le Canada, les puissances coloniales ont généralement considéré ces peuples comme des nations autonomes – consacrant cette reconnaissance dans les traités et dans la Proclamation royale de 1763.
  • La Constitution reconnaît et protège le droit des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale au sein du Canada. Elle reconnaît que les droits ancestraux sont plus anciens que le Canada lui-même et que leur maintien était un élément de l'accord entre autochtones et non-autochtones grâce auquel le Canada a pu voir le jour.

Les nations autochtones ont accepté la nécessité de partager le pouvoir avec le Canada. En échange, elles demandent que les Canadiens conviennent que l'autonomie gouvernementale des autochtones n'est pas et ne sera jamais un « don » consenti par un Canada « éclairé ». Il s'agit en effet d'un droit inhérent que les autochtones ont exercé pendant des siècles avant l'arrivée des explorateurs et des colons européens, un droit auquel ils n'ont jamais renoncé et qu'ils veulent exercer à nouveau.

Une nation autochtone devrait être définie comme un groupe important d'autochtones qui éprouvent un sentiment commun d'identité nationale et forment la population majoritaire d'un territoire donné ou d'un ensemble de territoires.

Sont par conséquent des nations les Micmacs, les Innus, les Anishnabés, les Bloods, les Haidas, les Inuvialuit, les membres de la nation métisse de l'Ouest et d'autres peuples dont les liens demeurent au moins en partie intacts malgré les ingérences gouvernementales. Il existe environ 1 000 réserves et collectivités autochtones au Canada, mais il n'y a que 60 à 80 nations autochtones.

La Constitution ne permet pas aux gouvernements autochtones de nier le droit des femmes à l'égalité. Ce droit est garanti à toutes les femmes, sans exception.

À notre avis, les autochtones doivent être accueillis comme des partenaires à part entière dans les structures complexes qui constituent le Canada. En fait, nous soutenons que les gouvernements autochtones forment l'un des trois ordres de gouvernement au Canada – fédéral, provincial et autochtone. Les trois ordres sont autonomes dans leur sphère de compétence respective et ils partagent la souveraineté du Canada dans son ensemble. Les gouvernements autochtones ne sont pas assimilables aux administrations municipales, qui exercent les pouvoirs qui leur ont été délégués par les gouvernements provinciaux ou territoriaux.

Le partage de la souveraineté est une caractéristique importante du fédéralisme canadien. Il a permis le partenariat des débuts entre autochtones et non-autochtones et, par la suite, l'union des provinces formant le Canada.

Les gouvernements canadiens acceptent peu à peu la notion d'une souveraineté partagée et de l'autodétermination autochtone. Ils manifestent toutefois de la réticence à céder toute la gamme des pouvoirs essentiels à l'autonomie gouvernementale véritable et toutes les ressources nécessaires à l'efficacité des gouvernements autonomes.

Réédifier les nations autochtones

Nous avons conclu que le droit à l'autonomie gouvernementale ne pouvait pas être véritablement exercé par de petites collectivités distinctes, qu'il s'agisse de collectivités indiennes, inuit ou métisses. Ce droit revient à des groupes d'une certaine taille – des groupes qui peuvent revendiquer la qualité de « nation ».

Malheureusement, les anciennes nations autochtones ont été décimées par la maladie, les réinstallations et tout l'arsenal des politiques gouvernementales assimilatrices. Elles ont été dispersées entre les bandes, les réserves et les petits établissements. Rares sont celles qui fonctionnent encore de façon collective aujourd'hui. Il faudra donc les réédifier en tant que nations.

L'autonomie gouvernementale est un droit auquel les autochtones n'ont jamais renoncé et qu'ils veulent exercer à nouveau.

Nous sommes convaincus que l'appartenance aux nations autochtones ne devrait pas reposer sur le concept de race. Les nations autochtones sont des communautés politiques, qui englobent souvent des peuples d'origines et de traditions diverses. Leurs liens sont tissés par la culture et l'identité, non pas par le sang. Leur unité vient d'une histoire commune et d'un fort sentiment d'appartenance.

Le travail de réédification de ces nations présente un véritable défi aux autochtones. Il leur faudra en effet

  • reconstituer des communautés divisées par des années d'administration à l'échelon de la bande ou de l'établissement;
  • élaborer des constitutions, concevoir des structures et former des responsables pour promulguer les lois et administrer les décisions;
  • négocier de nouveaux rapports avec les deux autres ordres de gouvernement.

Il leur faudra développer leurs ressources humaines. Il leur faudra créer une fonction publique autochtone sur la base solide de l'administration communautaire actuelle. Il leur faudra promouvoir les attitudes nécessaires à l'autonomie gouvernementale. Il leur faudra aussi favoriser la guérison – un processus social et spirituel déjà entamé dans de nombreuses collectivités autochtones.

Pour appuyer la réédification des nations autochtones et remplacer les politiques paternalistes par le partenariat, nous proposons un point de départ audacieux : une nouvelle proclamation royale, entérinée par le monarque qui est notre chef d'État et le gardien des droits des peuples autochtones.

Une nouvelle proclamation ouvrirait avec éclat une ère nouvelle pour les autochtones. Son très important préambule devrait contenir les éléments suivants :

  • affirmation du respect du Canada à l'égard des peuples autochtones en tant que nations distinctes;
  • reconnaissance des gestes préjudiciables posés par les gouvernements antérieurs, qui ont privé les autochtones de leurs terres et de leurs ressources et qui ont perturbé leur vie familiale, leurs pratiques spirituelles et leurs structures de gouvernement;
  • déclaration établissant la relation sur la base du respect, de la reconnaissance, du partage et de la responsabilité mutuelle – pour briser le cycle infernal des reproches et de la culpabilité et permettre aux autochtones et aux non-autochtones de se tourner ensemble vers l'avenir;
  • affirmation du droit des autochtones de diriger leurs propres vies et de contrôler leurs propres gouvernements et leurs propres terres – non pas comme une faveur concédée par les autres gouvernements du Canada, mais en tant que droit inhérent de peuples qui habitent un territoire depuis des temps immémoriaux;
  • reconnaissance du fait que la justice et le fair-play sont essentiels à la réconciliation des autochtones et des non-autochtones et que le gouvernement doit s'engager à créer des institutions et des processus pour promouvoir la justice.

Après la proclamation, le Parlement du Canada adopterait un cadre législatif complémentaire pour créer les lois et les institutions nécessaires à la mise en œuvre d'une relation renouvelée. Ces nouvelles lois viseraient toutes à doter les autochtones des pouvoirs et des outils dont ils ont besoin pour structurer eux-mêmes leur avenir politique, social et économique.

« Autrefois, il existait un système de poids et contrepoids qui fonctionnait bien et qui convenait aux Anishnabés. Nos chefs étaient au service du peuple et défendaient les valeurs de la communauté. La responsabilité n'était pas un objectif du système, mais un élément qui en formait la fibre même. »

Union des Indiens de l'Ontario Mémoire à la Commission (1993)

Il serait primordial d'adopter, entre autres, une loi sur la reconnaissance et le gouvernement des nations autochtones, pour qu'à la fin du processus de restructuration interne et de mise en place des institutions, les nations puissent être reconnues par le gouvernement du Canada.

Pour préparer le nouveau commencement, le gouvernement fédéral devra procéder à une certaine réorganisation :

  • Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et le poste de ministre qu'il comporte devraient disparaître.
  • Un nouveau poste supérieur au sein du Cabinet, celui de ministre des Relations avec les autochtones, devrait être créé, et un nouveau ministère des Relations avec les autochtones devrait être chargé de négocier et de gérer pour le gouvernement fédéral les accords et les arrangements éventuels.
  • Un autre ministre, le ministre des Services aux Indiens et aux Inuit, et un nouveau ministère des Services aux Indiens et aux Inuit devraient être chargés de fournir les services que le gouvernement fédéral continuera d'assurer pendant un certain temps.

Le Premier ministre devrait prendre l'initiative d'amorcer et de maintenir une relation renouvelée et participer à toutes les étapes du processus pour bien montrer l'importance du nouvel accord.

Modèles et pouvoirs des gouvernements autonomes

Les conceptions autochtones de l'autonomie gouvernementale sont aussi variées que les traditions, les circonstances et les aspirations de chaque peuple. Les peuples autochtones de tout le Canada ont soumis une foule de propositions détaillées en vue de l'autonomie gouvernementale. La Commission a défini trois modèles de base qui comportent chacun de nombreuses variantes. Ces modèles sont tous réalistes et applicables dans le cadre de la fédération canadienne.

Gouvernement fondé sur la nation

Les autochtones qui éprouvent un fort sentiment d'identité partagée et qui ont une assise territoriale exclusive choisiront probablement le modèle du gouvernement fondé sur la nation. À l'intérieur de leurs frontières, les gouvernements fondés sur la nation exerceront une large gamme de pouvoirs. Ils pourront choisir d'intégrer des éléments de la structure gouvernementale traditionnelle, opter pour une fédération souple entre régions ou collectivités ou adopter une formule plus centralisée. Il leur faudra définir des façons de représenter les intérêts des résidents non autochtones dans le processus décisionnel.

Gouvernement populaire

Dans certaines régions qu'ils partagent avec des non-autochtones, les autochtones forment la majorité de la population – notamment dans les parties les plus septentrionales du pays. Les accords actuels (p. ex. l'Accord du Nunavut) mentionnent que les nations autochtones dans cette situation choisiront probablement le modèle de gouvernement autonome populaire. Dans ce modèle, tous les résidents participent sur un pied d'égalité au fonctionnement du gouvernement, quelle que soit leur origine. Les structures du gouvernement ressembleraient sans doute à celles des autres gouvernements du Canada, mais elles seraient adaptées de façon à refléter les traditions autochtones et à protéger les cultures autochtones.

La nation tlingit de Teslin, au Yukon, est en train de passer du statut de clan à celui de nation grâce à la création d'organes gouvernementaux : un conseil général, un conseil exécutif, un conseil des anciens et un conseil de justice. Ces conseils ne font pas que reproduire les institutions tlingit traditionnelles, ils reflètent aussi l'importance des clans par leur composition et leur style consensuel de décision.

Gouvernement fondé sur la communauté d'intérêts

Dans les centres urbains, les autochtones de diverses nations constituent une minorité. Ils ne forment pas une nation au sens où on l'entend généralement, mais ils veulent quand même bénéficier d'un certain degré d'autonomie gouvernementale – surtout en ce qui concerne l'éducation, les services de santé, le développement économique et la protection de leurs cultures. Les gouvernements autochtones urbains pourraient fonctionner efficacement à l'intérieur des municipalités. La participation se ferait sur une base volontaire, et les pouvoirs exercés seraient délégués par les gouvernements des nations autochtones ou les gouvernements provinciaux.

Domaines centraux de compétence

Probablement les suivants :

  • citoyenneté et appartenance à la nation
  • institutions gouvernementales
  • élections et référendums
  • accès au territoire et résidence dans celui-ci
  • terres, eaux, banquise et ressources naturelles
  • protection et gestion de l'environnement
  • activité économique (commerce, travail, agriculture, chasse, piégeage, pêche…)
  • réglementation des entreprises, des métiers et professions
  • gestion des fonds publics et des autres avoirs
  • fiscalité
  • questions familiales (mariage, divorce, adoption, garde des enfants…)
  • droits de propriété et droits de succession
  • santé
  • aide sociale et aide à l'enfance
  • éducation
  • langue, culture, valeurs et traditions
  • certains aspects du droit pénal et de la procédure judiciaire
  • administration de la justice
  • maintien de l'ordre
  • logement et travaux publics

À notre avis, le pouvoir des gouvernements autochtones sur les questions se rapportant à la bonne gestion des affaires autochtones et aux intérêts des autochtones et de leurs territoires est un droit ancestral existant qui est reconnu et confirmé dans la Constitution.

Le pouvoir de gouverner se décompose en deux parties : le « centre » et les « confins ». Les domaines centraux du champ de compétence autochtone regroupent les questions cruciales pour la vie et le bien-être d'un peuple autochtone, sa culture et son identité, mais qui n'ont pas d'incidences profondes sur les gouvernements voisins et qui ne font pas par ailleurs l'objet d'un intérêt fédéral ou provincial transcendant.

Sur le plan juridique, rien n'empêche les gouvernements autochtones de prendre en charge dès maintenant les domaines centraux au sein de leurs collectivités et de leurs nations. Sur le plan pratique, bien sûr, ces aspects sont liés aux ententes de programme actuelles avec d'autres gouvernements. Avant que l'on puisse s'attendre, raisonnablement, à ce que les autochtones exercent ces responsabilités, des accords au sujet de nouvelles formules de financement et de nombreuses autres questions devront être conclus.

Les questions qui se situent aux confins de la compétence autochtone – celles qui touchent les terres, les ressources et d'autres intérêts des populations voisines – doivent faire l'objet d'ententes avec les autres gouvernements. Nous songeons à ces questions qui, à l'occasion, suscitent la controverse, dont la lutte contre la pollution, l'accès aux routes et aux voies ferrées, la protection de la faune et certains aspects du système de justice – des questions qu'il faudra régler par des ententes de partage ou de cogestion.

Le financement des gouvernements autonomes

Le financement des gouvernements autochtones nécessitera de nouvelles approches – des approches reconnaissant qu'une grande partie de la richesse du pays vient de terres et de ressources sur lesquelles, dans de nombreux cas, les autochtones ont des prétentions légitimes.

Si l'autonomie gouvernementale s'accompagne d'une juste redistribution des terres et des ressources – comme tel doit être le cas – les gouvernements autochtones pourraient dans une large mesure s'autofinancer à long terme grâce à un accès amélioré à ce que l'on appelle les « recettes autonomes ». Les recettes autonomes parviennent aux gouvernements par des voies familières : l'impôt sur le revenu, l'investissement, l'emprunt, la perception de droits commerciaux et de redevances, les bénéfices des sociétés publiques, des loteries, etc. Ces sources de revenu peuvent et devraient être mises à la disposition des gouvernements autochtones.

Il importe tout particulièrement que les gouvernements autochtones élaborent leurs propres régimes fiscaux. La plupart des autochtones paient aujourd'hui des impôts, mais au fédéral et aux provinces. Nous recommandons que ceux qui vivent dans les territoires des nations autochtones versent le gros de leurs impôts à leurs propres gouvernements. Ceux qui vivent à l'extérieur des territoires autochtones continueraient de payer des impôts aux gouvernements fédéral et provinciaux.

Comme il faudra du temps pour que les nations autochtones aient accès à des recettes autonomes, les paiements de transfert continueront d'être nécessaires – mais dans une moindre mesure. Nous croyons que les traités et les autres ententes intergouvernementales permettront de libérer les paiements de transfert de certaines contraintes relatives à leur utilisation qui frustrent actuellement les autochtones.

« Autrefois, nous avions une tradition d'entraide et de partage. Si un homme était malade ou blessé, le chef envoyait les autres chasser pour lui et chercher du bois pour sa famille. Nous redistribuions nos richesses dans l'intérêt de tous. C'est exactement ce qu'un bon système fiscal doit faire. »

Ernie Crowe, ancien, Cité par le chef, Clarence Jules, Collectivité de Première nation de Kamloops

Les nations autochtones, comme les provinces, auront un accès inégal aux ressources et aux occasions de développement économique, d'où des niveaux de prospérité différents. Nous croyons que les nations qui sont prospères aideront celles qui ne le sont pas. Les paiements de transfert des autres gouvernements contribueront à uniformiser les niveaux de service.

Nous nous attendons aussi à ce que, en se développant, les nations autochtones utilisent leurs ressources pour assumer la responsabilité financière de leurs propres gouvernements et services. Les paiements de transfert pourront être structurés afin de favoriser cette évolution, comme c'est actuellement le cas entre le fédéral et les provinces.

La redistribution des terres et des ressources

Dans le monde entier et à toutes les époques, le contrôle collectif des terres et des ressources a été la clé de la prospérité et la base de la puissante notion de terre natale d'où un peuple tire son identité. La plupart des autochtones ont encore un lien intensément spirituel avec la terre de leurs ancêtres – un lien qui fait intervenir à la fois la continuité et la responsabilité. On ne saurait donc s'étonner que les conflits les plus intenses entre autochtones et non-autochtones portent sur l'utilisation et le contrôle de la terre.

Dans l'ensemble du pays, les autochtones insistent pour un partage élargi – un partage équitable – des terres et des ressources qui, autrefois, n'appartenaient qu'à eux. C'est ce que leur ont promis la couronne d'Angleterre et son successeur, le gouvernement du Canada. Certaines nations autochtones n'ont signé de traité que sur la foi de cette promesse.

En fait, pourtant, sauf dans le nord du Québec et dans les territoires, la superficie des terres attribuées aux autochtones est infime. Les terres autochtones au sud du 60e parallèle (surtout les réserves indiennes) couvrent moins de 0,5 % du territoire canadien. Par contre, aux États-Unis (sans compter l'Alaska), où les autochtones forment une proportion plus faible de la population, leurs terres représentent 3 % des terres de la nation (voir la carte).

Les terres mises de côté pour les autochtones ont été progressivement détournées de leur destination d'origine. Près des deux tiers ont « disparu » de diverses façons depuis la Confédération. Dans certains cas, le gouvernement n'a pas alloué autant de terres que le prévoyait le traité. Dans d'autres, il a exproprié ou vendu des terres réservées, et les Premières nations étaient rarement parties volontaires à la transaction. De temps à autre, ce sont carrément des fraudes qui ont été perpétrées. Même lorsque les Premières nations avaient réussi à conserver les terres qui leur étaient réservées, le gouvernement a parfois vendu les ressources à des intérêts de l'extérieur.

Ces spoliations ont eu lieu malgré le fait que la Couronne avait le devoir solennel de gérer les terres et les ressources au profit des autochtones.

Les Métis, qui croyaient avoir conquis le droit de posséder leurs propres terres et leurs propres ressources dans l'accord conclu avec Ottawa qui a mené à la Loi sur le Manitoba, ont été repoussés de plus en plus loin vers l'ouest – et finalement dispersés en tant que peuple – par la façon fort malhonnête dont l'accord a été administré.

Plusieurs autres questions de politique territoriale se sont envenimées au fil des ans :

  • Les gouvernements n'ont alloué aucune terre à certaines nations autochtones.
  • Les gouvernements ont refusé (à quelques exceptions près) d'accroître le territoire et les ressources naturelles alloués aux Premières nations dont la population et les besoins économiques augmentaient.
  • Les grands projets de mise en valeur des ressources ont eu un effet destructeur sur les terres et les collectivités autochtones.
  • Les droits de récolte que les autochtones détenaient par traité sur les terres traditionnelles ont été contestés et niés par les non-autochtones et les gouvernements.

Au début de la relation, les gouvernements coloniaux respectaient les droits et les titres fonciers ancestraux. Mais avec le temps, des conflits sont apparus. Aux yeux des non-autochtones et des gouvernements, les millions d'hectares de terres non cultivées et non exploitées du Canada formaient les « terres de la Couronne », des terres publiques – leurs terres. Pour les autochtones, la terre n'appartenait qu'au Créateur, mais parce qu'ils en étaient les gardiens, il leur revenait d'en prendre soin, de l'utiliser et de la partager selon leur bon vouloir.

« Nous n'avons pas vraiment notre place ici, dans notre propre pays. Nos gens sont condamnés à des amendes et mis en prison parce qu'ils prennent du gibier et du poisson, alors qu'on nous avait promis un accès permanent à ce gibier et à ce poisson pour notre subsistance. On nous considère de plus en plus comme des intrus dans une grande partie de ce pays, notre pays. »

Les chefs des tribus shuswap, okanagan et couteau (Thompson) de Colombie-Britannique, Lettre au premier ministre Laurier (1910)

Les traités n'ont pas mis fin aux conflits. En fait, les choses se sont détériorées à mesure que les colons s'installaient dans le voisinage des autochtones, qui n'avaient pas prévu à quel point les murs des colons s'opposeraient aux leurs. Ils croyaient que les promesses scellées par les traités conclus avec la Couronne suffiraient à garantir leur survie et leur indépendance. Ils se trompaient.

Le conflit s'est profondément aggravé lorsque la Loi constitutionnelle de 1867 – rédigée sans consultation avec les autochtones – a attribué aux provinces la propriété de toutes les terres de la Couronne.

Si ce que les autochtones croyaient avoir obtenu avait été fourni – une part raisonnable des terres et des ressources à leur usage exclusif, la protection de leurs activités économiques traditionnelles, des redevances sur les ressources et une participation à la nouvelle économie que les colons étaient en train de créer – leur situation dans le Canada d'aujourd'hui serait fort différente. Ils seraient d'importants propriétaires terriens. La plupart des nations autochtones connaîtraient fort probablement l'autonomie économique. Certaines seraient prospères.

Quelques nations autochtones se sont tournées vers les tribunaux pour forcer les gouvernements à reconnaître leurs droits sur la terre et les ressources, et certaines ont vu leurs efforts couronnés de succès. Des décisions judiciaires ont confirmé que les revendications des peuples autochtones au sujet des terres et des ressources ne reposaient pas uniquement sur un fondement moral, mais aussi sur des droits reconnus par la loi.

En ce qui concerne le titre ancestral, le droit établit trois éléments :

  • Les autochtones possèdent des droits d'occupation et d'utilisation qui s'appliquent à un territoire beaucoup plus vaste que celui qu'ils occupent actuellement au Canada. Ces droits découlent du fait qu'ils ont vécu sur ces terres et qu'ils les ont exploitées depuis des temps immémoriaux.
  • Il faut que la Couronne et les nations autochtones s'entendent (notamment par traité) avant que les non-autochtones puissent occuper ou utiliser des terres traditionnelles appartenant à ces nations.
  • La Couronne du Canada est la gardienne du titre ancestral des terres autochtones et elle est tenue de protéger les intérêts des autochtones dans ces terres.

Il est toutefois lourd et coûteux de se tourner vers les tribunaux, et ceux-ci sont parfois insensibles aux problèmes humains sous-jacents aux revendications. Les règlements négociés, en vertu desquels les parties s'entendent directement et parviennent à des accords complexes, sont préférables. Ils sont essentiels dans les rapports de nation à nation.

Les terres et les ressources sont un dû pour les peuples autochtones, pour des raisons aussi bien historiques que contemporaines. Les terres et les ressources forment l'infrastructure indispensable au développement politique, économique et social. Pour réédifier leurs nations, les autochtones ont besoin :

  • de suffisamment de terres pour avoir l'impression d'un coin de pays qui leur appartienne – non seulement un espace physique, mais aussi un lieu revêtant une signification culturelle et spirituelle;
  • de suffisamment de terres pour pouvoir se livrer à leurs activités traditionnelles, dont la chasse et le piégeage;
  • de suffisamment de terres et de ressources pour subvenir à leurs besoins;
  • de suffisamment de terres et de ressources pour apporter une contribution valable au financement des gouvernements autonomes.

« Il n'a jamais été du ressort des tribunaux de définir les conditions détaillées des ententes entre la Couronne et les Premiers peuples. Nous nous sommes présentés devant les tribunaux à notre corps défendant.« 

Le chef Edward John, Sommet des Premières nations de Colombie-Britannique

Un plan de partage équitable

Depuis de nombreuses années, le Canada utilise un processus de règlement des revendications territoriales. Son but est de permettre aux Premières nations de présenter soit une revendication particulière (par exemple, la restitution de terres de réserve indûment vendues par le gouvernement), soit une revendication globale visant l'allocation de la terre traditionnelle de la nation dans les cas où aucun traité n'a été conclu avec le Canada.

Le processus actuel de revendications territoriales est largement vicié :

  • Il suppose que les droits ancestraux ne s'appliquent pas aux terres de la Couronne – à moins que les nations autochtones ne puissent prouver le contraire. Cette position contrevient à la doctrine de la pérennité du titre ancestral et au devoir de la Couronne de protéger les intérêts des autochtones.
  • Le gouvernement du Canada contrôle le processus. Il défend les intérêts de la Couronne et est en outre juge et jury lors de l'examen des revendications. C'est là de toute évidence un conflit d'intérêts, puisque le gouvernement se considère comme le perdant lorsqu'une revendication est réglée en faveur des autochtones.
  • Les Métis sont en général exclus de ce processus, ce qui les laisse sans assise territoriale, sans ressources et sans mécanisme pour présenter leurs griefs.
  • Le gouvernement a toujours (à une exception près) exigé des revendicateurs autochtones qu'ils renoncent à leurs droits fonciers ancestraux – ou consentent à leur « extinction » – et se plient à des conditions précises exposées dans le règlement. Les autochtones ne peuvent accepter une telle rupture de leur lien avec la terre.

Il est grand temps d'adopter un nouveau processus pour négocier une juste répartition des terres et des ressources. La Commission propose d'intégrer cet aspect à de nouveaux processus relatifs aux traités (décrits dans la suite du chapitre) et de créer trois catégories de terres :

  1. Des terres choisies dans les territoires traditionnels, qui appartiendraient exclusivement aux nations autochtones et seraient placées sous leur seul contrôle.
  2. D'autres terres faisant partie des territoires traditionnels, qui appartiendraient conjointement aux gouvernements autochtones et non autochtones et qui feraient l'objet d'accords de gestion partagée.
  3. Des terres qui appartiendraient à la Couronne et demeureraient sous son contrôle, mais sur lesquelles les autochtones auraient des droits spéciaux, dont le droit d'accès aux lieux historiques et sacrés.

« Nous croyons que le principe du partage de nos terres ancestrales et de leurs ressources naturelles est la base des ententes conclues par traité. Les notions de cogestion des ressources et de partage des revenus conviennent donc tout à fait à la mise en œuvre des traités. »

Le chef George Fern, Conseil tribal de Prince Albert, La Ronge (Saskatchewan)

La plupart des terres s'inscriraient dans la troisième catégorie.

À l'appui des nouveaux processus, nous recommandons la création de commissions régionales des traités et d'un tribunal des traités et des terres autochtones.

Les commissions régionales faciliteraient la négociation des traités, mais elles ne mèneraient pas ces négociations; cette tâche incomberait encore aux dirigeants politiques.

Le tribunal serait d'abord et avant tout chargé de veiller à ce que les négociations relatives à des traités soient menées de bonne foi et convenablement financées. Deuxièmement, il veillerait à ce que les intérêts de toutes les parties soient protégés pendant les négociations. Troisièmement, il entendrait les revendications particulières se prêtant à un règlement à court terme.

En 1988, le Conseil tribal de Meadow Lake, dans le nord-ouest de la Saskatchewan, a obtenu l'aide du gouvernement fédéral pour acheter 40 % des actions d'une papetière en difficulté, la NorSask Forest Products, et en moderniser l'équipement. L'aide du gouvernement provincial a permis d'obtenir une concession de ferme forestière. Le conseil tribal a ensuite formé de nouvelles entreprises pour procéder à des travaux de reboisement, d'exploitation forestière et de construction routière. Ces entreprises ont depuis lors versé 11 millions de dollars en taxes et impôts et fait économiser 10 millions de dollars à l'aide sociale en fournissant du travail à 240 chômeurs.

Les nouveaux processus que nous proposons en matière de négociation des traités ne donneront pas immédiatement de résultats. Il faut donc prendre des mesures intérimaires pour fournir suffisamment de terres et de ressources pour répondre aux besoins immédiats des nations autochtones.

  • Le gouvernement fédéral peut aider les Premières nations à accroître leur assise territoriale actuelle, 1) en allouant toutes les terres promises en vertu de traités existants; 2) en rendant aux Premières nations toutes les terres qui ont été expropriées ou achetées, si elles ne sont pas utilisées; 3) en établissant un fonds d'acquisition foncière pour aider les autochtones à acheter des terres sur le marché libre.
  • Les autochtones ont dans une large mesure été exclus des industries primaires du Canada – même la foresterie et les pêches, où ils constituaient autrefois une proportion importante de la main-d'uvre. Les gouvernements peuvent revoir leurs politiques et mettre sur pied des programmes visant à accroître l'accès des autochtones aux ressources naturelles.
  • Les gouvernements peuvent continuer à conclure des accords de cogestion avec les autochtones. Le but de la cogestion est le partage de la responsabilité et des bénéfices de ressources particulières lorsque des intérêts importants se chevauchent, par exemple dans le domaine des pêches sur la côte ouest, de la foresterie dans de nombreuses régions et de toutes les ressources de certains parcs nationaux et provinciaux.

À défaut d'une redistribution des terres et des ressources, les autochtones en seront réduits à la dépendance à l'égard des autres Canadiens – source inévitable de doléances des deux côtés.

Le développement économique

Les autochtones veulent avoir une existence convenable, ne plus être dépendants, cesser d'être stigmatisés, ne plus éprouver le sentiment d'échec personnel qui accompagne la dépendance, ni souffrir des effets débilitants de la pauvreté. L'autonomie économique permettra aux nations autochtones et à leurs membres de s'épanouir et d'assurer le succès de leurs nouveaux gouvernements.

L'autonomie historique des autochtones et de leurs nations a été détruite de diverses façons :

  • Leur contrôle sur leurs terres et leurs ressources a été miné ou usurpé.
  • De nouvelles formes d'activité économique (agriculture, transformation) ont été monopolisées par les non-autochtones et leurs entreprises.
  • Les gouvernements n'ont pas respecté l'esprit ni l'objectif des traités, qui promettaient de préserver les moyens de subsistance traditionnels – la chasse, la pêche, le piégeage, le commerce – et d'aider les autochtones désireux d'adopter les métiers et professions des colons.
  • Les lois, notamment la Loi sur les Indiens, ont nui à l'activité économique dans les réserves en restreignant les flux de capitaux et en limitant la capacité décisionnelle des gouvernements et des entrepreneurs des Premières nations.
  • Les entreprises, les industries et d'autres employeurs n'ont commencé que récemment à accueillir quelques autochtones au sein de leur personnel.
  • Les établissements d'enseignement et de formation n'ont commencé que récemment à accueillir quelques étudiants autochtones, de sorte que peu d'adultes sont en mesure de postuler de bons emplois.

Plusieurs facteurs font de la revitalisation des économies autochtones un défi de taille :

  • Dépendance. La plupart des nations et des collectivités autochtones sont fortement dépendantes des fonds gouvernementaux. La plupart n'offrent que des possibilités d'emploi limitées. Rares sont celles qui peuvent promettre des emplois à la majorité de leurs enfants.
  • Inégalité. En 1991, 54 % des autochtones touchaient un revenu annuel inférieur à 10 000 $, contre 34 % des Canadiens dans l'ensemble du pays. Le chômage est élevé et il a passablement augmenté au cours des 10 dernières années, à mesure que la population des jeunes augmentait.
  • Croissance rapide de la population active. Des taux de natalité et une espérance de vie plus élevés ont produit une forte augmentation de la population autochtone (voir graphique ci-contre). Le nombre des enfants de moins de 16 ans est particulièrement élevé, ce qui laisse présager d'énormes besoins en matière d'emploi.
  • Variabilité. Il y a des nations autochtones dans toutes les régions du pays, de l'est à l'ouest et du nord au sud, dans des villages isolés comme dans les villes. La plupart n'ont guère de ressources naturelles à leur disposition, même si beaucoup possèdent de grandes richesses souterraines. L'activité économique des collectivités va des récoltes traditionnelles aux emplois salariés modernes. Les économies sont parfois assujetties aux contraintes de la Loi sur les Indiens, parfois appuyées par des programmes fédéraux – et parfois hors de la portée de tous ces mécanismes.

En raison de cette complexité, les moyens et les stratégies permettant de parvenir à l'autonomie économique varieront. Aucun plan ou programme de développement économique ne donnera à lui seul de bons résultats.

La propriété des terres et des ressources est essentielle pour créer le revenu et la richesse dont ont besoin les autochtones et leurs nations. Cette propriété n'est toutefois pas suffisante. Les collectivités et les nations qui désirent contrôler la richesse que représentent leurs ressources ne veulent pas que leur économie soit gérée par des spécialistes de l'extérieur. Les collectivités autochtones commencent seulement à relever le défi qui consiste à mettre en valeur les talents nécessaires à l'activité économique moderne ou traditionnelle.

Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux devraient œuvrer de concert pour stimuler la vitalité économique, tant dans le secteur traditionnel que dans le secteur moderne – afin que tous les autochtones puissent mener une existence convenable, que l'on soit sculpteur à Cape Dorset, enseignant à Saskatoon ou piégeur à temps partiel et technicien radio à Moose Factory.

Le développement économique récent permet d'espérer un avenir meilleur. Le défi qui consiste à transformer un progrès ponctuel en révolution de la vie économique des autochtones demeure immense.

Il n'y a que cinq ingénieurs forestiers et moins de dix géologues agréés qui sont d'origine autochtone dans l'ensemble du Canada. Dans un récent document de travail consacré à la réforme de la sécurité sociale, Développement des ressources humaines Canada estimait que 45 % de tous les nouveaux emplois créés entre 1990 et l'an 2000 nécessiteraient plus de 16 ans d'études et de formation.

Les leviers du changement économique

Il ne sera pas facile de transformer les économies autochtones pour qu'elles passent de la dépendance à l'autosuffisance. Pour la plupart des nations, l'élan viendra principalement de l'accès à une juste part des terres et des ressources.

Les récents règlements de revendications territoriales permettent de croire que les nations utiliseront leurs forêts, leurs ressources minières, leur poisson, leur faune et d'autres ressources pour créer des emplois, produire des revenus et jeter les bases d'une économie diversifiée. L'accès aux ressources est la clé du développement, mais l'accroissement de l'assise territoriale et des ressources ne suffira pas. Il faut aussi prévoir d'autres stratégies.

Rétablissement du contrôle

Les Cris de l'est de la baie James, au Québec, ont signé en 1975 un traité moderne, la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Les Cris de l'ouest de la Baie James, en Ontario, ont signé le Traité 9 en 1905-1906. L'entente de 1975 a permis aux Cris de l'Est d'améliorer leur situation économique. Ces Cris ont plus de terres, un meilleur accès aux ressources et plus de capitaux que leurs voisins de l'Ouest. Malgré le litige qui les oppose au Québec quant à la portée de leurs droits, ils font l'envie des Cris de l'Ouest, qui ont seulement un accès limité aux terres et aux ressources et aucun argent à investir dans les initiatives comme le programme de sécurité du revenu dont les chasseurs et trappeurs cris bénéficient au Québec.

À l'heure actuelle, les collectivités autochtones ont accès à des programmes de développement économique changeants, la plupart du temps gérés à distance depuis les bureaux des gouvernements. Elles doivent adapter leurs projets de développement à des critères définis par des autorités extérieures.

Nous demandons aux gouvernements fédéral et provinciaux de conclure des accords de développement à long terme avec les nations autochtones pour leur fournir le soutien, les conseils et le financement stable nécessaires au développement économique. Les nations autochtones pourraient concevoir des programmes, prendre des décisions d'investissement et répondre de la gestion des ressources devant leurs membres.

Le rétablissement du contrôle sur les questions économiques ne créera que des difficultés aux nations autochtones si ces dernières n'ont pas les ressources humaines et la capacité de gestion nécessaires. Il leur faut de l'aide pour former du personnel et créer des institutions régionales et nationales pour investir dans des secteurs précis – l'exploitation des ressources, l'agriculture, les communications, le tourisme, etc. – et gérer des entreprises.

Création d'entreprises

Les gouvernements ont collaboré avec les entrepreneurs autochtones pour les aider à devenir l'un des moteurs de la croissance économique dans les collectivités autochtones. Beaucoup ont montré qu'ils avaient toute une gamme de talents comme entrepreneurs et gestionnaires d'entreprises communautaires.

  • De nombreuses entreprises ont été créées ces dernières années. Environ 10 % des autochtones se déclarent propriétaires d'entreprises ou travailleurs autonomes.
  • Le travail autonome a nettement augmenté au cours des 10 dernières années, en particulier chez les femmes autochtones.

Les entrepreneurs font face aux mêmes défis qu'ailleurs : il faut planifier, trouver des capitaux, offrir un bon produit et le commercialiser efficacement. Les entrepreneurs autochtones sont toutefois confrontés à d'autres défis : les capitaux sont limités, les banques et les autres institutions financières ne leur font pas confiance, il n'y a ni services ni conseillers pour les entreprises locales, les marchés locaux sont de taille très réduite et, parfois, les communautés voisines manifestent de l'hostilité.

Mon beau-père a frémi la première fois qu'il a entendu dire que l'aide sociale serait offerte dans le Nord. D'après lui, cette mesure ne pouvait pas apporter aux Inuit de solution économique acceptable à long terme, mais elle allait créer une grande dépendance, à laquelle personne ne pourrait plus échapper.

Charlie Evalik, Cambridge Bay, (Territoires du Nord-Ouest)

C'est peut-être dans le domaine des entreprises collectives que les nations autochtones ont connu le plus de succès – les actions de la société sont alors détenues par le gouvernement de la collectivité ou de la nation, au nom de ses membres. Par l'entremise de leurs sociétés, des collectivités exploitent des services aériens régionaux. Elles participent à la gestion forestière, à la sylviculture, à la récolte et à la transformation du bois. Elles exploitent des épiceries et des réseaux de distribution de produits alimentaires en gros, des motels, des hôtels, des salles de quilles, des terrains de golf, ainsi de suite.

Certaines ont connu des difficultés : elles ont fait des erreurs, perdu de l'argent, parfois même déclaré faillite. Mais ces expériences ont permis de tirer des leçons précieuses, et il y a maintenant de nombreux autochtones qui ont les connaissances et la confiance nécessaires pour gérer des entreprises commerciales modernes.

Ceux-là, et ceux qui les suivront, auront besoin d'aide. Nous recommandons que les gouvernements autochtones et non autochtones travaillent de concert pour mettre sur pied :

  • des services améliorés aux entreprises;
  • un accès amélioré aux prêts et aux fonds d'immobilisation, notamment grâce à une banque nationale de développement autochtone;
  • un accès amélioré aux marchés.

Emploi

Le problème de l'emploi est immense. Il faudrait créer à l'heure actuelle 80 000 emplois, simplement pour porter le taux d'emploi des autochtones au même niveau que le taux global de l'emploi au Canada. Sans intervention, la situation se détériorera. La population autochtone est jeune : 56 % des autochtones ont moins de 24 ans, contre 34 % de la population canadienne. Il faudra trouver 225 000 emplois supplémentaires pour ces jeunes au cours des 20 prochaines années.

Nous proposons un effort soutenu pour accroître l'emploi des autochtones, entre autres :

  • un programme spécial, sur 10 ans, pour former des autochtones en prévision du travail qu'il faudra accomplir dans les nations nouvellement autonomes;
  • une nouvelle approche à l'équité en matière d'emploi, en vertu de laquelle les employeurs collaboreront avec les organisations autochtones pour prévoir les emplois disponibles et former des autochtones en conséquence;
  • des mesures visant à accroître le nombre des agences de placement autochtones et leur capacité de placer des autochtones dans la main-d'œuvre active;
  • des services de garde d'enfants pertinents sur le plan culturel et à prix abordable, afin qu'un plus grand nombre de parents autochtones puissent s'intégrer à la population active.

« On a souvent l'impression, chez les autochtones comme chez les autres Canadiens, que les autochtones n'ont ni le talent ni le tempérament voulus pour s'imposer comme entrepreneurs. Je ne suis pas d'accord. »

Ron Jamieson, Mohawk des Six-Nations et vice-président de la Banque de Montréal

Jamieson a défini quatre qualités essentielles à la réussite en affaires : le goût du risque, la discipline, la clarté de vision et l'aptitude à répondre aux besoins de la collectivité ou du client. Les autochtones possèdent ces qualités.

Éducation et formation

L'investissement public dans le domaine de l'éducation et de la formation est essentiel à l'amélioration des perspectives d'emploi des autochtones dans le marché actuel de l'emploi. Il y a pénurie d'autochtones formés dans des domaines comme l'économie, la santé, le génie, la planification de l'habitat, la foresterie, la gestion de la faune, la géologie et l'agriculture – pour n'en nommer que quelques-uns.

Les nations autochtones ne pourraient reconstruire leurs institutions politiques, gérer leurs économies ou doter leurs services sociaux sans un personnel compétent. Pourtant, les taux de réussite à l'école secondaire et à l'université sont faibles chez les jeunes autochtones.

Il est essentiel de donner aux jeunes la volonté de terminer leurs études si l'on veut améliorer la situation économique des collectivités autochtones. Les jeunes ont besoin d'une solide formation traditionnelle et des aptitudes utiles à la société contemporaine. Ceux qui possèdent ces aptitudes et contribuent au progrès de leurs collectivités et de leurs nations doivent être considérés comme les équivalents modernes des grands chasseurs et chefs d'autrefois.

L'éducation et la formation sont abordées plus en détail au chapitre 3.

Solutions de rechange à l'aide sociale

Dans les collectivités autochtones, le recours à l'aide sociale est une conséquence de la confiscation de portions de plus en plus importantes de terres. Les autochtones ont commencé à souffrir de pauvreté, de sous-alimentation et de divers maux. Beaucoup sont morts jeunes. Le gouvernement a choisi d'offrir une aide à court terme plutôt que d'appuyer de façon soutenue la restructuration des économies autochtones dévastées – un choix reconfirmé à maintes reprises au cours des deux derniers siècles.

Il y a quelques années, dans la collectivité dénée de Fort Franklin (Territoires du Nord-Ouest), le conseil a décidé d'utiliser une partie des fonds de l'aide sociale pour verser un salaire aux bénéficiaires de l'aide sociale contre l'exécution de travaux dont la municipalité avait grand besoin : rénover et repeindre les édifices publics, nettoyer les aires publiques, ramasser du bois pour les anciens et pour les mères sans conjoint. Cette initiative a donné d'assez bons résultats, mais elle a été interrompue par le gouvernement lorsque les responsables ont découvert que les bénéficiaires travaillaient pour toucher leurs prestations.

À partir des années 60, l'aide sociale a été dispensée aux autochtones au même titre qu'aux autres Canadiens. Depuis, de plus en plus d'autochtones en sont devenus dépendants. Le taux de dépendance des autochtones à l'égard de l'aide sociale est maintenant de deux à quatre fois supérieur à celui de l'ensemble des Canadiens. De nombreux intervenants ont, au cours des audiences publiques de la Commission, déploré la perte d'autonomie de peuples autrefois réputés pour cette autonomie, une érosion attribuable à l'effondrement de l'économie et à la disponibilité de l'aide sociale.

Il n'y aura peut-être jamais suffisamment d'emplois pour combler tous les besoins des collectivités autochtones. Pourtant, l'aide sociale comme elle se présente maintenant n'est pas satisfaisante, car elle condamne les bénéficiaires à la marginalité. Elle évite peut-être une pauvreté abjecte, mais elle peut aussi étouffer l'initiative individuelle et ne contribue guère à améliorer les conditions qui entraînent la dépendance.

Nous croyons que les collectivités autochtones doivent pouvoir affecter les fonds actuellement versés aux prestataires de l'aide sociale à la promotion d'un développement économique plus global :

  • Les collectivités ou les nations autochtones pourraient prendre en charge les fonds versés à leurs membres par l'aide sociale. Cet argent, ainsi qu'un montant complémentaire destiné aux investissements et à d'autres coûts, pourrait servir à financer des projets locaux, par exemple de nouvelles routes, un centre communautaire ou une entreprise. Les chômeurs aptes au travail pourraient participer à ces projets et recevoir un salaire plutôt que l'aide sociale. Ils en tireraient une expérience et des aptitudes utiles, et la collectivité dans son ensemble profiterait de leur travail.
  • Le dédale des programmes d'aide offerts dans les centres urbains pourrait être simplifié grâce à un guichet de services unique. Les fonds actuellement consacrés à l'adaptation au milieu, à la formation en vue d'un emploi, à la recherche d'emploi, à la garde d'enfants et au soutien du revenu pourraient être combinés pour appuyer une planification holistique en vue d'aider les personnes à opérer des changements dans leurs vies.
  • Dans les régions éloignées, les fonds de soutien du revenu pourraient appuyer des activités difficiles à financer, notamment les activités traditionnelles de récolte. Le programme de sécurité du revenu des Cris de la baie James nous offre un modèle.

Il est urgent de procéder à des réformes. Selon les recherches commandées par la Commission, on prévoit que si les conditions économiques et les programmes d'aide sociale dans les réserves ne sont pas radicalement modifiés dans un proche avenir, le coût de l'aide sociale atteindra 1 milliard de dollars en 1999 et 1,5 milliard de dollars en 2002.

Lorsque les jeunes autochtones cherchent un emploi, ils doivent non seulement surmonter tous les obstacles habituels que rencontrent les jeunes, mais aussi faire face au racisme systémique et individuel. Très peu d'employeurs sont disposés à nous donner simplement la chance de prouver que nous sommes capables d'être à la hauteur. Quand serons-nous traités de façon équitable et juste par ceux avec qui nos ancêtres ont si généreusement partagé notre terre et ses ressources?

Gail Daniels, Anishnaabe Oway-Ishi, Toronto (Ontario)

Les traités, vecteurs de changement

La Commission propose un vaste programme de changement axé sur deux objectifs :

  • La réédification des nations autochtones, ce qui semble être la façon la plus appropriée de permettre aux autochtones de protéger leur patrimoine et leur identité, de ramener la santé et la prospérité dans leurs collectivités et de redéfinir leur relation avec le Canada.
  • La restauration de rapports marqués par le respect mutuel et l'équité entre les autochtones et les non-autochtones.

Même si le projet semble complexe, il est réalisable. Le mécanisme central du changement est le traité.

Les traités sont depuis longtemps une façon honorable de régler les différends entre les peuples, les nations et les gouvernements. Même si les traités conclus entre le Canada et les nations autochtones ont été ignorés et violés au cours des ans, la formule du traité demeure un outil puissant pour définir les conditions d'une relation.

Les traités sont depuis longtemps une façon honorable de régler les différends entre les peuples, les nations et les gouvernements.

Pour voir comment les traités peuvent être employés dans le contexte contemporain, les Canadiens doivent mieux les comprendre. En gros, les traités sont :

  • Des promesses échangées entre la France, la Grande-Bretagne ou le Canada, d'une part, et les peuples autochtones, d'autre part.
    Pour assurer la paix ou conclure des alliances avec les nations autochtones, pour avoir des droits d'occupation et de mise en valeur des terres autochtones, les Couronnes de France, de Grande-Bretagne et, par la suite, du Canada ont promis aux peuples autochtones la protection, des avantages et une part des richesses – à perpétuité. Il incombe maintenant aux gouvernements canadiens de tenir ces promesses.
  • Des accords de nation à nation.
    Les traités ne consacrent pas une défaite ou l'assujettissement. Les signataires ne renoncent pas à leur identité nationale, ni à leur façon de vivre, de travailler et de se gouverner. Ils reconnaissent plutôt leur désir commun de vivre dans la paix et l'harmonie, conviennent de règles de coexistence, puis s'efforcent de remplir leurs engagements les uns envers les autres.
  • Des engagements sacrés et permanents.
    Les traités historiques n'étaient pas pris à la légère par les parties signataires. Leur but était de créer une relation permanente de paix et d'amitié. Sans eux, les signataires s'exposaient à perdre des occasions commerciales et auraient peut-être connu la guerre et des effusions de sang. Les traités étaient scellés par des serments sacrés, annoncés en grande pompe et considérés comme des documents officiels exécutoires. Les multiples violations dont ils ont fait l'objet n'enlèvent rien à leur légitimité sous-jacente.
  • Un élément de la Constitution du Canada.
    Les traités définissent de vastes contrats sociaux entre peuples indépendants, tout comme les conditions de l'union par laquelle les anciennes colonies britanniques sont devenues des provinces au sein de la Confédération. Ce sont des documents constitutionnels, reconnus et confirmés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. À ce titre, ils font partie du droit du pays.
  • Essentiels à l'honneur du Canada.
    Les traités sont l'une des grandes réalisations des sociétés humaines. Ils permettent de régler les pires conflits en faveur de la coexistence et du respect. Ils expriment le choix de vivre en harmonie avec les autres plutôt que de faire couler le sang ou d'exercer un pouvoir en employant les formes les plus subtiles de la violence. La signature d'un traité a toujours marqué un engagement profond entre peuples. Une nation ou un gouvernement qui enfreint un traité le fait au prix de sa réputation.

Nous soutenons que la relation établie par traité doit être restaurée et utilisée à compter de maintenant comme base du partenariat entre autochtones et non-autochtones au Canada.

À cette fin, il faudra respecter et renouveler les traités existants et conclure de nouveaux traités avec les peuples autochtones qui n'en ont pas déjà signé.

Le moyen de faire régner la paix dans ce pays existe déjà : ce sont les relations d'amitié établies par nos traités. C'est l'incontournable point de départ.

Charlie Patton, Mohawk Trail Longhouse, Kahnawake (Québec)

Respect et renouvellement des traités

Les comptes rendus des négociations qui ont mené à la conclusion des traités historiques sont truffés de malentendus et de contradictions. On ne saurait s'en étonner. Les négociateurs ne parlaient pas la même langue et ils vivaient dans des univers différents. Malgré leurs cultures et leurs visions du monde profondément différentes, ils tentaient de définir des façons de partager un domaine.

La mise en œuvre des conditions et des promesses des traités a fait problème dès le départ. À mesure que le temps passait et que l'équilibre des pouvoirs entre autochtones et non-autochtones se modifiait, les gouvernements ont pu ignorer les conditions et les promesses qui ne leur convenaient plus. Ainsi,

  • on avait promis aux Anishnabés (Ojibwas) des lacs Huron et Supérieur que la rente qu'ils recevaient en échange de l'exploitation de leurs terres traditionnelles augmenterait si les revenus tirés de leurs ressources augmentaient;
  • on avait promis aux autochtones de la vallée de l'Okanagan, en Colombie-Britannique, que s'ils ouvraient leur vallée aux colons ils pourraient avoir les terres de réserve de leur choix;
  • on avait promis aux chefs du nord-ouest de l'Ontario qu'ils auraient le droit inaliénable de chasser et de pêcher sur les terres de la Couronne s'ils signaient le Traité 9.

Ces promesses n'ont pas été honorées. Les Canadiens considèrent que l'équité et le respect des traités sont encore aujourd'hui un devoir du Canada.

Le renouvellement des traités permet de régler les désaccords fondamentaux entre les autorités autochtones et non autochtones au sujet de la teneur et du but véritable des traités.

De nombreux autochtones affirment que la version écrite des traités ne reflète pas avec exactitude les engagements essentiels pris verbalement par les négociateurs. Ils soutiennent de plus que les traités ne sont pas simplement la consignation d'un accord, mais qu'ils constituent aussi une tentative d'influer sur l'entreprise infiniment complexe que représente le partage d'un pays. Il s'agit d'ententes qui portent sur la vie en commun, de documents vivants qui doivent être révisés et réinterprétés de façon régulière en fonction de leur objectif.

Les gouvernements non autochtones y voient des documents de portée beaucoup plus restreinte. Ils soutiennent que le traité écrit est le traité complet et qu'il faut l'interpréter de façon littérale.

Lorsqu'il s'agit d'interpréter les conditions d'un traité… il y va toujours de l'honneur de la Couronne et aucune apparence de « manouvres malhonnêtes » ne doit être tolérée.

Cour d'appel de l'Ontario, R. c. Taylor and Williams (1981)

Les preuves historiques sont indéniables quant au premier point en litige : les textes des traités ne sont pas la reproduction complète et fidèle des ententes conclues.

Au sujet du deuxième point, la Commission a déterminé que les traités devaient être mis en œuvre pour refléter leur objectif – non pas seulement les mots, prononcés ou écrits. Le libellé des traités d'autrefois reflète les valeurs d'autrefois.

Par exemple, la rente annuelle de 5 $ que prévoyait le traité – un don commémorant l'accord aux yeux des autochtones, une forme de rente en contrepartie de l'utilisation de la terre aux yeux des Européens – était une somme importante à l'époque. Pareillement, la promesse d'un buffet à médicaments constituait pour ceux qui signaient le Traité 6 un engagement à fournir les meilleurs soins de santé possible à cette époque.

Ce qui caractérise un traité, c'est l'intention de créer des obligations… Une fois que l'on constate l'existence d'un traité valide, ce traité doit, à son tour, recevoir une interprétation juste, large et libérale.

Cour suprême du Canada R. c. Sioui (1990)

Lorsque les autorités canadiennes insistent sur une interprétation littérale de ces dispositions, elles tentent uniquement de défendre leurs intérêts. Pour établir une relation saine entre autochtones et non-autochtones, il faut appliquer les traités en allant au-delà de leur formulation désuète et en retrouvant l'esprit qui les animait.

Pour que soient respectés et renouvelés les traités historiques, nous recommandons que les gouvernements canadiens

  • respectent les dispositions écrites des traités existants, complétées par les éléments de preuve orale;
  • interprètent les dispositions de chaque traité de façon libérale, conformément à l'esprit des accords conclus;
  • se fassent les protecteurs (et non pas les adversaires) des intérêts autochtones et concilient les intérêts de la société dans son ensemble avec les dispositions des traités;
  • reconnaissent que les Premières nations n'ont pas renoncé à leur titre ancestral ni consenti à l'extinction de tous leurs droits sur leurs terres lorsqu'elles ont signé les traités – il est plus raisonnable, pour ce qui est de l'interprétation, de supposer qu'elles ont consenti à partager et à cogérer les terres et les ressources;
  • reconnaissent qu'en signant les traités avec les peuples autochtones, la Couronne du Canada a reconnu le droit inhérent de ces peuples à l'autonomie gouvernementale, leur droit d'administrer leurs propres affaires et leur droit de conclure des ententes avec les gouvernements d'autres nations;
  • établissent un processus permettant de respecter et de renouveler les traités existants, en fonction de ces principes.

Conclusion de nouveaux traités

Dans les premiers temps, les gouvernements coloniaux et canadiens ont signé des traités seulement avec les Premières nations – et même, seulement avec certaines Premières nations. Ces dernières années, le Canada a conclu quelques nouveaux accords qui s'apparentent à des traités, notamment

  • avec les Inuit et les Cris (puis les Naskapis) de la baie James et du Nord québécois (1975 et 1978);
  • avec les Inuvialuit (puis les Inuit) des Territoires du Nord-Ouest (1984 et 1993);
  • avec les Premières nations du Yukon (1993);
  • avec les Nisg_a'as de la Colombie-Britannique (1996).

Mais de nombreuses nations n'ont pas encore signé de traité d'aucun type. Nous croyons que celles qui n'ont ni traité ni autre entente précisant leur relation avec le Canada ont le droit de chercher à en conclure. De son côté, le Canada a le devoir de signer de tels instruments.

Nous proposons un nouveau processus d'établissement de traités pour parvenir à la réconciliation au cours des 20 prochaines années. Un processus convenu d'établissement de traités permettrait d'appliquer pratiquement toutes les recommandations contenues dans notre rapport – en fait, il pourrait bien s'agir du seul mécanisme qui s'offre à nous.

Les principaux objectifs du nouveau processus s'énonceraient ainsi :

  • établir l'entière compétence des nations autochtones comme élément constitutif d'un ordre autochtone de gouvernement;
  • accroître l'assise territoriale et les ressources placées sous contrôle autochtone.

Il est vain d'adopter une politique présupposant que les conditions de règlement des revendications territoriales puissent être fixées à perpétuité. Aucune décision ne peut être irrévocable au sujet des compromis qui doivent être faits, génération après génération, entre sociétés. La conclusion d'une entente moderne pour régler une revendication territoriale doit être considérée comme un début, non pas comme une fin.

Bernadette Makpah, Nunavut Tunngavik Inc.

Les Canadiens peuvent se demander pourquoi, après toutes ces années de promesses brisées et d'espoirs déçus, les autochtones mettraient leur confiance dans un nouveau processus. Nous croyons que leur confiance peut être ravivée, et leur participation obtenue, si le nouveau processus d'établissement de traités repose sur un fondement incontestable dans les mots et dans les gestes – conformément à son importance en tant qu'outil servant à façonner un État.

Pour débuter, nous recommandons que le Parlement manifeste son appui à une relation scellée par traité, sous la forme d'une nouvelle proclamation royale. En soi, une nouvelle proclamation ne changera rien; il faut qu'elle s'accompagne d'une législation établissant les principes directeurs des processus relatifs aux traités et créant de nouveaux organes décisionnels indépendants du gouvernement pour mener les négociations.

Dans cette législation complémentaire, il faudrait notamment inclure en priorité une loi d'exécution des traités avec les autochtones, aux fins suivantes :

  • Établir un processus pour que les nations autochtones reconnues puissent renouveler les traités actuels ou en négocier de nouveaux.
  • Définir les processus et les principes directeurs des négociations.
  • Ces principes directeurs comprendraient un engagement concernant la mise en œuvre des traités existants, suivant l'objectif de ces instruments, et la renégociation des dispositions des traités si, à l'époque de leur conclusion, les intentions des signataires ne concordaient pas.
  • Établir des commissions régionales des traités, pour lancer et gérer le processus de négociation, lesquelles bénéficieraient des conseils du Tribunal des traités et des terres autochtones au sujet de certaines questions. Pour préserver leur légitimité, les commissions des traités seraient indépendantes des gouvernements. Leur mandat consisterait non pas à déterminer l'issue des négociations, mais à faciliter le processus. Chaque traité découlerait d'une entente politique, librement conclue par toutes les parties et acceptée par les populations représentées.

Les traités existants peuvent et doivent être respectés, et la possibilité de conclure des traités devrait être offerte à toutes les nations autochtones. Si le processus est mené avec honnêteté et équité, l'établissement de traités restaurera le partenariat entre autochtones et non-autochtones.

Les traités nécessitent un processus quelconque de mise en ouvre, une entente institutionnelle qui permettra de veiller à ce que leur esprit même soit respecté, à ce que la relation soit renouvelée et à ce que les traités soient reconnus par tous ceux qui vivent dans le pays.

Tony Hall, Université de Lethbridge, Lethbridge (Alberta)

Le Canada peut se permettre de procéder ainsi. En fait, il ne peut pas se permettre de faire autrement, car il se trouverait alors à maintenir les autochtones dans un état de dépendance et de désorganisation sociale – mesuré en termes de détresse humaine, de productivité perdue et de prolifération des programmes gouvernementaux – à un coût énorme, comme nous l'exposons au chapitre 5.

Une relation redéfinie

Le présent chapitre, nous avons esquissé les grandes étapes nécessaires à la transformation de la relation entre les autochtones et les autres Canadiens. Il faut corriger la situation actuelle, marquée par les tensions et les initiatives malheureuses, pour passer à la collaboration et à des réussites de plus en plus éclatantes. La route est longue et peut sembler impraticable. Les étapes en sont pourtant logiques et progressives et elle se renforcent les unes les autres. Elles forment un plan réaliste. Examinons-les rapidement.

  1. Le gouvernement fédéral devrait amorcer le cycle du renouveau par un geste solennel qui exprimerait une intention nationale : une nouvelle proclamation royale.
    La Commission demande de rompre avec les pratiques du passé, ancrées dans les préjugés au sujet des autochtones et de leurs droits, ternies par les négociations avortées et les promesses brisées. Nous proposons une nouvelle proclamation royale par laquelle le Canada exprimera son engagement à l'égard des principes de reconnaissance, de respect, de responsabilité et de partage, dans le cadre d'une relation entre les premiers occupants du pays et ceux qui sont venus par la suite.
  2. Le Parlement devrait adopter une législation complémentaire pour donner forme et substance à ces intentions et créer le cadre législatif nécessaire à leur mise en œuvre.

    Trois grandes lois seraient nécessaires :
    • Une loi sur l'exécution des traités avec les autochtones, pour définir le processus qui permettra de préciser et de moderniser les traités existants et d'en conclure de nouveaux et pour établir des commissions régionales des traités chargées de faciliter et d'appuyer le processus de négociation.
    • Une loi portant création d'un tribunal des traités et des terres autochtones, pour établir une juridiction chargée d'éliminer le retard qu'accuse le règlement de certaines revendications particulières et de faire office d'ombudsman dans le cadre des nouveaux processus globaux d'établissement de traités.
    • Une loi sur la reconnaissance et le gouvernement des nations autochtones, pour établir le processus et les critères applicables à la reconnaissance des nations autochtones, pour reconnaître, de façon provisoire (jusqu'à ce que les négociations relatives aux traités soient terminées), les domaines centraux de leur champ de compétence dans les territoires existants, et pour leur octroyer un financement.

Il faudrait que tout cela se fasse en étroite consultation avec les organisations nationales autochtones et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Pendant les consultations, une campagne de sensibilisation de la population devrait être mise en œuvre pour amener tous les Canadiens à bien comprendre la situation.

  1. Le gouvernement fédéral devrait instituer un organe de négociation de l'accord-cadre pancanadien qui précisera les règles fondamentales des processus visant à établir la nouvelle relation.
    Les membres de cet organe devraient être convoqués sous les auspices des premiers ministres de tout le pays et des chefs des organisations autochtones nationales, et ils seraient appelés à se pencher au moins sur les questions suivantes :
    • le renouvellement des traités et l'établissement de nouveaux traités;
    • la redistribution des terres et des ressources;
    • la définition des domaines de compétence exclusive et partagée;
    • le réaménagement des ententes financières à court et à long terme.
  2. Les nations autochtones devraient s'engager dans un processus de réédification.
    Les nations autochtones ont besoin de temps et de moyens pour se reprendre en main avant de demander la reconnaissance officielle du Canada. En particulier, elles doivent déterminer des critères de citoyenneté, mettre sur pied des institutions et préparer les ressources humaines en vue de l'autonomie gouvernementale, avec tout ce que cela comporte.
  3. Tous les gouvernements devraient se préparer à participer au nouveau processus d'établissement de traités.
    Après la reconnaissance, toutes les nations autochtones auront besoin de demander à leurs membres un mandat pour entamer un processus de renouvellement et de négociation de traités. Ces négociations entraîneront le règlement des questions liées aux terres, aux ressources, à la fonction gouvernementale et au financement.

    Le gouvernement fédéral aura besoin d'adopter une nouvelle législation et de réorganiser ses structures internes, suivant nos recommandations. Les provinces devront se doter d'une législation parallèle leur permettant de participer au processus d'établissement de traités à l'intérieur de leurs frontières.
  4. Les gouvernements devraient prendre des mesures intérimaires, comme le propose notre commission, pour redistribuer les terres et les ressources.
    La richesse du Canada doit être équitablement partagée avec les premiers occupants du territoire. L'engagement à l'égard de l'autonomie gouvernementale autochtone ne prendra vraiment tout son sens que lorsque les nations autochtones auront accès à une assise territoriale convenable et aux ressources correspondantes. L'essentiel des décisions concernant cette redistribution se prendront pendant la négociation des traités. Toutefois, nous proposons des mesures intérimaires pour apporter une solution à court terme et nous pressons les gouvernements de se mettre à la tâche dès maintenant.
  5. Les gouvernements autochtones et non autochtones devraient collaborer pour stimuler le développement économique.
    La création d'emplois valorisants pour les citoyens des nations autochtones nécessitera des stratégies à long terme car il faudra diversifier l'activité économique. Les stratégies que nous proposons sous-entendent une collaboration entre les gouvernements, avant et après la mise en place des vastes processus de changement.

Les gouvernements non autochtones n'ont pas mis fin aux traités. Ils n'ont pas restreint leur application. Ils ont simplement oublié que les traités existaient et que nous revendiquions des terres.

Le chef Albert Levi, Collectivité de Première nation de Big Cove, Big Cove (Nouveau-Brunswick)

Ces étapes, combinées, peuvent permettre de concrétiser un changement fondamental – dans les curs, les esprits et la vie des autochtones qui attendent depuis si longtemps qu'on leur fasse justice, et dans le pays tout entier, puisque l'équité est une valeur à laquelle les Canadiens sont très attachés. Chaque étape et les raisons qui la sous-tendent doivent rallier les autochtones et les non-autochtones ainsi que leurs dirigeants; tous doivent manifester leur bonne volonté et faire preuve de détermination.

Cela est possible.

Mais il faudra que les autochtones participent à cette œuvre, au sein de leurs nations et de leurs collectivités comme dans leur vie personnelle. À cette fin, ils devront développer et mettre à profit tous les talents qu'ils possèdent en tant qu'individus et citoyens de leurs nations. Ce défi de taille est l'objet du chapitre suivant.

Vers un ressourcement

Santé déficiente, conditions d'habitation lamentables, eau malsaine, scolarité insuffisante, pauvreté, familles éclatées : voilà des conditions qu'on s'attendrait à retrouver dans le tiers monde mais qui sont aussi celles d'un grand nombre d'autochtones du Canada. Foncièrement injuste, c'est là une situation qui met en péril l'avenir de toute une tranche de population.

Nombreuses sont les personnes qui nous ont dit qu'il fallait aborder de façon holistique les problèmes auxquels font face les autochtones aujourd'hui, par suite des effets négatifs des politiques de domination et d'assimilation du passé. Cette approche nous a permis d'identifier les principaux éléments de solutions efficaces.

Notre processus de guérison est basé sur nos valeurs traditionnelles et spirituelles de respect, de fierté, de dignité, de partage, d'hospitalité et d'entraide. L'autonomie commence par l'individu, se construit ensuite par la famille, puis par la collectivité et, enfin, par nos relations avec les autres nations.

Sylvie Basile et le chef, Jean-Charles Piétacho, Collectivité de Première nation de Mingan

Le cercle du bien-être

L'ensemble des mesures proposées par la Commission pour introduire des changements fondamentaux – autonomie gouvernementale, indépendance économique, partenariat avec le Canada dans le respect mutuel, guérison au sens large – forment un cercle de bien-être qui est tributaire des facteurs suivants :

  • L'autonomie gouvernementale ne réussira que si elle peut s'appuyer sur une économie dynamique et une population hautement spécialisée.
  • Les autochtones ne pourront pas retrouver ce dont ils ont besoin pour rebâtir leurs économies et leurs collectivités sans l'autonomie gouvernementale.
  • Une fois autonomes sur les plans politique et économique, une fois leurs corps et leurs esprits guéris, les autochtones seront en mesure de se prendre en main et de jouer le rôle qui leur revient dans un partenariat avec le Canada. Le cercle du bien-être sera alors bouclé.

Les problèmes sociaux et de santé ne peuvent attendre. Les changements arrivent lentement, et les enfants autochtones sont marqués par la perte de leur culture, l'échec scolaire et la violence au foyer. Les adolescents souffrent des humiliations que leur infligent le racisme et le rejet de leurs pairs. Des collectivités entières vivent dans des logements insalubres où l'eau est impropre à la consommation.

La Constitution canadienne permettrait aux autochtones de prendre en main tous ces domaines immédiatement, si tel est leur désir – sans attendre que d'autres gouvernements leur transfèrent des pouvoirs.

Néanmoins, la négociation de conventions (traités, accords et ententes) avec les autres gouvernements faciliterait l'évolution de la situation en résolvant à l'avance d'épineux problèmes politiques, administratifs et financiers. Les collectivités autochtones progresseront plus rapidement vers la résolution de leurs problèmes sociaux et de santé si elles bénéficient de l'appui et de la collaboration des autres gouvernements.

L'établissement de traités est un long processus. Il faudra plusieurs années pour que les autochtones prennent finalement en main le plein contrôle de leur destinée. La lenteur du processus risque de susciter des impatiences, mais c'est un délai qui offre aussi des avantages pour les autochtones, parce qu'ils sont encore en train de mobiliser leurs forces pour pouvoir s'attaquer aux tâches qui les attendent. Ils auront besoin d'un plus grand nombre de citoyens bien formés pour relever les défis de l'autonomie gouvernementale et il leur faudra créer de nouvelles institutions pour façonner les services sociaux en fonction de leurs besoins propres.

Ils devront collaborer avec les organismes de santé et de services sociaux non autochtones afin de modifier les rapports établis avec eux. Les services et les organismes de la société majoritaire vont devoir être plus réceptifs aux différences culturelles. Ce sera à eux de veiller à effacer toute trace de racisme dans leurs politiques et leur fonctionnement. Ils vont également devoir désormais considérer les autochtones comme des partenaires pour la conception et la prestation des services.

Nos recommandations concernant la santé et les services sociaux sont axées sur trois grands objectifs reliés entre eux :

  • régler les problèmes sociaux et de santé les plus urgents;
  • développer les ressources humaines des nations autochtones;
  • amener les institutions de la société majoritaire à assumer leurs responsabilités envers les autochtones.

Le rôle central de la famille

Au cours de nos audiences publiques, de nombreux intervenants ont déclaré que l'effondrement des structures et des fonctions de la famille autochtone traditionnelle était l'une des principales causes des problèmes sociaux qu'ils connaissent à l'heure actuelle. Selon eux, la guérison individuelle et communautaire passe par la restauration de la famille autochtone.

Le mieux-être découle de l'équilibre et de l'harmonie entre tous les éléments de la vie personnelle et collective.

La famille demeure l'institution centrale des sociétés autochtones. Il ne s'est écoulé qu'une génération ou deux depuis l'époque où le réseau de la famille étendue, qui comprenait les parents, les grands-parents et les membres du clan, composait pratiquement à lui seul tout l'univers social des autochtones, à qui il fournissait le cadre des activités économiques essentielles. Au sein de ce réseau, les normes du partage et de l'entraide formaient un filet de sécurité sociale dont bénéficiaient tous les membres de la famille.

Les mesures prises par les gouvernements coloniaux et canadiens ont gravement nui à la cohésion des familles autochtones ainsi qu'à la transmission de leur culture et de leur identité aux générations montantes. Les stratégies officielles destinées à contrôler et à assimiler les autochtones ont très souvent visé surtout les enfants.

  • Les pensionnats sont les grands coupables. On retirait de leur famille pendant 10 mois sur 12 ou même davantage des enfants qui avaient à peine six ans. On leur interdisait de parler la seule langue qu'ils connaissaient et on leur enseignait à mépriser leur famille, leur héritage et, par extension, leur propre identité. La plupart de ces enfants ont été privés de soins, d'autres ont été maltraités. Quelques rares intervenants nous ont dit avoir apprécié ces écoles, mais la majorité nous ont parlé des cicatrices profondes qui les avaient marqués et qui avaient détruit en eux la capacité d'aimer et d'être aimés.
  • Le retrait des enfants autochtones de leur collectivité, pour les placer ou les faire adopter dans des foyers d'accueil d'une autre culture, est une autre grande cause des bouleversements qu'a connus la famille. En retirant ces enfants de leur famille, on les a coupés de leurs racines, et ils ont grandi sans savoir ce que cela voulait dire que d'être Inuit, Métis ou membre d'une Première nation. En outre, ces enfants ont été marginalisés dans leur nouvelle famille et leur nouvelle collectivité à cause de leurs différences visibles, et souvent humiliés à cause de leurs origines. Du même coup, on privait leur collectivité et leur famille étendue de ce qu'aurait pu leur apporter la jeune génération.
  • La migration vers les villes perturbe aussi les familles. Les autochtones quittent leur famille pour poursuivre leurs études, chercher du travail ou échapper à la violence familiale. Une fois en ville, ils perdent le soutien familial dont ils dépendaient chez eux. Lorsqu'ils ont besoin d'aide, ils constatent souvent que les services offerts dans les villes sont difficiles d'accès, qu'ils reflètent des valeurs qui leur sont étrangères et qui sont parfois racistes. La plupart des autochtones s'adaptent très bien. D'autres, par contre, n'y parviennent pas et se retrouvent entre deux cultures, isolés, chômeurs et sans accès aux services publics.

Les personnes qui vivent ces bouleversements peuvent se sentir déracinées; désorientées, elles ne savent guère comment s'adapter à un monde non autochtone qui leur est parfois hostile. Si leur origine autochtone a été dévalorisée ou ridiculisée, ils ont peut-être perdu leur fierté et leur estime de soi et ils ne sont plus en mesure de développer ces qualités chez leurs enfants. Lorsqu'ils ont souffert dans leur cur et dans leur âme, il leur arrive de se tourner vers l'alcool, la violence, le crime ou d'autres formes de comportement antisocial.

Lorsque la guérison sera commencée, nous pourrons songer à l'autonomie gouvernementale. Sans guérison, nous aurons un gouvernement autonome dysfonctionnel.

Jeanette Costello, Conseillère, Kitselas Drug and Alcohol Program, Terrace, (Colombie-Britannique)

De nombreux autochtones ont déclaré aux membres de la Commission qu'ils ne pourraient pas réaliser leur projet d'avenir – devenir des nations autonomes et autosuffisantes au Canada – s'ils ne parvenaient pas à établir des liens familiaux solides qui assurent la stabilité des individus et des collectivités.

Des services conçus et administrés par les autochtones pourraient panser les blessures que traduisent les statistiques de dysfonctionnement social – éclatement des familles, suicides et tentatives de suicide chez les jeunes, toxicomanie, démêlés avec la justice. Pour éviter le retour de ces problèmes, la famille autochtone doit être rétablie dans son rôle traditionnel d'éducateur des jeunes, de protecteur des vieillards, de gardienne de la culture et de filet de sécurité pour les personnes vulnérables.

Nos enfants sont notre avenir

Les enfants occupent une place particulière dans les cultures autochtones. On les considère comme des dons des esprits, et qu'il faut traiter avec soin si l'on ne veut pas qu'ils repartent au royaume des esprits.

Ne pas réussir à protéger ses enfants est peut-être la plus grande honte que peut connaître une famille autochtone. C'est pourtant ce qui se produit depuis plusieurs générations et encore de nos jours.

La plupart de nos clients sont de jeunes mères sans conjoint qui ont très souvent été arrachées à leurs familles encore toutes jeunes. Si la mère a fait l'expérience des foyers nourriciers, la grand-mère, elle, a probablement connu le pensionnat. Nous en sommes donc à la troisième génération de désintégration familiale.

Kenn Richard, Directeur, Native Child and Family Services, Toronto (Ontario)

Les mauvais traitements et la violence familiale en sont les aspects les plus dramatiques, mais ces aspects ne représentent que la pointe de l'iceberg qui a commencé à se former à l'époque où les collectivités autochtones ont perdu leur pouvoir et leur indépendance et où les familles autochtones se sont vu retirer toute responsabilité et toute influence sur leurs enfants.

D'après les témoignages que nous avons entendus, les pensionnats sont la principale cause de dysfonctionnement social, mais les politiques d'aide à l'enfance ont également eu un effet destructeur. L'application de ces politiques aux enfants autochtones a eu pour résultat de distendre le réseau familial et de déraciner davantage les autochtones.

Les autorités n'avaient qu'un recours lorsqu'elles estimaient qu'un enfant avait besoin de protection : la prise en charge. Elles n'étaient pas en mesure de remédier à la pauvreté des familles, de réparer des logements en ruine ou de fournir un soutien aux jeunes parents qui avaient eux-mêmes été élevés en institution, sans modèle parental. Les agents tentaient rarement de placer les enfants à risque chez des membres de la famille étendue ou auprès de familles autochtones qui auraient pu les aider à conserver leur culture et leur identité.

La protection de l'enfance est un des domaines que les autochtones souhaitent reprendre en main en priorité. En 1981, le gouvernement fédéral a signé la première entente autorisant un organisme des Premières nations à fournir des services de protection de l'enfance. Depuis lors, une bonne trentaine d'organismes autochtones ont reçu cette autorisation. Les règles en matière de placement ont été modifiées pour tenir compte de la capacité du réseau familial de protéger les enfants autochtones et pour souligner l'importance de donner aux enfants un milieu culturel qui leur est familier.

Toutes ces mesures ne permettront pas pour autant d'assurer le bien-être des enfants. Les organismes autochtones ont hérité de la plupart des problèmes des organismes qu'ils remplacent. Ils doivent fonctionner en appliquant des règles mal adaptées, élaborées à l'extérieur de leur collectivité; ils font face à des situations familiales et à des besoins auxquels leurs ressources limitées ne leur permettent pas de répondre; ils doivent aussi trouver les moyens de protéger les enfants à risque tout en respectant des réseaux familiaux étendus qui acceptent mal leurs interventions. Les organismes autochtones de protection de l'enfance n'ont pas tous obtenu les résultats qu'ils souhaitaient obtenir.

Trois types de mesures doivent être prises immédiatement :

  • des services correctifs, pour favoriser la guérison et le rétablissement des parents autochtones aux prises avec de sérieuses difficultés;
  • des services de prévention, pour soutenir les familles autochtones qui commencent à éprouver des difficultés;
  • la poursuite de la réforme des services existants, c'est-à-dire une augmentation des évaluations, un meilleur suivi, une formation plus poussée du personnel, des services urbains plus accessibles et culturellement pertinents.

Le fonctionnement des familles autochtones a été perturbé dans une large mesure par des politiques gouvernementales inopportunes. Les gouvernements d'aujourd'hui ont le devoir de réparer les erreurs du passé. Dans la prochaine section, nous présentons nos propositions en vue d'un réaménagement complet des services de guérison et de santé, y compris dans le domaine de la protection de l'enfance. À court terme, nous souhaitons :

  • que tous les gouvernements prennent des mesures pour accroître et appuyer le contrôle autochtone des services de protection de l'enfance;
  • que le financement global remplace les allocations par habitant, afin que des services de prévention puissent être mis en place;
  • que plus de ressources soient affectées aux services urbains.

Cameron Kerley avait 8 ans lorsque lui et ses trois sours ont été pris en charge par la société d'aide à l'enfance et placés en foyer nourricier. Sa mère est morte deux ans plus tard des suites de l'alcoolisme, et Cameron a été adopté par Dick Kerley, un Américain célibataire qui avait déjà adopté un autre garçonnet autochtone. Cameron n'a pas tardé à faire l'école buissonnière et à avoir des démêlés avec la justice. À 19 ans, il a tué son père adoptif avec un bâton de base-ball. Il a plaidé coupable de meurtre au deuxième degré et a été condamné à 15 ans d'emprisonnement. Après le prononcé de la sentence, Cameron a décrit les sévices sexuels que son père adoptif lui avait longtemps infligés. Les autorités américaines ont refusé de rouvrir l'affaire, mais elles ont permis à Cameron de rentrer purger sa peine au Manitoba.

Rompre le cycle de la violence familiale

Les autochtones qui ont témoigné lors de nos audiences publiques, en particulier les femmes, n'ont pas caché l'ampleur et les conséquences de la violence familiale dans la vie autochtone. Ils ont souligné la nécessité de services améliorés, mais ils ont aussi affirmé que les plus grands espoirs viendraient de la restauration des valeurs autochtones traditionnelles, dont le respect des femmes et des enfants, et de la réintégration des femmes dans le processus décisionnel des familles, des collectivités et des nations.

Vingt-quatre pour cent de tous les répondants à notre questionnaire ont indiqué qu'ils avaient entendu parler de cas où la violence familiale chez les autochtones avaient entraîné la mort alors que 54 % connaissaient une femme qui avait été blessée à la suite d'un incident de violence familiale et qui n'a pas consulté de professionnel de la santé, par crainte ou par honte.

Catherine Brooks, Directrice, Anduhyaun Residence for Women, Toronto (Ontario)

Le Comité canadien sur la violence faite aux femmes (1993) a affirmé que la violence familiale découlait d'un déséquilibre fondamental du rapport de forces entre les hommes et les femmes. Cela est vrai aussi chez les autochtones, mais de façon encore plus marquée puisque c'est entre deux sociétés que se situe l'inégalité. Dans ces circonstances, le sentiment de dépossession, d'humiliation, de frustration et de colère que partagent tous les autochtones peut en inciter certains à la violence, comme un témoin nous l'a expliqué :

L'opprimé commence à éprouver de la honte et de la haine pour sa culture, d'où une grande frustration et beaucoup de colère. Parallèlement, nous adoptons de plus en plus les valeurs de l'oppresseur et, d'une certaine façon, nous nous transformons nous-mêmes en oppresseurs. Nous commençons à blesser les nôtres. La toxicomanie, la violence familiale, la violence contre les personnes âgées, l'abus sexuel, la jalousie, les ragots, le suicide, toutes ces formes de violence qui semblent se manifester chez nous sont fondées sur l'oppression.

Roy Fabian, Directeur, Centre de traitement de Hay River, Hay River (Territoires du Nord-Ouest)

La violence familiale chez les autochtones a donc sa propre dynamique, et la politique gouvernementale doit en tenir compte.

  • La violence s'inscrit souvent dans un contexte de relations perturbées, de sentiments émoussés et de règles culturelles affaiblies en matière de comportement responsable, une situation souvent imputable aux interventions gouvernementales.
  • Dans certains cas, une culture de violence s'est imposée dans les collectivités. Les incidents ne peuvent être traités comme les problèmes isolés de tel ou tel couple ou ménage.
  • La violence dans les collectivités autochtones est encouragée et alimentée par les attitudes racistes qui perpétuent les stéréotypes, en particulier en ce qui concerne les femmes autochtones.

Où qu'elle se produise, la violence familiale est cachée. Les femmes hésitent à exposer la vérité, par crainte d'une escalade de la violence ou parce qu'elles ont honte et s'estiment responsables de leur situation. Les femmes autochtones se taisent aussi pour d'autres raisons. Elles craignent peut-être la vengeance des dirigeants locaux, surtout des hommes, mais elles hésitent à attirer l'attention sur leur situation de peur d'exposer leurs collectivités au mépris ou leurs familles à l'intervention de responsables de l'extérieur.

Les autochtones qui ont demandé à la Commission de les aider à mettre fin à la violence savaient de quelle façon il fallait procéder :

  • Il ne faut pas laisser entendre que tous les autochtones sont violents; il faut veiller à ce que les interventions soient ciblées sur les personnes à risque.
  • Les différences culturelles ne peuvent servir d'excuse à la violence; les agresseurs doivent répondre de leurs actes et les personnes vulnérables doivent être protégées.
  • La violence n'est pas un problème isolé; il faut déraciner les injustices sociales et politiques, la pauvreté et le racisme qui encouragent la violence sous toutes ses formes.

Voici les premières mesures à prendre pour apporter un changement :

  • Les dirigeants autochtones devraient dénoncer publiquement la violence et œuvrer au sein de leurs collectivités pour faire adopter à ce sujet une politique de non-tolérance absolue.
  • Les gouvernements et les organisations autochtones devraient veiller à ce que les femmes soient pleinement et équitablement représentées dans les processus décisionnels.
  • Les gouvernements autochtones devraient soutenir les femmes autochtones qui cherchent à résoudre les problèmes de santé et les problèmes sociaux et reconnaître leur expertise en matière de violence familiale.

Certains autochtones hésitent à permettre à leurs propres gouvernement de se mêler de la vie familiale, comme les gouvernements canadiens l'ont fait par le passé. Il n'en demeure pas moins qu'il faut protéger les personnes vulnérables. C'est une question d'équilibre.

Nos enfants sont gravement touchés par la violence familiale, même lorsqu'ils n'en sont pas les victimes immédiates. Le coût pour nos enfants est caché : il est dans leur distraction à l'école, dans leur sentiment d'insécurité et leur faible estime de soi, dans leurs comportements destructeurs : vandalisme, automutilation, brutalité.

Sharon Caudron, Directrice de programme Centre de ressources des femmes, Hay River (Territoires du Nord-Ouest)

La santé totale : une priorité absolue

L'état de santé des autochtones au Canada aujourd'hui est déplorable et la situation touche à la crise. Les autochtones sont plus susceptibles que les autres Canadiens de souffrir d'à peu près tous les types de maladie.

  • Les Indiens inscrits (au sujet desquels les données sont les plus fiables) peuvent s'attendre à mourir de sept à huit ans plus tôt que les autres Canadiens. Cette différence de l'espérance de vie s'explique principalement de deux façons : un taux de mortalité plus élevé chez les autochtones (deux fois la moyenne nationale) et un taux de blessures et de décès accidentels plus élevé chez les enfants, les adolescents et les jeunes adultes autochtones.
  • Les maladies infectieuses de tous les types, des infections gastro-intestinales à la tuberculose, même si elles sont moins communes qu'autrefois, affectent plus souvent les autochtones que les autres Canadiens.
  • Les maladies chroniques et dégénératives comme le cancer et les maladies de cur frappent plus d'autochtones qu'autrefois. Le diabète, avec toutes les complications qu'il entraîne, est un problème particulièrement grave dans certains endroits.
  • Les taux de violence et de comportement autodestructeur, y compris la toxicomanie et le suicide, sont élevés.
  • Les forts taux d'échec scolaire, de chômage, de dépendance à l'égard de l'aide sociale, de démêlés avec la justice et d'emprisonnement sont les signes d'un profond déséquilibre dans l'expérience de vie et le bien-être des autochtones.

Vingt-cinq ans d'effort des prestateurs de soins de santé aux niveaux local, provincial et national ont amélioré l'état de santé des autochtones par rapport à ce qu'il était devenu vers le milieu du siècle. Pourtant, on est encore loin des résultats que l'on obtient auprès de la population canadienne dans son ensemble.

Les autochtones ont un urgent besoin de ressources pour lutter contre la mortalité infantile, la tuberculose, le diabète, les maladies de cur et les autres maladies. Ils savent, pourtant, qu'il ne suffit pas de soigner le corps pour arriver à un mieux-être. Ils cherchent quelque chose de plus fondamental et de plus efficace.

Ils veulent apporter équilibre et vitalité au corps, à l'esprit, à la raison et aux émotions – c'est une fin en soi et un préalable à l'équilibre et à la vitalité de leurs sociétés. Bref, ils cherchent la santé totale.

Les dossiers historiques et les études archéologiques nous révèlent que de nombreuses maladies qui sévissaient en Europe à l'époque des premiers contacts étaient inconnues ou très rares dans les Amériques. Les maladies infectieuses, de la grippe à la tuberculose, ont été transmises aux autochtones par les nouveaux venus et elles ont eu un effet foudroyant. Des centaines de milliers d'autochtones sont morts. Au Canada, une population estimée à 500 000 personnes à l'époque des premiers contacts était tombée à 102 000 personnes au moment du recensement de 1871.

Une offensive accrue contre la maladie ne renversera pas la vapeur.

Dans le nouveau climat de responsabilité sociale qui a mené à la croissance des services publics, après la Deuxième Guerre mondiale, les responsables de la santé ont commencé à prendre au sérieux le besoin pressant de services médicaux dans les collectivités autochtones. Aujourd'hui, pratiquement toutes les collectivités ont au moins un dispensaire. Pourtant, malgré les sommes importantes consacrées au traitement des maladies, les autochtones connaissent toujours des problèmes de santé d'une ampleur inacceptable. La Commission a examiné les aspects suivants :

  • la santé des nouveau-nés, des enfants et des mères;
  • les maladies infectieuses;
  • les maladies chroniques;
  • l'invalidité;
  • les blessures et les accidents;
  • l'alcoolisme;
  • la santé communautaire (pauvreté, conditions de vie, risques environnementaux).

Dans chaque cas, malgré les progrès réalisés, les autochtones sont encore défavorisés. Dans chaque cas, en outre, les causes d'une maladie spécifique comprennent toujours des facteurs extérieurs qui échappent à la médecine classique – les conditions sociales, affectives et économiques qui nous ramènent aux séquelles complexes du colonialisme, facteurs de déstabilisation et de démoralisation.

Un défi de taille se présente maintenant. Il s'agit d'expliquer la relation complexe qui s'établit entre les conditions structurelles de l'existence des autochtones – les aspects économique et politique – et leur santé et leur bien-santé. Le nœud de la question a été bien exposé par Peter Penashue, un dirigeant innu du Labrador, dans un discours prononcé à l'occasion de la Conférence sur la santé en région circumpolaire, il y a plus de 10 ans :

Les Innus sont malades et meurent parce qu'ils souffrent d'un syndrome de mauvaise santé bien connu qui résulte d'une dépendance imposée et d'une tentative faite pour acculturer un peuple tout entier. Cette mauvaise santé va s'améliorer ou s'aggraver non pas en fonction du niveau de financement des soins de santé, mais plutôt en fonction des choix politiques effectués par ceux qui tentent à l'heure actuelle d'étendre leur contrôle sur les Innus et leur façon de vivre.

Le fait est que, pour les Innus, la santé et la maladie sont des questions essentiellement politique, inséparables des considérations sociales et économiques. La mise en place d'un régime complexe de soins de santé chez les Innus a coïncidé avec une aggravation rapide de la santé de ces derniers. Je ne veux pas laisser entendre que l'un a mené à l'autre, mais plutôt souligner que la santé ou la mauvaise santé des Innus a été déterminée par des facteurs qui n'ont pas grand-chose à voir avec le système de soins de santé.

L'Organisation mondiale de la Santé a reconnu que la santé individuelle dépendait de l'existence de systèmes sociaux, économiques et culturels sains et que, réciproquement, l'exploitation et l'humiliation des populations contribuaient inévitablement à la mauvaise santé des individus et de la communauté. Pour les Innus, un vrai système de santé serait celui qui leur permettrait de bien fonctionner, un système qui supprimerait tout domination étrangère et qui leur assurerait le respect dû à un peuple distinct.

De toute évidence, une offensive accrue contre la maladie ne renversera pas la vapeur. Ce qu'il faut, c'est une nouvelle stratégie en matière de santé et de guérison.

Le mieux-être est une question communautaire, une question nationale, une question féminine. Aucune autre question ne touche de façon aussi fondamentale la survie de notre peuple que celle de la santé.

Federation of Saskatchewan Indian Nations, Wahpeton (Saskatchewan)

Convergence de deux traditions

Le diabète, l'hypertension, l'obésité, la mauvaise nutrition sont endémiques chez les autochtones du Canada aujourd'hui.

Elizabeth Palfrey, Commission régionale de santé de Keewatin, Rankin Inlet (Territoires du Nord-Ouest)

Ces dernières années, les autochtones ont fait preuve d'un vif enthousiasme et de beaucoup d'imagination pour s'attaquer aux problèmes de santé et aux problèmes sociaux. Ils ont exercé des pressions pour obtenir un plus grand contrôle des services locaux, et certains ont au moins en partie réussi. Ceux qui exercent un contrôle partiel commencent à modifier et à adapter les services pour refléter leurs propres valeurs, traditions et priorités – et ils obtiennent de bons résultats.

Les autochtones veulent toutefois effectuer des changements plus radicaux dans la façon dont on fait la promotion de la santé et de la guérison dans leurs collectivités. Leurs principales préoccupations s'articulent autour de quatre thèmes :

  • Inégalité
    La fréquence de nombreuses maladies et le risque de maladies futures et de décès prématuré sont passablement plus élevés chez les autochtones que chez les autres Canadiens. On constate aussi des inégalités entre les autochtones eux-mêmes : les services et programmes fédéraux sont offerts aux Indiens inscrits et aux Inuit, mais non pas aux autres autochtones. L'inégalité qui compromet le plus la santé des autochtones est toutefois d'ordre économique. La pauvreté s'accompagne souvent d'un mauvais état de santé, et les autochtones sont parmi les plus pauvres habitants du Canada.
  • Holisme
    Les concepts autochtones de santé et de guérison découlent de la conviction que tous les aspects de la vie sont interdépendants. Par conséquent, le mieux-être découle d'un équilibre et d'une harmonie entre tous les aspects de la vie personnelle et collective.
  • Contrôle
    La dépendance vis-à-vis de l'État canadien a enlevé aux collectivités et aux nations autochtones toute autorité pour élaborer et contrôler les services sociaux et les soins de santé. L'absence de contrôle sur ces importantes dimensions de l'existence est en elle-même un facteur de mauvaise santé. Les autochtones veulent exercer leur propre jugement, appliquer leur compréhension de ce qui contribue à leur santé, utiliser leurs propres talents pour résoudre leurs problèmes.
  • Culture et guérison traditionnelle
    Même si les autochtones se sont considérablement éloignés du mode de vie de leurs ancêtres, ils accordent encore beaucoup de valeur aux traditions et aux pratiques qui leur donnent leur caractère propre – y compris les traditions médicales allant de l'utilisation des herbes médicinales à diverses formes de psychothérapie. Souvent, ils constatent que les services de santé de la majorité ne correspondent pas à leurs besoins. Ils veulent se refamiliariser avec des pratiques naguère interdites ou ridiculisées, car ils considèrent qu'elles pourraient être utiles aujourd'hui.

Pour être en bonne santé, une personne doit être bien nourrie, instruite, avoir accès à des services médicaux, avoir accès à un soutien spirituel, vivre dans une maison chaude et confortable, où l'eau est potable et les eaux d'égout convenablement éliminées, accepter son identité culturelle, pouvoir exercer une activité productive, ainsi de suite. Il ne s'agit pas de besoins indépendants; ce sont tous là des éléments reliés entre eux.

Henry Zoe, Conseil du Traité 11 des Dogribs Mémoire à la Commission

Autrefois, nous étions comme endormis. Les Blancs faisaient tout pour nous. Nous pensions que l'homme blanc savait tout, mais nous nous trompions. Ce qu'il nous disait ne marchait jamais.

Le chef Katie Rich, Davis Inlet, Sheshatshiu (Labrador)

Les théoriciens les plus progressistes en sont arrivés à certaines grandes conclusions au sujet de ce qui favorise la santé. Plusieurs de leurs idées concordent avec la philosophie autochtone :

  • La santé découle des rapports complexes entre le corps, l'esprit, la raison et les émotions – et non pas de leurs dynamiques distinctes.
  • Les facteurs économiques (situation d'emploi, situation personnelle et pauvreté de la collectivité) comptent parmi les principaux déterminants de la santé.
  • La responsabilité personnelle en matière de santé et de mieux-être est aussi importante que les soins professionnels ou les interventions externes.
  • La salubrité de l'environnement influe sur la santé humaine.
  • L'état de santé de l'adulte se prépare dès la petite enfance.

Toutes ces notions favorisent un système qui accorde moins d'importance aux traitements médicaux et plus de poids aux facteurs sociaux, économiques et politiques influant sur la santé.

La politique en matière de santé doit contribuer à éliminer les séquelles de la pauvreté, de l'impuissance et du désespoir dans les collectivités autochtones. C'est là la clé de la santé totale pour les autochtones.

Une stratégie en matière de santé et de guérison

La santé totale découle d'une prospérité commune, d'un environnement propre et sain, d'un sentiment de contrôle sur l'existence – ainsi que de la qualité des soins de santé et des choix que chacun fait dans sa vie. La santé des autochtones s'améliorera grâce aux changements structuraux à long terme proposés au chapitre 2.

Ce que les forces extérieures sont impuissantes à réaliser, les autochtones peuvent le faire pour eux-mêmes.

À court terme, toutefois, la prévention, les traitements et les services correctifs demeurent d'importants facteurs. De toute évidence, ils peuvent être améliorés. Pour commencer la réforme, les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et autochtones doivent s'engager à mettre en place des systèmes de santé et de guérison qui :

  • confient les leviers de commande aux autochtones;
  • adoptent une approche holistique en matière de santé personnelle et sociale;
  • fournissent un éventail de services adaptés aux cultures et aux priorités des autochtones et aux conditions particulières expliquant leur mauvais état de santé;
  • mettent les autochtones au même niveau que les autres Canadiens en matière de santé.

Les engagements doivent se traduire par des stratégies pratiques si nous voulons vraiment modifier les résultats produits par le système de santé. Nous proposons une stratégie à quatre volets, qui doit être mise en œuvre sans retard :

  1. Réorganiser les soins de santé et les services sociaux pour créer un système de centres de santé et de guérison et de pavillons de ressourcement contrôlés par les autochtones.
  2. Réaliser un programme intensif, au cours des 10 prochaines années, pour sensibiliser et former les autochtones qui fourniront et géreront des soins de santé et des services sociaux à tous les niveaux, dans les collectivités autochtones et dans les établissements de la majorité.
  3. Adapter les services non autochtones aux besoins des autochtones, considérés comme clients et comme parties prenantes aux décisions.
  4. Établir un programme d'infrastructure pour faire face aux urgents problèmes de logement, d'approvisionnement en eau et de gestion des déchets.

Il y a entre 40 et 50 médecins autochtones au Canada. Ils représentent 0,1 % de tous les médecins. Il y a environ 300 infirmières et infirmiers autochtones agréés; là encore, il s'agit de 0,1 % du total.

Centres de santé et de guérison

L'idée de confier à des centres communautaires la tâche de concevoir et de fournir des services sociaux et des soins de santé intégrés est revenue à maintes reprises lors des audiences publiques que nous avons tenues dans tout le pays.

Les centres de santé et de guérison peuvent réunir sous un même toit les ressources nécessaires pour s'attaquer à des problèmes interreliés qui, à l'heure actuelle, relèvent le plus souvent de plusieurs organismes – de la protection de l'enfance aux services de santé mentale. Ces centres peuvent fournir des soins médicaux, diriger les patients vers des spécialistes, s'occuper de promotion de la santé. En somme, ils peuvent former le noyau des soins de santé et des services sociaux dans les collectivités autochtones.

Le cur d'un tel système est déjà en place – les dispensaires et les autres installations qui coordonnent au moins en partie les services de santé et de guérison dans les collectivités des Premières nations et des Inuit. Mais ce n'est pas le cas partout. Dans les établissements métis ruraux et dans les petites villes qui comptent une importante population autochtone, il n'y a pratiquement aucun service destiné aux autochtones et géré par ceux-ci. Cette lacune doit être corrigée.

Pour compléter le travail des centres de guérison communautaires, la Commission propose un réseau de pavillons de ressourcement. Ces pavillons peuvent combler l'immense besoin de traitement en établissement des personnes dépassées par leurs problèmes sociaux, affectifs et spirituels. Ils peuvent s'attaquer aux problèmes psychosociaux qui paralysent la vie de certains autochtones. Ils pourraient par exemple :

  • aider les victimes de la violence familiale qui ont besoin d'un lieu sûr et d'un répit pour reprendre leur vie en main;
  • aider les adultes violents à découvrir de nouvelles façons de composer avec leurs frustrations et leur colère;
  • aider la jeunesse marginalisée, qui a besoin de rétablir des liens avec la communauté et de retrouver son identité.

La clé d'une meilleure intégration des services de santé et des services sociaux aux communautés autochtones passerait par une augmentation du nombre de professionnels de la santé en provenance de ces milieux.

Huguette Blouin, Association des hôpitaux, du Québec, Montréal (Québec)

Les éléments de ce second volet du système se retrouvent dans les établissements de désintoxication gérés par les autochtones. Beaucoup ont déjà défini une grande partie des programmes de santé totale.

La création de centres de guérison et de pavillons de ressourcement n'est pas assujettie aux changements structuraux de la fonction gouvernementale ni à la redistribution des terres dont nous avons parlé dans le chapitre précédent. Elle est fonction de la volonté d'abandonner les débats stériles concernant le palier de gouvernement qui devrait assumer la responsabilité de tels services.

Perfectionnement des ressources humaines

Aucune intervention de l'extérieur, si importante et si bien intentionnée soit-elle, n'aidera les autochtones à parvenir à un mieux-être. Ce que les forces extérieures sont impuissantes à réaliser, les autochtones peuvent le faire pour eux-mêmes. Ils peuvent prendre les décisions les plus éclairées au sujet du genre de services de santé et de guérison qui restaurera leur santé totale, et ils peuvent effectuer le travail nécessaire au succès des centres de guérison et des pavillons de ressourcement.

Il y a actuellement très peu de médecins, d'infirmiers, de travailleurs sociaux, de diététiciens ou de psychologues autochtones. C'est un problème en soi, mais il faut voir au-delà. Les services axés sur la santé totale doivent être culturellement pertinents et holistiques – parfaitement intégrés dans l'axe des problèmes de vie. Les centres et les pavillons ont besoin de prestateurs de services dotés de talents spéciaux.

  • On a un besoin particulièrement urgent de personnes qui peuvent appliquer le savoir autochtone aux problèmes de santé actuels et combiner les pratiques de santé et de guérison traditionnelles aux méthodes classiques pour créer des systèmes autochtones distincts.
  • On a aussi un grand besoin d'autochtones capables d'offrir des services classiques – à titre de prestateurs de soins, de gestionnaires, d'administrateurs et de consommateurs avertis – pour mieux servir les clients autochtones et affirmer la présence autochtones dans la société canadienne.

Nous proposons que les gouvernements et les établissements d'enseignement s'engagent à former 10 000 autochtones dans les domaines de la santé et des services sociaux, y compris toutes les spécialités professionnelles et toutes les branches de la gestion, au cours des 10 prochaines années.

Soutien des établissements de la majorité

Les centres de santé et de guérison autochtones ne sont qu'une partie de la solution. La plupart des autochtones devront, au moins à l'occasion, recourir aux praticiens et aux établissements de la majorité – médecins, hôpitaux, ateliers adaptés pour personnes handicapées et maisons de transition pour victimes de violence familiale.

Les institutions de services sociaux doivent devenir plus sensibles aux besoins particuliers des autochtones en matière de santé et de guérison. Même lorsque les autochtones forment le gros de la clientèle, les hôpitaux et les autres établissements n'ont guère tendance à adapter leurs pratiques pour les accommoder. La sensibilité culturelle et la réceptivité devraient devenir une priorité.

Les établissements de la majorité ont aussi un rôle à jouer pour faciliter la création d'établissements autochtones. Malgré les difficultés économiques actuelles, les établissements de la majorité ont des ressources bien plus importantes que celles qui sont sous contrôle autochtone. Il est raisonnable de s'attendre à ce qu'ils offrent un certain appui aux nouveaux services autochtones.

Les établissements autochtones accepteront cette aide pour élaborer des systèmes efficaces et rentables – tant qu'ils pourront l'obtenir sans renoncer à leur autonomie. Ils voudront :

  • des possibilités de formation;
  • un mentorat et du soutien pour le nouveau personnel;
  • des services d'appui et des services spécialisés;
  • un accès à l'équipement spécialisé et à d'autres ressources de ce genre.

Parallèlement, les établissements de la majorité et leurs professionnels peuvent s'inspirer des méthodes autochtones de promotion de la santé totale.

Nous suggérons que toutes les organisations qui participent à la prestation de soins de santé et de services sociaux aux autochtones entreprennent une évaluation systématique de leurs pratiques pour voir comment elles pourraient améliorer leurs rapports avec les autochtones.

Développement de l'infrastructure

Il y a deux ou trois familles dans certaines maisons. Il y a parfois de 18 à 20 personnes qui vivent dans un logement prévu pour une seule famille.

Valerie Monague, Administratrice des services sociaux, Christian Island (Ontario)

Le quatrième volet de la stratégie de santé totale est un programme d'infrastructure – pour que le logement, l'approvisionnement en eau et la gestion des déchets dans les collectivités autochtones des déchets répondent aux normes canadiennes généralement acceptées. Les menaces immédiates à la santé et au bien-être que présentent les maisons insalubres et surpeuplées, l'eau polluée et les eaux d'égout non traitées sont si graves que les solutions ne peuvent attendre. Des détails au sujet de ce problème et de la façon de le régler sont présentés dans la section qui suit.

Logement et conditions de vie : des besoins urgents

Malgré les sommes dépensées par les gouvernements depuis 10 ans, le logement, l'approvisionnement en eau et les services sanitaires fournis aux autochtones sont bien en-deçà des normes canadiennes dans de nombreuses collectivités. Les maisons surpeuplées et délabrées, l'eau polluée et en quantité limitée, le problème des ordures – toutes ces conditions menacent de façon inacceptable la santé des autochtones et renforcent le sentiment de marginalité et de désespoir.

Parce que les familles autochtones à faible revenu n'ont pas d'autres endroits où aller, les propriétaires de taudis font des affaires d'or dans les villes.

Martin Heavy Head, Président, Commission du logement urbain du Traité 7, Lethbridge (Alberta)
  • Les maisons qu'occupent les autochtones sont deux fois plus susceptibles de nécessiter de grosses réparations que celles des autres Canadiens. Dans les réserves, 13 400 logements ont besoin de telles réparations et 6 000 autres doivent être carrément remplacés.
  • Les logements des autochtones sont en général plus petits que ceux des autres Canadiens, mais ils abritent un plus grand nombre de personnes.
  • Les autochtones sont 90 fois plus susceptibles que les autres Canadiens d'être sans eau courante. Dans les réserves, plus de 10 000 foyers n'ont pas de plomberie intérieure.
  • Les systèmes d'adduction d'eau et d'égout ne répondent pas aux normes dans environ une réserve sur quatre.
  • Dans le Nord, les décharges de déchets solides et les eaux d'égout non traitées contaminent le sol, le poisson et la faune.

Des logements salubres, un bon approvisionnement en eau et des services d'égout convenables pour les autochtones devraient représenter une des grandes priorités des gouvernements – premièrement, pour réduire les menaces à la santé, et deuxièmement, pour ne pas que les nouveaux gouvernements des nations autochtones se retrouvent avec une crise sur les bras. Plusieurs obstacles empêchent depuis longtemps les améliorations :

  • Le coût qu'entraînerait la satisfaction de tous les besoins des autochtones en matière de logement, d'eau potable et de services sanitaires est élevé et les gouvernements hésitent à l'assumer.
  • Les Premières nations soutiennent que le logement et les services s'inscrivent dans les droits issus de traités. Le gouvernement fédéral conteste cette position.
  • Les travaux de construction dans les collectivités rurales et du Nord, où vivent de nombreux autochtones, sont complexes et par conséquent coûteux. Le marché du logement est trop petit et trop assujetti à la conjoncture des industries primaires pour bien fonctionner.
  • Les banques et les autres institutions financières ne sont pas portées à financer les nouvelles constructions dans les réserves en raison des restrictions imposées par la Loi sur les Indiens et de la confusion qui règne au sujet de la propriété individuelle des maisons.

L'avènement de gouvernements autonomes offre l'occasion rêvée de réaménager les politiques nationales, provinciales et territoriales régissant le logement et les services publics pour les autochtones. À l'heure actuelle, les gouvernements ne répondent tout simplement pas à des besoins essentiels. Dans certains cas, ils ont réduit les programmes d'aide avant que les objectifs n'aient été atteints.

Tant que les nations autochtones ne seront pas en mesure de prendre le relais, les gouvernements canadiens ont l'obligation de veiller à ce que tous les autochtones soient convenablement logés.

La plupart des autochtones peuvent apporter une contribution – certains en acceptant la responsabilité d'une hypothèque, d'autres en fournissant la main-d'œuvre ou les matériaux nécessaires à la construction et à la réparation ou en payant un loyer dans une unité existante. C'est ce qu'ils devraient faire, dans toute la mesure du possible, pour que les ressources limitées aillent à ceux qui en ont le plus besoin.

Nous devons jeter nos eaux usées dans des fosses à ciel ouvert et utiliser des toilettes extérieures même en hiver, lorsqu'il fait 30 ou 40 au-dessous de zéro. C'est assez pour tomber malade, quel que soit votre âge.

Le chef Ignace Gull, Collectivité de Première nation d'Attawapiskat, Moose Factory (Ontario)

Nous proposons que les gouvernements canadiens et autochtones et que les autochtones, à titre individuel, consacrent suffisamment de ressources pour que les besoins en matière de logement soient entièrement comblés d'ici 10 ans. Les obstacles qui entravent depuis longtemps le progrès peuvent être aplanis de la façon suivante :

  • Nous croyons que les autochtones et les collectivités autochtones doivent assumer une partie des coûts de logement. Nous proposons que les gouvernements fédéral et provinciaux (territoriaux) assument environ les deux tiers des coûts de logement et que les autochtones, lorsqu'ils auront atteint un certain niveau de revenu, en supportent environ le tiers.
  • Des institutions autochtones régionales peuvent être créées pour gérer le financement, la construction et l'entretien des logements et de l'infrastructure publique.
  • La question de savoir si le logement est un droit issu de traité peut être réglée dans le cadre du nouveau processus d'établissement de traités que nous préconisons.
  • La question de la propriété dans les réserves devrait relever de la compétence des nouveaux gouvernements autochtones et être réglée d'une façon qui incite les résidents à entretenir et à améliorer leur logement.

Pour ce qui est de l'eau et des services sanitaires, le Plan vert du gouvernement fédéral (une initiative spéciale qui a pris fin en 1995) a contribué à réduire l'écart entre les services de base offerts aux autochtones et ceux des collectivités non autochtones. Il reste toutefois beaucoup à faire.

Selon les projections fédérales actuelles, il faudra encore au moins neuf ans avant que toutes les installations non conformes aux normes soient remplacées ou réparées. Ce délai est tout simplement inacceptable car il s'agit d'un déterminant de la santé et de la vitalité communautaire absolument fondamental.

C'est la plupart du temps dans les petites collectivités que les besoins en eau et en services sanitaires sont urgents. La mise à niveau des services ne nécessite aucune technologie complexe ni grande bureaucratie. Cette tâche requiert simplement une technologie appropriée, des fonds suffisants et du personnel compétent et bien formé pour exploiter et surveiller les services essentiels.

Nous proposons d'accélérer le rythme des mesures correctrices, pour doter toutes les collectivités de services d'eau et d'égout convenables d'ici cinq ans.

Autant des logements et des services publics médiocres sont préjudiciables à la santé et au bien-être, autant un revirement de la situation dans ce domaine pourrait avoir un effet régénérateur global :

  • La construction et l'entretien de logements, de canalisations d'eau, de stations de pompage, d'usines de traitement des eaux d'égout, etc. rendront nécessaire le recours à la main-d'œuvre, aux entreprises et aux talents locaux. Le programme de construction et de rénovation domiciliaire que nous proposons de réaliser en 10 ans devrait créer des emplois représentant 178 000 années-personnes dans le seul secteur du bâtiment. Il permettra aussi aux entrepreneurs locaux d'acquérir une expérience utile à leur expansion.
  • Les collectivités pourront regrouper leurs besoins en matière de bâtiment, ce qui ouvrira de nouvelles perspectives. Les besoins d'un groupe de collectivités, par exemple, pourraient assurer la prospérité d'une cimenterie et d'autres entreprises spécialisées.
  • Il pourrait y avoir d'autres retombées économiques encore plus intéressantes. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux devraient être prêts à investir des capitaux pour favoriser l'essor des entreprises locales pendant ce boom économique.

Il ne suffit pas de poser des briques et du mortier pour construire un logement. À Oujé-Bougoumou, au Québec, un projet de construction domiciliaire s'inspirant de la culture et des valeurs traditionnelles comme des concepts et de la technologie modernes a enclenché tout un processus de guérison et de renouveau communautaires. Il y a à peine 10 ans, les conditions de vie des Cris d'Oujé-Bougoumou étaient considérées comme les pires du monde industrialisé. Aujourd'hui, leur situation s'est améliorée à tel point que les Nations Unies ont récemment inscrit leur nouveau village parmi les 50 collectivités exemplaires du monde.

Tout est possible.

La collectivité de Première nation de Gesgapegiag, dans l'est du Québec, a créé un programme de logement dynamique où elle combine les subventions au logement du MAINC, les subsides de la SCHL et les avances de fonds de la caisse populaire Desjardins. La bande négocie des prêts accordés pour ceux qui sont capables de rembourser des prêts hypothécaires à long terme. Elle offre également de la formation à la main-d'œuvre locale pour que la construction coûte moins cher.

Le contrôle autochtone de l'éducation : tout reste à faire

Les autochtones disent souvent : « Nos enfants sont notre avenir. » Par voie de conséquence, cet avenir dépend de la qualité de l'éducation donnée aux enfants. C'est en effet par l'éducation que l'on forme la façon de penser, que l'on transmet des valeurs et des connaissances, que l'on inculque les aptitudes linguistiques et sociales, qu'on libère les forces créatrices et qu'on détermine les capacités productives.

Les autochtones sont bien conscients de l'importance de l'éducation. Voilà une bonne trentaine d'années qu'ils réclament davantage de contrôle sur l'éducation de leurs enfants.

La participation des parents et la gestion locale des écoles sont la norme au Canada – sauf pour les autochtones. Les gouvernements et les Églises ont toujours tenté de se servir de l'éducation pour contrôler les autochtones et les assimiler, à l'époque des pensionnats, bien sûr, mais aussi, plus subtilement, de nos jours.

Lorsque les autochtones cherchent à exercer un contrôle plus étroit sur l'éducation, ils ne demandent pas davantage que ce qu'ont déjà les autres communautés : la chance de déterminer le genre d'hommes et de femmes que deviendront demain les enfants d'aujourd'hui. Dans l'ensemble, les autochtones souhaitent que l'éducation accomplisse deux choses :

  • Ils veulent que les écoles transmettent aux enfants, aux adolescents et aux adultes les connaissances et les capacités dont ils ont besoin pour pleinement participer à l'activité économique.
  • Ils veulent que les écoles fassent de leurs enfants des citoyens des nations autochtones en leur transmettant la langue et les traditions nécessaires pour assurer la continuité culturelle.

Nous ouvrons en vue d'établir des systèmes politiques anishnabés et il nous faut accorder une attention particulière à l'éducation, un outil qui nous permettra d'assurer le bon fonctionnement des nations anishnabées.

Vernon Roote Grand chef adjoint, Union des Indiens de l'Ontario

Dans le système actuel, ces deux objectifs ne sont pas atteints. La majorité des jeunes autochtones ne terminent pas leurs études secondaires. Ils quittent l'école sans avoir obtenu les diplômes qui leur permettraient de trouver du travail dans l'économie de la société majoritaire, et sans vraiment connaître leur langue et leur culture. Ils ont le plus souvent été victimes de l'ignorance et de la haine qu'engendre le racisme, et cette expérience les laisse complètement abattus ou révoltés.

La plupart des changements que nous proposons dans le domaine de l'éducation ont déjà été recommandés par des commissions et des groupes de travail dont les plus anciens remontent aux années 70. Tout le monde s'entend sur ce qu'il faut faire et cela aurait dû être fait depuis longtemps.

  • Si les responsabilités administratives à l'égard des écoles situées dans les réserves étaient transférées aux Premières nations, ce serait un pas dans la bonne direction. Mais ce sont principalement des enseignants non autochtones qui travaillent dans ces écoles, et les programmes et les méthodes d'enseignement employés ont été conçus pour des étudiants de culture différente, qui ont des besoins différents.
  • Près de 70 % des enfants autochtones fréquentent des écoles provinciales ou territoriales, mais le système de la culture dominante est rarement tenu de rendre des comptes aux autochtones et il n'a pas déployé beaucoup d'efforts pour rejoindre les parents autochtones et encourager leur participation.
  • Dans toutes les provinces et tous les territoires, les fonds consacrés à l'éducation autochtone sont insuffisants pour compenser le déficit éducatif accumulé.

Malgré tous ces problèmes, les autochtones demeurent convaincus que l'éducation peut jouer un rôle positif dans l'acquisition de compétences biculturelles et de l'estime de soi, aussi bien pour leurs enfants que pour eux-mêmes. Ils estiment que l'éducation peut contribuer au développement holistique des leurs, depuis les tout-petits jusqu'aux anciens.

C'est pourquoi nous recommandons la création de systèmes d'éducation contrôlés par les autochtones, reconnus par tous les gouvernements et disposant des ressources nécessaires pour planifier et fournir une éducation la vie durant. Nous recommandons de plus que les écoles provinciales et territoriales veillent à ce que leur enseignement soit pleinement adapté aux élèves autochtones.

Les politiques adoptées en matière d'éducation doivent garantir qu'à chaque étape de la vie correspond une période d'apprentissage appropriée.

L'éducation des autochtones comme mesure d'assimilation a, partout et toujours, échoué; elle a échoué lamentablement et fait beaucoup de tort. L'éducation des autochtones en vue de l'autonomie, lorsqu'elle est contrôlée par les autochtones, donne de bons résultats.

Dr. Eber Hampton, Président, Saskatchewan Indian Federated College

L'éducation de la petite enfance

Dans le domaine de l'éducation comme celui de la santé, la petite enfance est une étape cruciale. La vie familiale traditionnelle donnait aux enfants autochtones une base solide favorisant le sentiment de sécurité et la confiance en soi. De nos jours, les familles autochtones ne sont pas toujours en mesure de remplir cette fonction. La pauvreté, un sentiment d'aliénation, l'expérience du pensionnat et le dysfonctionnement des familles et des groupes sociaux empêchent souvent les parents de bien jouer leur rôle. Les enfants autochtones qui commencent l'école ont donc souvent besoin de compréhension et d'appui pour parvenir à libérer leur capacité naturelle d'apprentissage.

C'est à nous, Anishnabés, d'assurer le développement de l'éducation pour les générations à venir. Nous pouvons y parvenir grâce à la spiritualité et à l'usage de notre langue pour nos communications.

Isadore Talouse, Enseignant, collectivité de Première nation de Wikwemikong

Comme tous les enfants, les petits autochtones doivent maîtriser les tâches intellectuelles, physiques, affectives et spirituelles qu'il faut accomplir à cette étape de la vie. Il leur faut également renforcer leur identité d'autochtone. Nous proposons que tous les enfants autochtones, quel que soit leur statut ou leur lieu de résidence, aient accès à une éducation dynamique et axée sur la culture. Pour ce qui est des écoles primaires, nous recommandons :

  • que toutes les écoles, qu'elles soient ou non principalement fréquentées par des élèves autochtones, adoptent des programmes qui intègrent les réalités culturelles autochtones;
  • que les gouvernements allouent des fonds permettant d'accorder une grande priorité à l'enseignement des langues autochtones, lorsque le nombre le justifie;
  • que les écoles provinciales et territoriales fassent plus d'efforts pour favoriser la participation des parents autochtones aux décisions.

L'éducation des adolescents

Les adolescents autochtones vivent dans deux mondes – l'un où règnent les valeurs et les croyances autochtones et l'autre où la télévision, la culture populaire et l'entourage imposent des valeurs et des choix différents.

Il faut que les adolescents autochtones soient profondément convaincus de leur valeur en tant qu'individus pour résister à tous ces messages et à toutes ces sollicitations. Ils ont souvent du mal à les concilier. Les forts taux de décrochage scolaire, les grossesses précoces, la toxicomanie, les démêlés avec la justice et les comportements suicidaires reflètent leur détresse et leur confusion.

Les jeunes autochtones ont admis devant la Commission qu'ils se sentaient marginalisés – que ce soit à l'école ou dans leurs collectivités d'origine, personne ne les écoute. Nous examinons dans le chapitre suivant plusieurs façons de responsabiliser ces adolescents.

Il est essentiel que les adolescents autochtones puissent rester chez eux tout en fréquentant l'école secondaire. À 13 ans, ils ne sont pas prêts à quitter leur famille et leur milieu. Il faudra un jour qu'il y ait des écoles secondaires dans les collectivités autochtones. Pour les collectivités de très petite taille, le téléenseignement est une solution qui rend les études secondaires possibles sur place.

Les jeunes autochtones qui abandonnent l'école avant d'obtenir leur diplôme ont besoin d'encouragement pour reprendre leurs études. Un tel soutien est particulièrement important pour les adolescentes qui quittent l'école parce qu'elles sont enceintes. Les autorités autochtones et provinciales devraient prendre des mesures pour favoriser le retour aux études des jeunes autochtones.

Tous les parents s'inquiètent lorsque les valeurs et la vision du monde enseignées à l'école contredisent ce qui se pratique à la maison ou n'en tiennent aucun compte.

Elsie Wuttunee, District scolaire no 1 du Conseil scolaire catholique de Calgary

L'éducation des adultes

Les autochtones atteignent souvent l'âge adulte sans avoir les capacités, les connaissances ou les diplômes dont ils auraient besoin pour trouver des emplois ou occuper des postes de responsabilité dans leur collectivité. Leurs besoins sont très variés et vont de l'écriture, de la lecture et du calcul à la formation professionnelle spécialisée. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont financé toute une série de programmes de formation pour les adultes, mais les autochtones se heurtent à des obstacles particuliers :

  • Vivant dans des collectivités bien souvent isolées, ils n'ont accès qu'à un nombre limité de programmes.
  • Les cours offerts ne sont pas ancrés dans leur mode de vie et leur situation.
  • Les conditions d'entrée ne tiennent pas compte de leurs antécédents et de leur culture.
  • Les programmes leur offrent rarement l'appui individuel dont ils ont besoin, en parti-culier sur le plan des services de garderie pour les étudiantes adultes.

Certains collèges autochtones, comme le Saskatchewan Indian Federated College, Old Sun, en Alberta, et le Nicola Valley Institute of Technology, en Colombie-Britannique, réussissent à combler en partie ces besoins. Ce sont pour la plupart de petits établissements communautaires qui adaptent leurs programmes en fonction d'étudiants adultes qui, souvent, ont eu de mauvaises expériences dans le milieu scolaire. Ils ont montré qu'ils étaient capables de garder les étudiants jusqu'à ce que ceux-ci obtiennent leurs diplômes, souvent avec d'excellentes notes.

Tous les gouvernements devraient collaborer pour augmenter le nombre de ces établissements, leur assurer un financement stable et leur ménager la place qui leur revient parmi les établissements postsecondaires.

Le taux de décrochage chez les étudiants autochtones qui fréquentent les collèges et les universités de la société dominante est très élevé. Si l'on veut lutter contre ce problème, il faudra aplanir les obstacles, entre autres en leur fournissant un appui pour qu'ils puissent être acceptés dans les collèges et les universités et en leur accordant une aide spéciale pour qu'ils poursuivent leurs études. On pourrait s'inspirer sur ce point de ce que font déjà un certain nombre de provinces et d'établissements.

Les nations autochtones vont demander que les traités qu'ils négocient prévoient le financement de l'enseignement postsecondaire. Entre-temps, le gouvernement fédéral devrait continuer à assumer intégralement les coûts d'éducation postsecondaire des Indiens inscrits. Il devrait également accorder des bourses spéciales d'études postsecondaires et des subventions aux étudiants métis et indiens non inscrits.

La garderie Splats'in de la Première nation de Spallumcheen, en Colombie-Britannique, a été conçue sur le modèle traditionnel de la famille étendue. Les anciens et les enfants mènent ensemble des activités quotidiennes; ils prennent soin des animaux, cultivent le jardin et se livrent aux artisanats traditionnels. Parce qu'ils sont exposés chaque jour à la langue shuswap, les enfants commencent à l'utiliser comme langue maternelle.

L'éducation en vue de l'autonomie gouvernementale

Les peuples et les nations autochtones ont besoin d'un système d'éducation sur mesure pour accéder à l'autonomie gouvernementale et en bénéficier. Il faudra tout d'abord former les personnes qui occuperont les emplois créés par l'autonomie gouvernementale. Ensuite, ils vont avoir besoin d'établissements d'enseignement pour protéger et développer leurs cultures, leurs langues et leurs connaissances et pour appliquer les savoirs traditionnels aux problèmes du monde moderne. Ce sont des établissements uvrant au palier régional ou national qui seront le mieux en mesure de répondre à ces besoins.

Le besoin le plus urgent est la formation. Il varie selon la nation autochtone concernée, mais il faudra à toutes les nations des administrateurs et des employés compétents pour occuper les divers postes de la fonction publique : des postes dans le développement économique, les services sociaux et les soins de santé, les travaux publics, l'éducation, les sports et les loisirs, etc.

La planification permettra aux nations autochtones de préciser leurs besoins futurs en matière de personnel, mais l'on peut d'ores et déjà affirmer qu'il n'y a pas suffisamment d'autochtones compétents pour combler tous les postes qui seront créés.

La Commission propose que les nations autochtones se fixent des objectifs précis en matière de développement des ressources humaines dans des secteurs clés et que les gouvernements canadiens concluent avec elles des accords prévoyant des régimes de formation très souples, des programmes de stage et des échanges, pour atteindre certains objectifs quantitatifs dans des domaines précis. Les gouvernements devraient unir leurs efforts pour lancer une campagne destinée à sensibiliser les jeunes autochtones aux occasions qui vont bientôt s'offrir à eux. Si l'on veut que les nations autochtones soient fin prêtes lorsqu'il s'agira de mettre en œuvre l'autonomie gouvernementale, il ne faudrait pas attendre que les traités et les autres accords soient conclus pour prendre ces mesures. L'éducation est une composante essentielle à cet égard.

Les Métis ne pourront pas atteindre leur objectif d'autonomie gouvernementale et de développement économique si les membres de leurs collectivités ne sont pas instruits et n'ont aucune formation technique.

Claire Riddle, Vice-présidente, Région de Winnipeg, Manitoba Metis Federation

À mesure que les gouvernements des nations autochtones seront créés, ils vont progressivement prendre en charge la planification et la prestation des services d'éducation offerts à leurs citoyens, en coordonnant leurs efforts avec les institutions provinciales et territoriales. Certaines collectivités administrent déjà les services éducatifs autochtones locaux. Les Nisg_a'as de la Colombie-Britannique et les Micmacs de la Nouvelle-Écosse ont signé des ententes créant des services éducatifs complets pour leurs nations. Nos recommandations vont dans le même sens.

Nous recommandons également de prendre des mesures dans le but de protéger et de développer les cultures autochtones :

  • Université internationale des peuples autochtones
    Nous pensons qu'une université contrôlée par les autochtones serait particulièrement à même de protéger et de développer les savoirs traditionnels et de faire de la recherche appliquée sur les questions qui intéressent les nations autochtones. Elle pourrait s'appuyer sur des initiatives régionales et favoriser la collaboration entre les institutions du savoir. Elle coordonnerait un ensemble de cours et de programmes dans les collectivités indiennes, métisses et inuit et aurait recours au téléenseignement.
  • Centre électronique pour l'échange d'informations
    Il faut que les autochtones puissent, malgré la distance qui les sépare, se faire part de leurs réussites et de leurs échecs – en matière de réforme de l'éducation et dans tous les domaines de l'autonomie gouvernementale. Cette initiative pourrait être une version canadienne du NativeNet américain, sur Internet.
  • Centre de documentation autochtone
    Une grande partie de l'histoire des peuples autochtones se trouve consignée dans les dossiers des gouvernements, des églises et des dépôts d'archives du pays; le reste est conservé dans la mémoire d'autochtones qui, souvent, sont déjà âgés. Il faudrait, avant qu'il ne soit trop tard, rassembler, préserver et rendre plus accessibles à tous les Canadiens les documents historiques et les souvenirs concernant tous ces événements, tant heureux que malheureux. Il nous semble qu'un centre de documentation administré par les autochtones serait tout indiqué.

La protection du patrimoine et des arts autochtones

Les cultures autochtones traditionnelles sont axées sur l'ordre des choses dans l'univers. Elles sont influencées par les paysages et guidées par une philosophie qui accorde vie et esprit à tous les éléments du monde animé. Les autochtones sont convaincus que toute chose a une place et un rôle, et qu'il y a toujours des liens d'interdépendance; les codes d'éthique qui visent à amener les êtres humains à se comporter de façon harmonieuse reflètent cette philosophie.

Les cultures autochtones n'ont jamais été statiques. Elles ont toujours répondu à l'évolution de l'expérience humaine. Elles ne sont pas dépassées, elles ne sont pas perdues ni mortes.

De plus en plus d'autochtones ouvrent leur cur et leur esprit à l'idée que les croyances et les pratiques traditionnelles sont utiles dans le monde moderne et qu'elles peuvent jouer un grand rôle pour rétablir un sentiment d'identité individuelle et collective et donner une raison de vivre à ceux qui n'en ont plus.

Les cultures autochtones sont en danger de disparaître à cause des anciennes politiques qui ne tenaient aucun compte des langues, des cérémonies et des traditions autochtones ou qui parfois même visaient à les supprimer. Il faudra prendre des mesures pour aider ceux qui cherchent à exprimer, à conserver, à rétablir et à approfondir leur culture, dans toute sa richesse et sa diversité.

Pourtant, nous avons survécu et nous continuerons de survivre. Notre langue est encore vivante, ainsi que notre culture. Nous sommes très fiers d'être Indiens.

Roly Williams, Centre d'éducation des adultes Noee Kwe, London (Ontario)

Ces mesures de protection devraient s'appliquer aux formes matérielles des cultures autochtones (objets façonnés, œuvres d'art, travaux d'artisanat, lieux historiques) ainsi qu'à leurs formes dynamiques (chants, danses, légendes, enseignements) propres à susciter les réminiscences et l'inspiration collectives.

C'est grâce aux cultures vivantes des autochtones que l'on pourra faire disparaître les mythes et les stéréotypes, les faussetés et les erreurs que la plupart des non-autochtones du Canada entretiennent. Pour y parvenir, il faudra instaurer un dialogue avec des communicateurs autochtones compétents.

Ce n'est qu'en essayant de connaître l'autre et de comprendre sa sagesse que l'on pourra établir un véritable partenariat entre les peuples.

Tout le long des Foothills, les esprits ordonnent aux chefs cérémoniels de tenir des cérémonies dans des lieux précis, dont certains sont à l'extérieur des réserves, sur des terres provinciales ou fédérales. Nos anciens s'en voient refuser l'accès.

Alvin Manitopyes, Comité de l'environnement, Assemblée des Premières nations

Héritage culturel

Les cultures des peuples autochtones sont enracinées dans la terre – à des endroits précis qui, selon la tradition, leur ont été donnés pour qu'ils en prennent soin et les utilisent pour subvenir à leurs besoins. Certains lieux géographiques ont marqué leur histoire et leur mythologie. Les ossements de leurs ancêtres reposent dans cette terre. Les autochtones ont fabriqué, à partir des ressources de la terre, les objets sacrés employés pour les cérémonies. Ils ont sculpté des masques et des emblèmes, ils y ont gravé l'histoire de leur famille et de leurs ancêtres, ils ont raconté leurs grands événements au moyen de chants, de légendes et de danses.

Les autochtones ont toutefois été chassés de la plupart de leurs lieux sacrés. Ils ont vu des gens de l'extérieur s'emparer d'objets sacrés pour les exposer dans de lointains musées, bien souvent hors contexte et sans respecter l'âme de ces objets. Les autochtones ont des exigences justifiables :

  • protéger les lieux historiques et sacrés;
  • recouvrer les restes humains pour les réinhumer convenablement;
  • rapatrier les objets d'importance particulière;
  • empêcher les non-autochtones de s'approprier les chants, les légendes et les autres œuvres intellectuelles des autochtones.

Certaines questions liées à la protection des sites se règlent actuellement par l'établissement et le renouvellement de traités. Des musées ont accepté de restituer des objets sacrés. Des artistes, des écrivains et des archéologues utilisent maintenant avec sensibilité les images et les légendes autochtones. On ne peut toutefois pas s'en remettre uniquement à la compréhension dont font preuve ces personnes pour protéger le patrimoine culturel comme le souhaiteraient les autochtones.

Les gouvernements devraient collaborer pour dresser un inventaire des lieux sacrés, en partie pour éviter que le développement économique ou l'érosion naturelle ne les dégrade. Il faudrait demander aux anciens de signaler les sites prioritaires.

Nous invitons également les musées et les établissements culturels à adopter des codes de déontologie concernant l'acquisition, l'exposition et l'explication des objets appartenant aux cultures autochtones. Il faut que les autochtones aient davantage accès à leur propre patrimoine culturel, qu'on leur facilite l'étude de leur culture et qu'on accroisse les ressources pour qu'ils puissent créer leurs propres centres d'exposition et de recherche.

La langue est l'un des principaux instruments de transmission de la culture, d'une génération à l'autre.

Langues vivantes

La langue est l'un des principaux instruments qui permet de transmettre la culture d'une génération à l'autre et d'interpréter l'expérience collective.

Au Canada, on trouve 11 grandes familles linguistiques autochtones et plus de 50 langues différentes. Le nombre des locuteurs de langue autochtone ne représente qu'une fraction de la population autochtone : environ une personne sur trois chez les cinq ans et plus. La plupart sont des adultes ou des personnes âgées. Même les langues les plus utilisées – le micmac, le montagnais, le cri, l'ojibwa, l'inuktitut, certaines langues dénées – sont menacées d'extinction parce que les jeunes les parlent de moins en moins.

On assiste dans le monde entier au déclin des langues minoritaires face aux langues de la culture dominante – en particulier celles qu'utilisent les médias et la culture populaire. Les langues autochtones ont subi un dur coup lorsque les autorités scolaires ont forcé tous les enfants autochtones à parler le français ou l'anglais.

Un ancien a déclaré : « Sans la langue, nous ne sommes que des corps sans esprit. »

Mary Lou Fox, ancienne, Fondation culturelle ojibwa, Sudbury (Ontario)

La disparition de ces langues entraînerait celle de la conception du monde particulière aux autochtones, de leur sagesse ancestrale et de leur façon de vivre. Si l'on veut protéger ces langues, il faut :

  • préserver ou augmenter le nombre des locuteurs;
  • les utiliser dans les communications quotidiennes – en particulier au sein de la famille.

Lorsque l'usage d'une langue est en déclin ou gravement menacé, les programmes d'immersion peuvent être utiles – mais une langue ne peut vivre que si elle est utilisée couramment. Elle doit servir dans les communications au travail, à l'école, dans les médias, avec le gouvernement – et, principalement, à la maison.

Il appartiendra à chaque nation autochtone de décider des mesures à prendre pour protéger ces langues et d'élaborer des politiques en ce sens. Entre-temps, les personnes qui parlent les langues autochtones vieillissent et meurent. Nous proposons la création d'une fondation pour la revitalisation des langues autochtones, qui serait chargée de consigner, d'étudier et de préserver les langues autochtones ainsi que d'aider les autochtones à faire renaître celles qui sont déjà disparues.

J'ai perdu ma langue
par Rita Joe

J'ai perdu ma langue
La langue que vous m'avez volée.
Lorsque j'étais petite fille
À l'école de Shubenacadie.

Vous me l'avez arrachée :
Je parle comme vous.
Je pense comme vous.
Je crée comme vous
La confuse ballade du monde qui est le mien.

J'ai deux façons de parler.
Avec les deux je vous dis :
La vôtre est plus puissante.

Doucement donc, je vous tends la main :
Laissez-moi retrouver ma langue.
Pour que je puisse me révéler à vous.

Communications

Le Canada a toujours été profondément tributaire des moyens de communication – depuis les cours d'eau utilisés pour la traite des fourrures jusqu'au chemin de fer transcontinental et aux liaisons satellite modernes. L'information communiquée par ces outils façonne notre conception du monde et des autres. Il est clair que nous avons besoin au sujet des autochtones d'une information exacte et de descriptions réalistes.

Ce n'est toutefois pas l'image des autochtones que véhiculent les médias. Pour la plupart des Canadiens, les autochtones sont d'ardents défenseurs de l'environnement, des guerriers en colère ou des victimes pitoyables. Les aspects de leur caractère et de leur personnalité que décrivent les médias sont excessivement limités.

Les grands médias ne reflètent pas très bien la réalité autochtone, pas plus qu'ils n'offrent aux autochtones la possibilité de se dire – en tant que radiodiffuseurs, journalistes, commentateurs, poètes ou conteurs. Les autochtones n'ont pas souvent l'occasion d'expliquer qui ils sont à leur façon et avec leurs mots.

Les Canadiens ne connaissent pas les opinions des autochtones et ils conservent souvent de fausses impressions sur ce que sont la vie et les aspirations des autochtones ainsi que sur les raisons qui motivent leurs actions.

Je cite Louis Riel : « Mon peuple dormira pendant 100 ans, puis il se réveillera, et ses artistes lui rendront son esprit. »

Marie Mumford, Association for Native Development in the Performing and Visual Arts

Les autochtones disposent de très peu de moyens pour communiquer entre eux. Il n'existe que quelques services de communication qui leur appartiennent – et les compressions récentes ont pratiquement supprimé le financement de ces services. La primauté accordée aux images et aux préoccupations des non-autochtones dans les médias affaiblit les cultures autochtones. Dans le Nord, par exemple, l'arrivée de la télévision au cours des années 60 a transformé la société en moins d'une génération.

Nous formulons des propositions qui touchent quatre domaines :

  • Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes devrait demander à tous les détenteurs de permis visant les régions où vivent des populations autochtones importantes de fournir du temps d'antenne aux autochtones.
  • Les médias de la société majoritaire, tant publics que privés, devraient accorder une plus grande place aux autochtones.
  • Le gouvernement fédéral devrait encourager la formation des autochtones aux métiers de la communication.
  • Le gouvernement fédéral devrait accorder un financement de base aux médias contrôlés par les autochtones et offrir des incitations pour que le secteur privé les appuie.

Arts plastiques et arts du spectacle

Pour les autochtones, comme pour les autres, les arts sont le reflet et le prolongement de leur histoire, de leur mythologie et de leur spiritualité. Ils sont à la fois un miroir qui permet aux autochtones de mieux se connaître et une fenêtre qu'ils ouvrent pour que les autres puissent les voir. Qu'il s'agisse de formes d'expression traditionnelles, modernes ou mixtes, les artistes autochtones font partie intégrante de leurs propres cultures ainsi que de l'identité culturelle du Canada.

Après le décès prématuré de la poétesse Pauline Johnson, en 1913, il a fallu attendre près de 60 ans avant qu'un autre auteur autochtone ne soit publié au Canada. Malgré tout ce qu'elle a à offrir, la littérature autochtone est encore boudée par l'industrie canadienne de l'édition.

Greg Young-Ing, Theytus Books, Vancouver (Colombie-Britannique)

Compte tenu de l'importance des arts et des artistes autochtones, on s'étonnera peut-être du peu d'appui qu'ils reçoivent des secteurs public et privé.

  • La grande majorité des livres sur les autochtones qui sont publiés chaque année par les grandes maisons d'édition canadiennes sont écrits par des non-autochtones.
  • Les éditeurs autochtones éprouvent beaucoup de difficultés à obtenir l'appui des organismes gouvernementaux chargés de favoriser l'édition.
  • Les objets d'art autochtones, qui étaient autrefois utilisés dans la vie quotidienne et pour les cérémonies, se retrouvent plus souvent dans les musées d'anthropologie que dans les musées d'art.
  • Le ministère des Affaires indiennes a beaucoup fait pour créer un marché pour les arts et l'artisanat inuit et il a généralement appuyé la formation dans le domaine des arts plastiques et des arts du spectacle. Il se préoccupe toutefois fort peu de la production de spectacles, un aspect essentiel de la formation.
  • Les organismes de financement des arts ne font que commencer à chercher des façons d'apprécier les formes d'art et les œuvres des autochtones en fonction de critères culturellement pertinents.

À l'époque où l'on tentait d'asservir et d'assimiler les autochtones, on a tout fait pour étouffer leur voix, qui exprimait des cultures et des conceptions du monde uniques. Même à notre époque de renouveau, les institutions canadiennes, tant publiques que privées, se désintéressent des arts et des artistes autochtones.

Pour les commissaires, les arts plastiques, la littérature et les arts du spectacle ont besoin qu'on leur accorde un solide appui pendant au moins une génération si l'on veut les revitaliser et les enrichir. Nous proposons la création d'un conseil des arts autochtones, une révision des conditions régissant l'octroi des subventions par les institutions de la société majoritaire et un soutien accru à la formation et aux installations d'exposition et de production.

Améliorer la vie des autochtones

Le débat sur les questions autochtones est souvent centré sur la fonction gouvernementale et sur les aspects juridiques, constitutionnels et institutionnels, mais son but véritable consiste en fait à améliorer la vie des autochtones.

Chez les Gitksans et les Wet'suwet'ens, la langue ne contient aucun mot pour désigner la santé. Toutefois, il existe un terme pour « force » que l'on peut utiliser dans le sens de « santé ». Ces peuples parlent aussi de bien-être. Le bien-être est associé à l'estime de soi, un sentiment de paix et de bonheur. Ce concept englobe l'éducation. Il englobe l'emploi. Il englobe les revendications territoriales. Il englobe la gestion des ressources. Tout cela nous ramène au bien-être intégral et au mieux-être.

Rhea Joseph, Dossier santé, Native Brotherhood of B.C.

Au cours des années, on a consacré beaucoup de temps, d'énergie et d'argent à cette fin, sans parvenir à éliminer les graves problèmes de santé, d'éducation et de fonctionnement des familles. La persistance de ces problèmes mine les individus et les collectivités autochtones. Pour les Canadiens, ces problèmes freinent le développement du pays.

Les problèmes sociaux des autochtones sont-ils insolubles? Sans espoir? Certainement pas. Mais il faut modifier complètement la façon d'organiser et de fournir les services qui leur sont dispensés.

On ne peut pas mettre fin à la détresse, à la violence et aux comportements autodestructeurs et améliorer la vie des autochtones sans modifier au préalable la répartition des pouvoirs et des ressources. Le contrôle par les autochtones n'est toutefois pas une panacée – l'autonomie gouvernementale n'est pas un outil magique et ne saurait garantir le succès. Rien ne dit que les autochtones n'utiliseront pas parfois à mauvais escient leurs nouveaux pouvoirs. De toute façon, les effets de l'autonomie gouvernementale ne seront pas immédiats.

Entre-temps, il faut s'attacher à améliorer la vie des autochtones et à renforcer leurs capacités. L'efficacité du contrôle exercé par les autochtones en dépend également, comme l'illustre le cercle de bien-être que nous avons décrit au début du chapitre.

Comment y parvenir? De quatre façons :

  • Les gouvernements canadiens peuvent favoriser les initiatives et le contrôle autochtones.
  • Les dirigeants, à tous les niveaux, peuvent accorder plus d'importance à la politique sociale.
  • Les services sociaux pourraient offrir des programmes holistiques au lieu de programmes ponctuels.
  • Pour répondre aux besoins individuels en matière de logement, de santé, d'éducation, etc., on peut s'inspirer des recommandations formulées par la Commission.

Perspectives et réalités

Les Premières nations, les Inuit et les Métis constituent les peuples autochtones du Canada. Les Premières nations sont au moins une cinquantaine et elles ont beaucoup de points communs, mais elles diffèrent les unes des autres – et elles sont tout à fait différentes des Inuit, dont la culture a été modelée par les rigueurs du Nord. Les Métis sont eux aussi différents, à leur manière, car ils ont combiné les traditions autochtones et celles de leurs ancêtres européens pour créer une nouvelle culture unique en soi.

Des peuples nombreux aux voix diverses

Dans les trois premiers chapitres, nous avons examiné la plupart des questions que les autochtones ont le plus à cur. Mais ce serait une erreur de vouloir faire croire que tous les autochtones ont des préoccupations et des priorités identiques.

Notre peuple ne guérira et n'accédera à l'autonomie et à la force d'esprit et de vision que lorsque les femmes elles-mêmes se lèveront pour guider et soutenir nos chefs. Le moment est venu de le faire.

Nongom Ikkwe de la région du sud-est (Manitoba), Mémoire à la Commission

Certains groupes ont des préoccupations qui transcendent les frontières culturelles et nationales. Les femmes, les jeunes, les anciens, les citadins et les habitants du Nord avaient des préoccupations et des propositions spécifiques à exposer à la Commission. Nous reconnaissons le fait que les peuples autochtones représentent des réalités multiples, et nous leur cédons ici la parole.

Ce regroupement de personnes et d'idées ne signifie pas que nous pensons que toutes les femmes ou tous les Métis ou encore tous les habitants du Nord sont d'accord sur les mêmes problèmes et sur leurs solutions. Il n'en est rien. Mais au cours de nos entretiens avec eux, certains thèmes dominants se sont dégagés et nous vous les présentons ci-dessous. Nous espérons que tous ceux qui nous ont parlé retrouveront un peu d'eux-mêmes dans ce qui suit.

La voix des femmes

Les femmes ont joué un rôle dominant dans la vie politique et culturelle de nombreuses sociétés autochtones traditionnelles. Elles étaient avant tout honorées parce qu'elles étaient la source de la vie. Leur capacité de porter des enfants, de les élever et de former ainsi la nouvelle génération était considérée comme un don spécial du Créateur, la source d'un pouvoir extraordinaire et d'une responsabilité égale à celle des hommes.

Le leadership des femmes variait selon la nation. Les femmes mohawk, par exemple, prenaient une part active à la vie politique du clan, du village, de la nation et de la confédération. Les femmes inuit, elles, s'effaçaient devant les chefs masculins lorsqu'il s'agissait des décisions publiques, mais exerçaient une influence considérable dans les relations sociales et dans la vie familiale, en particulier lorsqu'elles étaient plus âgées. Dans certaines sociétés autochtones, les femmes avaient un rang subalterne; mais même alors, grâce à leurs talents et à leur savoir, elles jouaient un rôle essentiel au sein de la collectivité.

Les tâches dévolues aux femmes n'étaient pas les mêmes que celles dévolues aux hommes, mais elles étaient tout autant valorisées. Tous ceux qui étaient au camp travaillaient avec ardeur et chacun avait son rôle à jouer.

Martha Flaherty, Présidente, Pauktuutit

Nous n'avons pas la naïveté de croire qu'avant les premiers contacts avec les Européens, les femmes ne connaissaient aucun problème social dans leur vie. Mais des femmes autochtones nous ont dit qu'à l'arrivée des puissances coloniales, une nouvelle attitude d'esprit inquiétante s'est peu à peu établie dans leurs sociétés. Les politiques et les lois imposées par les gouvernements étrangers ont détruit les traditions culturelles et introduit la discrimination à l'égard des femmes.

Aujourd'hui, les femmes autochtones se sont organisées et sont en mesure de faire avancer les dossiers qui les préoccupent. Presque entièrement réduites au silence pendant de nombreuses années, elles vont maintenant pouvoir faire entendre leur voix.

Les femmes et le statut d'Indien

Le premier souci des femmes est celui de leur famille immédiate et de leurs collectivités. Elles ont cependant été aux premières loges pour voir les conséquences désastreuses que peuvent avoir des lois et des politiques à l'emporte-pièce.

Nous avons déjà décrit les restrictions et les contrôles imposés aux autochtones par la Loi sur les Indiens et par d'autres lois adoptées au xixe siècle. Les femmes étaient doublement désavantagées par la nature sexiste de cette loi fondée sur les notions victoriennes de race et de patriarcat. Pendant la plus grande partie de notre siècle, les femmes n'ont pas été autorisées à voter aux élections de bande; elles ne pouvaient pas être propriétaires de biens ni en hériter, et elles étaient en fait traitées comme la propriété de leurs époux en de nombreuses circonstances.

Ce qui est peut-être le plus choquant, c'est que l'identité d'une femme en tant que membre des Premières nations était déterminée par le statut de son époux. Même si elle parlait sa langue autochtone, pratiquait les traditions de sa nation, élevait ses enfants selon la coutume, elle cessait d'être Indienne aux yeux du gouvernement dès l'instant où elle épousait un non-Indien. Du même coup, ses enfants cessaient également d'être Indiens.

Les femmes et les enfants qui perdaient le statut d'Indien perdaient tous les droits qui y étaient attachés. Par contre, les hommes qui épousaient des femmes non indiennes n'étaient pas pénalisés de la même manière. Il a fallu que les femmes autochtones contestent cette situation pendant plus de 10 ans pour que le gouvernement fasse un effort et remédie à cette injustice en adoptant le projet de loi C-31, en 1985.

Le projet de loi C-31 prévoit la réintégration des personnes qui ont perdu leur statut d'Indien en vertu des anciens règlements et accorde le statut d'Indien à leurs enfants. Cependant, le processus et les critères utilisés pour la première inscription sont loin d'être clairs – et ils demeurent difficilement tolérables car c'est encore le gouvernement fédéral et non les autochtones qui se prononcent sur le statut d'Indien inscrit.

Par ailleurs, les enfants des femmes qui ont retrouvé leur statut d'Indienne en vertu du projet de loi C-31 ne bénéficient pas de tous les avantages dont jouissent les hommes qui avaient épousé des femmes non indiennes avant 1985. Et les enfants nés de ces unions après 1985 ne peuvent pas, en général, transférer leur statut à leurs enfants.

Avec le temps et les mariages avec des conjoints non inscrits, la catégorie des Indiens inscrits risque de disparaître complètement.

Je suis maintenant une Indienne inscrite en vertu de l'article 6.2 du projet de loi C-31. Pourtant, aux yeux du gouvernement, mes filles ne sont pas des autochtones. Elles ont un quart de sang autochtone. Faut-il que je leur dise qu'elles ne sont pas autochtones sous prétexte que tel est l'avis du gouvernement le dit? Non.

Connie Chappell, Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard)

Un autre problème était dû au fait que le projet de loi C-31 habilitait les bandes à décider qui pouvait devenir un de leurs membres et, en conséquence, qui pouvait vivre dans les réserves. Ceux qui ont acquis ou conservé ce statut en vertu du projet de loi C-31 ne deviennent pas automatiquement membres d'une bande ni ne jouissent des droits qui accompagnent ce statut. Dans certains endroits, l'accession aux logements subventionnés dans les réserves est chaudement contestée. Les femmes et les enfants qui bénéficient des dispositions du projet de loi C-31 souffrent parfois sur le plan matériel comme psychologique des mesures d'exclusion imposées par les bandes.

Au lieu de régler une fois pour toute la question de l'inscription, le projet de loi C-31 a créé de nouveaux clivages et des craintes nouvelles. À notre avis, c'est aux autochtones eux-mêmes qu'il revient de trouver les solutions, dans le processus d'édification nationale décrit au chapitre 2. Il n'appartient pas aux gouvernements canadiens de définir les conditions d'appartenance aux nations autochtones – ou de citoyenneté. Cependant, il importe que les femmes autochtones et leurs organisations disposent des ressources nécessaires pour participer pleinement à ce processus et à tous les aspects de l'édification nationale, avant que le gouvernement fédéral ne cède la place.

Une priorité : la guérison

Plus que toute autre chose, peut-être, ce qui importe pour les femmes autochtones, c'est que les autochtones guérissent des conséquences de la domination, du déracinement et de l'assimilation. Elles ont pu voir les effets désastreux de politiques inconsidérées sur la structure sociale de leurs collectivités. Beaucoup d'entre elles nous ont dit que l'autonomie gouvernementale n'est pas possible sans un processus de guérison préalable, car la santé des nations est déterminée par celle des individus et des collectivités.

Pour pouvoir se libérer de la peine, de la colère et du ressentiment hérités de leur passé colonial, il faut que les autochtones et leurs collectivités mettent en œuvre leurs propres stratégies de guérison, ce qui implique des initiatives fondées sur les pratiques traditionnelles et sur une véritable compréhension de leurs besoins. Les femmes veulent des services sociaux et des soins de santé plus complets et de meilleure qualité, dotés de ressources suffisantes et d'un personnel à prépondérance autochtone.

La violence familiale est une manifestation particulièrement alarmante de la désagrégation des normes traditionnelles de respect interpersonnel. Beaucoup de femmes nous ont parlé de leurs craintes pour la sécurité de leurs enfants et la leur et de la nécessité de pouvoir disposer de refuges. Dans certaines collectivités, en particulier les plus petites, il est parfois difficile pour une femme et ses enfants de trouver un endroit où se réfugier.

Les femmes autochtones veulent que leurs collectivités et que les chefs de celles-ci adoptent une politique de non-tolérance absolue à l'égard de la violence familiale. Elles estiment qu'il est extrêmement important de mettre sur pied des services de counselling adaptés à la spécificité culturelle des agresseurs et de leurs victimes.

La voix des anciens

Les anciens portent des noms divers dans les sociétés autochtones : les Vieux, les Sages, les Grands-mères et Grands-pères et, chez les Métis, les Sénateurs. Ce sont des précepteurs, des philosophes, des linguistes, des historiens, des guérisseurs, des juges, des conseillers – et ils ont d'autres rôles encore.

Ils vivent la culture, ils connaissent la culture, elle fait partie intégrante de leur formation. Voilà ce que sont les vrais anciens.

Vern Harper, ancien, Toronto (Ontario)

Les anciens incarnent les traditions et les cultures autochtones. Grâce aux dons du Créateur et aux années qu'ils ont passées sur cette terre, ils ont acquis les connaissances et l'expérience nécessaires pour vivre et prospérer dans le monde physique. Ils sont en harmonie avec la terre, les cycles et les rythmes de la nature et de la vie.

Les anciens sont les dépositaires du savoir spirituel qui a soutenu leur peuple pendant des milliers d'années – celui des cérémonies et des activités traditionnelles, des lois et des règles fixées par le Créateur pour permettre aux leurs de vivre en tant que nation.

Ces deux formes de connaissance sont également importantes et valables. Il y a fusion entre le spirituel et le temporel, entre le naturel et le surnaturel qui forment comme une torsade autour de l'acte de vivre quotidien. Le royaume du sacré devient un élément de la vie de tous les jours.

Tous les anciens ne sont pas des personnes âgées, pas plus que toutes les personnes âgées ne sont des anciens. Certains sont fort jeunes. Les anciens ont cependant une perspicacité et des capacités de communication qui leur permettent de transmettre la sagesse collective des générations passées.

Les anciens ne thésaurisent pas leur savoir. Leur tâche la plus importante est au contraire de le transmettre de manière à ce que la culture de leur peuple demeure vigoureuse et capable de s'adapter au changement. La continuité de leurs nations en dépend.

La voix humaine laisse une empreinte durable sur la mémoire et les sentiments humains car, plus que tout autre moyen d'expression, elle est capable de communiquer ce qu'il y a dans notre cour et dans notre esprit.

Esther Jacko dans Voices : Being Native in Canada (1992)

Ils transmettent leurs coutumes et leur culture par l'action, l'exemple et la tradition orale – par les histoires et les plaisanteries qu'ils racontent, les jeux et d'autres activités communes. L'expérience est purement personnelle; l'événement est également partagé par celui qui le raconte et par celui qui l'écoute. Ceux qui écoutent ces histoires et cet enseignement sentent les peines et les joies, revivent les victoires et les défaites de leur peuple. À travers le temps, ils rejoignent les leurs. Le passé, le présent et l'avenir ne font plus qu'un.

Grâce à l'aide de leurs anciens, les nations autochtones ont réussi, non sans mal, à conserver leurs valeurs traditionnelles, leurs langues et leur savoir – en dépit des vigoureux efforts déployés de l'extérieur pour les détruire. Les autochtones se sont férocement battus pour conserver leurs traditions, sachant que celles-ci sont la source principale de leur identité, de leur fierté et de leur force en tant qu'individus et nations.

Les anciens incarnent les traditions et les cultures autochtones.

Aujourd'hui, nous sommes témoins d'une forte résurgence de l'intérêt des autochtones pour leurs langues et leurs traditions, dont beaucoup s'estompaient encore tout récemment. Les intervenants à nos audiences nous ont déclaré que les nouvelles institutions devront s'appuyer sur les enseignements fondamentaux de la tradition autochtone et sur la vision contemporaine du monde qu'offrent les anciens.

Mais faire revivre la tradition ne signifie pas qu'il faille retourner en arrière. La plupart des habitants de notre planète vivent conformément à des religions et à des philosophies qui remontent à des milliers d'années. De la même manière, les traditions et les enseignements autochtones ont été façonnés il y a bien longtemps, mais il est possible de les remodeler pour qu'ils conservent leur utilité dans le monde moderne.

La réussite des anciens qui travaillent avec des détenus autochtones montre bien un des rôles qu'ils peuvent jouer. Lorsque nous avons parlé à des contrevenants autochtones, ils ont raconté comment les anciens les avaient aidés à se comprendre eux-mêmes, comment les anciens les avaient aidés, par leurs conseils et leurs cérémonies, à résoudre les problèmes intérieurs qui contribuent au comportement criminel. Les anciens ont également joué un rôle précieux dans d'autres initiatives judiciaires, en particulier au sein des cercles de consultation où l'on détermine la peine à infliger.

Notre vision est simple. Nous voulons être heureux. Nous voulons pouvoir nous détendre, rêver et rire. Nous voulons aimer et parler. Nous voulons connaître notre culture autochtone. Nous voulons nous respecter les uns les autres. Pour ça, il nous faut un avenir meilleur.

Robert Quill, Merritt (Colombie-Britannique)

Les anciens nous ont dit qu'ils avaient beaucoup plus à offrir qu'on ne leur demandait. Ils peuvent jouer un rôle utile (ce qu'ils font déjà dans certains cas) dans le domaine de l'éducation, des soins de santé et des services sociaux, au sein des commissions de gestion des terres et des ressources, et ils peuvent apporter leur contribution à la préparation de l'autonomie gouvernementale. Leur apport peut être précieux à n'importe quelle étape et à n'importe quel niveau. Dans le domaine de l'éducation, par exemple, on risque de passer à côté d'une richesse inestimable si l'on se contente d'inviter les anciens dans les classes une fois par an à l'occasion d'une journée de sensibilisation culturelle. Ils pourraient apporter une aide précieuse à la réorganisation des programmes d'études, des méthodes d'enseignement et de l'administration.

Les autochtones veulent que les méthodes utilisées par leurs ancêtres soient reconnues, protégées et utilisées. Il importe que les anciens aient accès aux lieux sacrés pour y tenir des cérémonies et pour y cueillir des plantes traditionnelles. Ils seront alors en mesure de partager leur perspicacité et leur savoir avec la nation. Il doit en être ainsi, car les anciens sont indispensables à la perpétuation et au renouvellement du mode de vie autochtones.

Nous n'avons pas uniquement besoin d'argent. Ce dont nous avons besoin, c'est de nations, de personnes et de collectivités qui unissent leurs efforts et qui savent se concerter.

Stan Wesley, Moose Factory (Ontario)

La voix des jeunes

Les jeunes autochtones constituent le groupe le plus important de la population autochtone : 56,2 % environ des autochtones ont moins de 25 ans. Ce sont ces jeunes gens qui perpétueront les initiatives et les rêves des nations autochtones au cours du prochain millénaire.

Certains des témoignages les plus dynamiques que nous avons entendus ont été faits par des jeunes gens. Ils ont manifesté beaucoup d'acuité d'esprit et un optimisme encourageant dans leurs commentaires sur les nombreux problèmes importants concernant leur avenir. Ils cherchent des solutions pratiques, qui peuvent être mises en œuvre dès maintenant dans leurs collectivités. Les obstacles politiques et administratifs ne les effraient pas. Ils veulent mener leur tâche à bien de la manière la plus rapide et la plus efficace possible.

Mais les jeunes n'ont pas le sentiment que leurs idées sont appréciées par leurs chefs. Ils se considèrent comme une ressource gaspillée. Ils ont instamment demandé aux organisations autochtones de suivre l'exemple de l'Association nationale des centres d'amitié et de la Conférence circumpolaire inuit et de prendre des mesures pour les associer plus étroitement à toutes les questions communautaires.

Les jeunes autochtones ont décrit leurs quatre objectifs essentiels :

  • Reconnaissance et participation. Ils veulent prendre une part plus active à la vie de la collectivité et de la nation et collaborer avec leurs pairs des autres nations autochtones au règlement de questions communes.
  • Pouvoir d'agir. Les jeunes veulent acquérir les outils et les capacités qui leur permettront de résoudre leurs propres problèmes. Ils nous ont parlé de leur désir d'agir sur le plan politique, ce qui signifie qu'ils veulent avoir voix au chapitre aux échelons local, provincial et national. Ils ont également parlé de pouvoir économique, car ils savent qu'ils ont besoin d'avoir des emplois afin de rompre le cercle de la dépendance dont certains des leurs sont prisonniers.
  • Guérison. D'accord avec les femmes autochtones, les jeunes considéraient que la guérison était la première étape indispensable de leur développement personnel. Ils ont évoqué l'importance de la guérison de l'esprit, de la raison et du corps.

La guérison et la redécouverte des valeurs spirituelles sont indispensables pour que les jeunes autochtones puissent s'assurer une assise solide dans leurs cultures et leurs traditions. Cela leur épargnera le sentiment d'aliénation et de désespoir qui conduit à la drogue, à la criminalité et aux comportements suicidaires. La Commission est d'accord avec les jeunes lorsque ceux-ci demandent qu'on leur offre plus de possibilités de découvrir leurs propres cultures – vues non pas comme des abstractions ou des reliques mais comme des traditions vivantes et dynamiques.

La guérison de l'esprit implique un milieu scolaire dans lequel les apports des peuples autochtones au Canada et au monde entier sont étudiés, respectés et validés. Les jeunes ont besoin d'un programme d'études qui englobe l'histoire autochtone et les réalités contemporaines. Ils ont besoin d'établissements d'enseignement dirigés par des autochtones pour les autochtones. Ils ont besoin d'une aide financière plus importante pour entreprendre et terminer leurs études.

Les jeunes d'aujourd'hui ont besoin d'activités constructives. Dès qu'ils feront quelque chose de valable, leur confiance reviendra et ils pourront avoir une meilleure opinion d'eux-mêmes.

Kathy Nelson, Roseau River (Manitoba)

C'est peut-être avec l'aide des anciens que la guérison des émotions est la plus efficace. Les jeunes autochtones considèrent que, lorsqu'ils sont en difficulté, ce sont les anciens qui sont les mieux placés pour leur donner des conseils dans une perspective contemporaine modulée par une vision traditionnelle du monde. Ils ont aussi besoin de s'aménager un espace pour engager entre eux un débat sur des questions importantes et pour partager le fardeau émotionnel qu'assume aujourd'hui tout autochtone au Canada.

La guérison du corps vient boucler le cercle. Les jeunes ont besoin de plus de possibilités et d'activités sportives et récréatives afin de les aider à établir des liens sociaux avec leurs collectivités, à jeter des ponts entre celles-ci et d'autres collectivités et à développer leurs capacités de leadership et leur esprit d'équipe. Certains nous ont dit que les problèmes sociaux dont ils sont témoins autour d'eux pourraient être atténués s'il existait des programmes récréatifs conçus en fonction de tels objectifs.

À l'heure actuelle, il existe un salmigondis de programmes et d'initiatives, d'ailleurs peu efficaces, qui ont été établis à l'intention des jeunes autochtones par divers ministères et gouvernements. Nous estimons qu'il est indispensable d'établir un cadre de mesures coordonnées à l'échelle du Canada pour répondre aux préoccupations des jeunes autochtones – et qu'il faut adopter une approche intégrée à l'égard de l'éducation, de la justice, de la santé et de la guérison, de l'emploi, du sport et des loisirs, et des questions urbaines.

Ceux qui ont comparu devant la Commission étaient en général optimistes face à l'avenir, mais de nombreux obstacles se dressent entre les jeunes autochtones et un avenir sûr et satisfaisant. Avec un peu d'aide, ils sont prêts à retrousser leurs manches et à faire leur part pour remodeler l'avenir.

La voix des Métis

Quelque 139 000 Canadiens se considèrent comme Métis. Leur histoire remonte à des centaines d'années, mais la plupart des Canadiens ne savent pas grand-chose à leur sujet. Les Métis sont des peuples autochtones avec une histoire, une langue et une culture bien à eux.

Les commerçants de fourrure et les colons européens ont commencé à courtiser des femmes autochtones et à les épouser peu de temps après leur arrivée aux Amériques. Au début, les enfants issus de ces unions étaient habituellement élevés dans une seule culture – européenne ou autochtone. Mais avec le temps, les enfants de ces mariages mixtes ont commencé à combiner les deux cultures, d'où l'émergence d'un groupe de peuples autochtones original, celui des Métis.

La culture des Métis est le produit de leur mode de vie. Dans les Prairies, la langue des Métis – le michif (et ses nombreux dialectes) – était un mélange de français et de plusieurs langues amérindiennes. Les déplacements constants des Métis ont inspiré un art facile à transporter – chansons et danses exubérantes, répertoire de violoneux, vêtements magnifiquement décorés. Certains Métis ont formé des établissements permanents autour de postes de traite. La chasse au bison a aussi joué un rôle important dans l'organisation d'autres groupes métis plus mobiles. Pour les Métis de l'Est, c'est la pêche qui a souvent déterminé les modes d'établissement.

Les Métis ont utilisé leurs liens familiaux, leurs talents de survie dans la nature et leur connaissance des langues européennes et autochtones pour faciliter la pénétration européenne dans l'intérieur nord-américain et ils ont ainsi joué un rôle crucial dans l'édification de notre pays.

Au chapitre 2, nous avons défini le terme nation et recommandé que l'on adopte une politique de reconnaissance des nations autochtones. Les membres de la nation métisse de l'Ouest satisfont à nos critères dans ce domaine. Ils constituent depuis longtemps un groupe culturellement distinct, ils manifestent une solide cohésion sociale et ils ont fait la preuve de leur efficacité sur le plan politique. Ils pourraient très bien être un des premiers peuples à acquérir le statut de nation selon la démarche que nous proposons. Nous nous attendons à ce que les Métis du Labrador et d'autres collectivités métisses suivent leur exemple par la suite.

Je suis un Métis. C'est une question de culture, une question d'histoire, une question de mode de vie. Ce n'est pas l'aspect extérieur qui compte. Ce qui est important, c'est ce qui se passe en vous, dans votre esprit, dans votre âme et dans votre cour.

Delbert Majer, Saskatchewan Metis Addictions Council, Regina (Saskatchewan)

Lorsqu'il a affaire aux Métis, le gouvernement du Canada devrait traiter de nation à nation, comme pour tous les autres peuples autochtones. La Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît déjà qu'ils sont un groupe de peuples autochtones, mais le gouvernement refuse de les faire bénéficier de la plupart des programmes et services destinés aux autochtones.

Le gouvernement soutient que sa responsabilité à l'égard des « Indiens et des terres réservées pour les Indiens », aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, ne s'étend pas aux Métis. Nous ne sommes pas d'accord. Il y a plus de 50 ans, la Cour suprême a statué que la compétence fédérale en vertu du paragraphe 91(24) s'étendait aux Inuit. Le gouvernement leur offre aujourd'hui la plupart de ses programmes et services. Il est injuste et déraisonnable de priver les Métis des possibilités offertes aux autres peuples autochtones.

D'une façon générale, les objectifs des Métis ne sont guère différents de ceux des autres autochtones. Ils veulent, eux aussi, renforcer leur culture, assumer leur autonomie politique, obtenir suffisamment de terres pour poursuivre leur développement économique et culturel et s'assurer que leurs enfants sont en bonne santé, qu'ils reçoivent une bonne éducation et qu'ils sont prêts à prendre la relève et à diriger la nation à leur tour.

Il est particulièrement important qu'un territoire leur soit assigné car, à l'exception de l'Alberta, les Métis n'en ont pas. De vastes étendues de terre dans les Prairies auraient dû leur être distribuées en vertu de la Loi de 1870 sur le Manitoba et de la Loi sur les terres du Dominion de 1879, grâce à un système de certificats. Mais ceux qui ont essayé d'obtenir les terres qu'on leur devait se sont heurtés à des retards, à toutes sortes de tergiversations, voire à des escroqueries.

Dans bien des cas, les terres allouées étaient si éloignées de l'endroit où vivait le bénéficiaire que celui-ci n'avait d'autre choix que de la vendre au plus offrant. Les spéculateurs locaux étaient bien entendu prêts à les acheter – pour une bouchée de pain.

Le système des certificats n'était pas destiné à créer un véritable territoire pour les Métis. Le certificat était accordé à titre individuel et permettait aux bénéficiaires de s'installer avec leurs familles sur des parcelles de terrain non contiguës. Cela n'avait rien à voir avec le système des réserves selon lequel les Premières nations partageaient un terrain qui leur appartenait en exclusivité. Le gouvernement de l'époque craignait le nombre croissant de Métis, leur force économique et militaire, et il cherchait à démanteler leurs collectivités.

Le manque d'honnêteté de ce traitement a incité les Métis des Prairies à faire valoir que leurs droits fonciers demeurent entiers. Les Métis d'autres régions du pays ont échappé au résultat catastrophique du système des certificats et réclament maintenant des terres dans le contexte des droits ancestraux.

La notion de nation autochtone a toujours été étroitement liée à la possession d'un territoire. Pour pouvoir satisfaire leurs aspirations sociales, culturelles, politiques et économiques légitimes, il est indispensable que les Métis aient, eux aussi, des terres.

Il faut que les Métis aient leurs propres terres, leurs propres ressources. C'est absolument fondamental. Lorsque l'on parle de terres et de ressources, il y a toujours les mythes selon lesquels les Métis ont moins de droits que certains autres autochtones de ce pays. Nos droits sont les mêmes que ceux des autres peuples autochtones du Canada.

Gary Bohnet, président, Nation métisse des Territoires du Nord-Ouest

Nous demandons instamment aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux d'agir rapidement afin de reconnaître la ou les nations métisses et de leur permettre de négocier des traités et des accords au même titre que les autres peuples autochtones. Ces traités définiraient les pouvoirs impartis à leurs gouvernements, l'étendue des terres qui leur reviendraient, les indemnités qui devraient leur être versées pour les injustices passées, leurs droits ancestraux (comme le droit de chasser, de pêcher et de piéger sur les terres de la Couronne en toutes saisons) et la nature de leurs arrangements financiers avec les autres gouvernements. Ces négociations ne seront ni rapides, ni faciles – raison de plus pour qu'elles commencent dès maintenant.

Les Métis qui sont entrés dans le xxe siècle étaient des être déracinés, aliénés et découragés. Ils sont fermement décidés, au cours du prochain siècle, à retrouver la place qui leur revient en tant que peuple autochtone autonome, autosuffisant et dynamique au sein d'une société canadienne plus égalitaire.

La voix du Nord

Le nord du Canada est peuplé par les Inuit, les Premières nations et les Métis ainsi que par des non-autochtones qui y ont été attirés par son extraordinaire beauté, ses perspectives économiques et le mode de vie unique qu'il offre. C'est un terrain d'essai pour les idées et les systèmes politiques, un endroit où il est possible de mettre à l'épreuve de nouvelles initiatives audacieuses. Le Nord demeure donc un lieu d'exploration et de découverte, un monde où l'on peut tracer des voies nouvelles et faire figure de pionnier.

La dimension politique

Les peuples autochtones du Nord vivent selon des structures politiques diverses.

Les 17 collectivités de Premières nations du Yukon ont récemment négocié une entente-cadre finale qui augmente considérablement leurs terres et leurs ressources et met à leur disposition une masse considérable de capitaux. L'entente fournit également un cadre général pour les accords d'autonomie gouvernementale individuels et, pour la première fois, n'exige pas des autochtones qu'ils renoncent à tous leurs titres ancestraux.

La relation entre les Inuit et le Canada est essentiellement fondée sur le déséquilibre des forces; dans cette relation, nos droits ont souvent été bafoués, et nos pouvoirs usurpés par des gouvernements que nous n'avions pas créés. L'accès des Inuit à l'autonomie gouvernementale et le règlement de leurs revendications territoriales devraient remédier à cette situation en permettant de négocier la création de nouveaux organismes gouvernementaux dans nos territoires et d'affirmer légitimement notre statut de peuple, tout en respectant les droits d'autrui.

Rosemarie Kuptana, Présidente, Inuit Tapirisat

Les Dénés ont signé deux des traités historiques, le Traité 8 et le Traité 11. D'autre part, deux revendications territoriales contemporaines ont été réglées, la première avec les Dénés Gwich'in et les Métis, la seconde avec les Dénés Sahtu et les Métis. Les Dogribs négocient actuellement un troisième règlement. Les autres Dénés du Nord s'attendent à ce que la mise en œuvre de leurs traités les conduise à l'autonomie gouvernementale.

Les Métis du nord du Canada ne sont pas signataires des traités 8 et 11, mais les deux ententes conclues sur les revendications récentes s'appliquent à eux. Ils cherchent des moyens de rétablir et de protéger leurs droits dans le cadre d'un processus combiné de mesures constitutionnelles et de revendications territoriales.

Les 38 000 Inuit qui vivent dans le Nord comptent exercer leur droit à l'autodétermination au moyen d'un gouvernement populaire (modalité de la fonction gouvernementale examinée au chapitre 2). Pour pouvoir y participer, il faut être un résident de longue date sans nécessairement appartenir à une nation ou à un groupe autochtone. Cependant, comme les Inuit forment une majorité sur leurs territoires traditionnels, il leur est possible de contrôler l'activité du gouvernement.

Par tradition, les autochtones sont des gens de la terre. Ils ont des liens naturels très étroits avec la terre et toute solution à leurs problèmes économiques exige qu'ils continuent à vivre sur leurs terres.

Rae Stephensen, Old Crow (Yukon)

La plupart des Inuit du Nord sont parties à un des trois principaux accords sur les revendications territoriales : la Convention de la Baie James et du Nord québécois, signée en 1975; la Convention définitive des Inuvialuit de 1984, portant sur les Inuvialuit de l'Arctique de l'Ouest, ainsi que la Loi concernant l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et la Loi sur le Nunavut (1993), qui créeront un nouveau territoire dans la partie est des Territoires du Nord-Ouest en 1999. Le Labrador est la seule région peuplée en majorité par des Inuit qui n'a pas encore fait l'objet d'un accord. Le gouvernement a transféré les pouvoirs administratifs aux Inuit du Labrador pour certains types de programmes, et il est à espérer qu'il sera possible de conclure un accord plus général.

Depuis 20 ans, la situation politique a évolué avec une rapidité remarquable dans le Nord. Les habitants de toutes les régions s'emploient actuellement à créer des institutions qui correspondent à la diversité sociale et culturelle qu'on trouve au nord du 60e parallèle.

La gérance de l'environnement

La plupart des autochtones du Nord gagnent leur vie dans le cadre d'une économie mixte, c'est-à-dire que leurs revenus proviennent de deux types de sources : emploi, aide sociale ou artisanat d'une part; chasse, pêche et récolte d'autre part. En fonction des fluctuations de l'emploi, du prix du poisson et des fourrures, et de leur situation personnelle, les gens combinent leurs activités différemment.

La santé de cette économie mixte dépend de celle de l'environnement. La protection de l'environnement est donc une question de survie pour les peuples autochtones du Nord – il s'agit en effet de la survie de cette économie mixte et de leur mode de vie.

La plupart des autochtones du Nord sont partisans du développement commercial, à condition qu'il s'effectue dans le respect des terres et de toutes les formes de vie qu'elles supportent. Pourtant, les dommages écologiques sont tout ce qui reste des nombreux chantiers d'extraction minière et des installations militaires qui ponctuent encore le paysage dans le Nord.

Les habitants du Nord qui ont témoigné devant la Commission ont insisté sur la nécessité d'assainir ces lieux et d'éviter d'autres cas de pollution; d'améliorer le fonctionnement des organes de réglementation; d'utiliser la connaissance qu'ont les autochtones des phénomènes naturels pour assurer l'utilisation durable des ressources.

Des initiatives telles que les conseils de cogestion de la faune, qui combinent les compétences des chausseurs autochtones et des scientifiques non autochtones pour résoudre les problèmes de protection et de récolte, sont un exemple de l'approche adoptée dans le Nord pour gérer l'environnement et qui mériterait d'être encouragée et étendue.

Le soutien à l'économie du Nord

Même lorsque l'environnement est sain, une question se pose : comment tous les habitants du Nord parviendront-ils à gagner leur vie à l'avenir? La population des adultes augmentera sensiblement au cours des 10 prochaines années et dépassera les prévisions les plus optimistes en matière d'emploie. Le coût de la vie est élevé et les dépenses publiques ne permettront pas de satisfaire tous les besoins.

Les autochtones sont capables de jouer un rôle plus important dans la conception des mesures requises pour accroître l'autonomie de ceux qui, du fait de leur situation, auront peut-être toujours besoin d'un supplément de revenu quelconque, et ils se doivent de le faire. Des programmes qui s'inspirent des valeurs des autochtones, qui font appel à la connaissance qu'ils ont d'eux-mêmes et à leur créativité, auront des effets bien plus positifs sur ceux qui ont besoin d'aide que n'en ont les programmes actuels.

C'est ainsi que les fonds affectés aux programmes d'aide sociale pourraient être utilisés pour soutenir les activités de récolte traditionnelles ou offrir du travail rémunéré. Dans les deux cas, la collectivité bénéficierait de l'effort en faveur de l'autonomie.

Notre rapport contient également des propositions en faveur d'un soutien à l'économie salariale. Les autochtones du Nord n'ont jamais pleinement partagé les avantages économiques de l'extraction minière sur leurs territoires traditionnels. Nous décrivons les moyens par lesquels les entreprises et les industries résidentes pourraient rendre au Nord une partie de ce qu'elles lui prennent – en recrutant plus d'employés autochtones, en aidant ces régions à former une main-d'œuvre plus qualifiée, en apportant une aide aux entreprises locales et en créant plus de coentreprises avec des particuliers, des collectivités et des nations autochtones.

La prise de contrôle

Nous constatons aujourd'hui que beaucoup des nôtres qui viennent vivre en milieu urbain sont incapables de supporter la vie moderne s'ils son privés de leurs valeurs traditionnelles.

Nancy Van Heest, Urban Images for First Nations, Vancouver (Colombie-Britannique)

Le mode de vie des autochtones s'est transformé au cours des 20 dernières années. Alors qu'autrefois ils pouvaient se déplacer librement, la plupart d'entre eux vivent aujourd'hui dans des collectivités bien établies. Alors qu'autrefois ils connaissaient l'indépendance – et l'insécurité – des petites sociétés fondées sur la chasse et la cueillette, la plupart des autochtones sont aujourd'hui tributaires d'un travail rémunéré ou de l'aide sociale.

Pour certains d'entre eux, cela s'est traduit par une désagrégation des normes et des valeurs traditionnelles ainsi que du comportement social responsable que cela impliquait. Beaucoup d'habitants du Nord expliquent l'alcoolisme et les autres problèmes sociaux qu'ils connaissent par le rythme et l'ampleur des changements auxquels ils ont été soumis.

Nous approuvons leur intention de prendre le contrôle des institutions, des processus et des programmes qui permettront de diriger et de contrôler le changement dans le Nord. Cela leur permettra de créer de nouveaux codes de comportement social responsable et de nouvelles méthodes de partage d'une région en devenir qui est aussi leur patrie.

La voix des autochtones citadins

Près de la moitié des autochtones du Canada vivent dans les zones urbaines, et il y a autant d'autochtones à Winnipeg que dans l'ensemble des Territoires du Nord-Ouest. Cela paraîtra surprenant à beaucoup de Canadiens, et il est certain que les gouvernements semblent avoir peu tenu compte de cette réalité dans le choix de leurs politiques et de leurs programmes.

Cette lacune sur le plan de l'information et des politiques tient, au moins en partie, à certaines idées éculées sur la place qui revient aux autochtones. Les Canadiens et leurs divers gouvernements semblent penser que les autochtones ne sont pas faits pour la vie urbaine – ou que s'ils décident de venir en ville, ils devraient vivre comme des « Canadiens ordinaires ».

Pourtant, la culture n'est pas un bagage encombrant que les autochtones abandonnent aux portes de la ville. L'univers culturel dans lequel ils ont grandi et ont trouvé leur identité est quelque chose qui demeure vivant au plus profond d'eux-mêmes et qui les marque dans tous les domaines de leur existence, quel que soit l'endroit où ils vivent.

Qui sont les autochtones citadins?

Quelque 320 000 personnes qui se sont identifiées comme autochtones vivent en milieu urbain – c'est-à-dire 45 % du total de la population autochtone, pourcentage qui devrait continuer à croître.

Les autochtones gagnent les villes pour diverses raisons. Bien souvent, ils cherchent une nouvelle chance – celle de s'instruire, de trouver un emploi, d'améliorer leurs conditions de vie. Certaines femmes s'en vont pour échapper à la violence. D'autres se voient interdire la possibilité de résider dans les collectivités où elles sont nées (malgré le projet de loi C-31). Quelles que soient les raisons, il y a plus de femmes autochtones que d'hommes dans la population urbaine.

La ville n'est pas toujours la terre promise qu'espèrent les autochtones. Ceux-ci sont nettement désavantagés par rapport à leurs voisins non autochtones. En règle générale, ils sont moins instruits, leurs chances d'obtenir un emploi sont moindres et ils sont plus susceptibles d'être pauvres.

La question de l'identité

Les autochtones établis en ville ont d'énormes obstacles à surmonter pour conserver leur culture et leur identité – sans même parler de les transmettre à leurs enfants. La vie urbaine, avec sa multitude de cultures et de modes de vie, ne valide pas nécessairement les leurs. Les incidents de racisme amènent beaucoup d'autochtones à s'interroger sur leur identité et sur leurs propres valeurs. Certains nous ont dit qu'ils ont peur de perdre leur identité ou qu'ils se sentent tiraillés entre deux mondes. D'autres renoncent à leur identité en niant le fait qu'ils sont autochtones ou en s'abandonnant à un comportement autodestructeur.

La culture n'est pas un bagage encombrant que les autochtones abandonnent aux portes de la ville.

À notre avis, les autochtones devraient pouvoir se sentir chez eux et ils devraient pouvoir affirmer leur identité quel que soit l'endroit où ils décident de vivre. Pour que la culture autochtone survive dans les villes, il est indispensable que des collectivités dynamiques soient créées et que celles-ci puissent s'appuyer sur des institutions représentatives de leur culture.

Au cours de nos audiences publiques, les intervenants ont souvent déclaré que les centres d'amitié étaient des endroits où tous les autochtones pouvaient trouver de l'aide afin de se faire accepter dans la ville. Ces centres ont une longue expérience des programmes d'éducation et de redécouverte culturelles, et ils méritent que le gouvernement fédéral leur assure les fonds nécessaires pour poursuivre leur tâche.

La façon la plus efficace de tuer ces problèmes dans l'ouf est d'aider l'individu à affirmer son identité et à prendre conscience de l'existence de la collectivité autochtone urbaine.

David Chartrand, Président, Association nationale des centres d'amitié

Dans certaines villes, les autochtones ont ouvert leurs propres écoles, dans le souci premier d'assurer leur survie culturelle. Outre les matières du programme provincial, on y enseigne les langues, l'histoire et les traditions autochtones. Les anciens participent normalement aux activités scolaires, ce qui crée un lien important avec les jeunes en l'absence de la famille étendue.

Comme nous l'avons vu au chapitre 3, les organismes autochtones de services à l'enfance et à la famille deviennent également plus nombreux. Ces agences pratiquent des politiques de placement des enfants dans leur propre milieu culturel, lorsque c'est possible, et constituent donc un moyen de défense contre l'assimilation graduelle des autochtones citadins.

Malheureusement, les programmes et les services offerts par les gouvernements aux autochtones citadins manquent totalement d'uniformité. Le soutien financier n'est en général accordé qu'à court terme ou réservé à des projets pilotes et il se limite à quelques aspects de la vie courante tels que le logement et les services de garderie.

Nous proposons que tous les paliers de gouvernement collaborent afin d'accroître l'aide aux initiatives en faveur de la survie culturelle. Les bonnes idées abondent mais l'appui financier est bien maigre.

Une question de responsabilité

Sur les plans individuel et familial, l'autodétermination est l'assise de l'existence des autochtones, qu'ils vivent dans des réserves ou non.

Dan Smith, Président, United Native Nations, Vancouver (Colombie-Britannique)

Un grand nombre des problèmes décrits par les autochtones citadins sont dus au manque de coordination des mesures prises pour répondre à leurs préoccupations. Ils ne bénéficient pas du même niveau de services, ni des mêmes avantages que le gouvernement fédéral offre aux membres des Premières nations et aux Inuit vivant dans leurs collectivités (même si ce sont des Indiens inscrits). Malgré cela, ils se heurtent à divers obstacles lorsqu'ils veulent se prévaloir des programmes provinciaux accessibles à tous.

Le gouvernement fédéral considère habituellement qu'une fois que les autochtones ont quitté leur réserve ou leur établissement, il n'a plus aucune obligation envers eux. Certaines autorités provinciales soutiennent cependant que le gouvernement fédéral devrait continuer à respecter ses obligations envers les Indiens inscrits.

À notre avis, le gouvernement fédéral devrait être responsable des domaines suivants :

  • les initiatives liées à l'émergence de gouvernements autochtones urbains;
  • les services à dispenser pour honorer les traités (dans la mesure où leur portée dépasse celle des services que fournissent normalement les provinces);
  • les services spéciaux à l'intention des Métis citadins, autres que ceux qui sont fournis par les provinces, et dont on pourrait convenir au cours des futures négociations sur l'autonomie gouvernementale.

Il incombe aux gouvernements provinciaux et territoriaux de rendre toute la gamme des programmes et services généraux accessible à tous les autochtones vivant en milieu urbain, quel que soit leur statut. Lorsque le nombre le justifie, les gouvernements provinciaux et territoriaux doivent s'assurer que leurs services sont adaptés aux besoins culturels des autochtones.

Des services enrichis ou des services de rattrapage nous paraissent également nécessaires afin d'aider les autochtones à accéder à une qualité de vie similaire à celle des autres Canadiens établis en ville. Le coût de ces services pourrait être partagé entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, selon une formule adaptée à la capacité financière de chacun.

Nous souhaiterions que les services urbains soient fournis sans tenir compte du statut des autochtones. Autrement dit, ils devraient être accessibles à tous les autochtones, quelle que soit leur nation d'origine. Dans certaines provinces, cependant, les services fournis aux membres des Premières nations et aux Métis sont distincts. Là où ce système donne de bons résultats, nous ne voyons aucune raison de le changer.

Ce ne sont pas les structures qui font les changements, ce sont les gens.

L'autonomie gouvernementale en milieu urbain

Une des questions les plus difficiles à résoudre en milieu urbain est celle de l'autonomie gouvernementale. Il est relativement facile d'imaginer une telle autonomie dans les collectivités autochtones disposant de leurs propres terres. Mais comment concilier cela avec la vie citadine? Y créera-t-on des « zones autochtones », avec leurs propres lois et leurs propres gouvernements?

Trois approches à l'autonomie gouvernementale nous paraissent possibles en milieu urbain :

  • La première implique la réforme des services gouvernementaux locaux afin de permettre aux autochtones d'exercer une influence. Il faudrait pour cela garantir une représentation autochtone au sein des commissions et des organismes dont les activités influent directement sur la vie des autochtones. Les villes dans lesquelles il y a une population autochtone importante établiraient des comités d'affaires autochtones chargés de fournir aide et conseils et elles concluraient des ententes de cogestion relativement aux programmes et aux services les plus importants pour les résidents autochtones.
  • Dans la seconde approche, des communautés d'intérêts urbaines assureraient elles-mêmes certains services gouvernementaux (écoles, garderies, services de logement). Une communauté d'intérêts est une collectivité autochtone qui s'est progressivement constituée en milieu urbain, grâce au regroupement volontaire de personnes provenant de différents milieux autochtones. Les membres de cette communauté pourraient concevoir et contrôler leurs propres institutions urbaines au sein d'une structure politique d'ensemble chargée de superviser et de coordonner les activités.
  • La troisième approche est fondée sur le principe de la nation. Beaucoup d'autochtones ont des liens très étroits avec leurs terres ancestrales et avec leur nation d'origine et veulent une forme d'autonomie gouvernementale enracinée dans celles-ci. Pour qu'une telle approche puisse fonctionner, il faudrait que les nations autochtones assument la responsabilité de leurs membres qui vivent en milieu urbain. Les nations autochtones qui accepteront ces responsabilités pourraient établir des sections urbaines de leurs services et de leurs programmes.

De plus, en particulier dans l'Ouest, il pourrait y avoir des services et des organismes spécifiques destinés aux Métis, pour constituer un réseau d'organes de prise de décisions sur le plan local, régional, provincial et national.

Notre relation a besoin de redevenir un partenariat : une relation de personne à personne, de culture à culture, de nation à nation. Voilà la voie à prendre.

Al Ducharme, Professeur d'histoire métis, La Ronge (Saskatchewan)

Il faudra un certain temps pour que ces trois approches et les autres que nous avons examinées dans notre rapport puissent se réaliser. L'idée de l'autonomie des autochtones citadins est encore toute nouvelle, et la plus grande partie du travail de conception devra être effectuée par les autochtones eux-mêmes. Nous encourageons donc vivement les gouvernements, non autochtones et autochtones, à coopérer afin d'apporter le soutien nécessaire au stade de la planification et de reconnaître les gouvernements urbains viables qui se constitueront.

Comme autochtones et non-autochtones vivent en voisins dans les zones urbaines, les villes canadiennes sont un terrain propice à l'établissement de ponts entre les cultures. Nous souhaiterions que plus de Canadiens prennent l'initiative de telles activités.

La reconnaissance de la diversité

Au cours de nos entretiens avec les autochtones dans tout le Canada, nous avons pris conscience – dans certains cas, pour la première fois – de l'énorme diversité qui existe entre eux. Les autochtones ne constituent pas une entité monolithique, conduite par une pensée unique et s'exprimant d'une seule et même voix. Les Canadiens n'attendent pas de leurs dirigeants qu'ils soient d'accord entre eux; ils ne doivent pas non plus s'attendre à une telle unanimité de la part des chefs autochtones.

La capacité de se forger une identité, qu'il s'agisse d'un individu ou d'un groupe, est au cour de la modernité. Je vois aujourd'hui un groupe d'autochtones qui sont en train de se forger une identité positive, qui se considèrent maintenant comme faisant partie intégrante de la société qui les entoure, qu'ils viennent eux-mêmes enrichir.

David Newhouse, Université Trent

Les autochtones appartiennent à des traditions nationales diverses. Leurs langues, leurs croyances et leurs philosophies diffèrent sur des plans importants – bien qu'ils aient aussi beaucoup de points communs. Ces différences se retrouvent également dans leur expérience de la vie au Canada – selon l'âge, la région et l'endroit.

La diversité des points de vue autochtones est une réalité que les autres Canadiens doivent accepter, s'ils souhaitent mieux comprendre les différences culturelles existantes. Les autochtones eux-mêmes s'efforcent de concilier les différences qui les séparent de manière à pouvoir s'exprimer d'une même voix et servir ainsi leur intérêt collectif.

Lorsqu'il s'agira de fixer des orientations, il sera important de reconnaître la diversité des autochtones car il est exclu qu'une seule réponse aux questions posées puisse tous les satisfaire. Aucun modèle unique – qu'il s'agisse d'autonomie gouvernementale, de centre de guérison ou de type de logement – ne pourra convenir à toutes les nations autochtones. À la diversité des voix doit répondre celle des solutions.

Vingt ans d'action soutenue pour le renouveau

Notre rapport contient des centaines de recommandations. Conformément à notre mandat, nous avons examiné tous les grands problèmes auxquels les autochtones sont confrontés dans le cadre de leur relation avec le Canada. Chacun s'est avéré difficile à résoudre. Ensemble, ils paraissent encore plus insolubles. C'est du moins ce que nous avons pensé lorsque nous avons commencé notre travail.

En approfondissant notre réflexion, nous en sommes venus à reconnaître l'occasion unique qui s'offrait à la Commission d'aborder la relation entre le Canada et les Premiers peuples sous un jour nouveau – de façon holistique. Nous nous sommes rendu compte que la stratégie habituelle – attaquer les problèmes l'un après l'autre, séparément – équivalait à traiter une jambe cassée avec de l'aspirine. Nous proposons donc un programme complet de changement.

Nous traitons de façon détaillée de nouvelles structures pour l'exercice de la fonction gouvernementale, de nouvelles stratégies de développement économique, de nouveaux types de programmes sociaux. Notre but véritable est toutefois un changement plus radical. Il s'agit de modifier des vies, de veiller à ce que les enfants autochtones grandissent avec la certitude qu'ils sont importants, que leur vie est précieuse, qu'ils méritent l'amour et le respect et qu'ils possèdent les clés d'un avenir prometteur en tant qu'égaux au sein de la société.

C'est là le but du programme de changement de la Commission. Mais le défi demeure : par où commencer?

Les fondements d'une nouvelle relation

Le point de départ est la reconnaissance du fait que les autochtones ne sont pas, comme certains Canadiens semblent le croire, un groupe minoritaire sans importance dont il faut régler les problèmes et moderniser les attitudes désuètes. Ils forment des entités politiques distinctes et occupent au sein du Canada une place unique, différente de celle des autres.

La passivité et le silence n'équivalent pas à la neutralité : ils appuient le statu quo.

Parce que les autochtones sont les premiers occupants du pays, que les traités ont reconnu leurs droits, que la Constitution confirme ces droits et qu'ils forment des peuples qui ont conservé leur identité, les autochtones constituent des nations au sein du Canada, c'est-à-dire des collectivités qui ont leur caractère et leurs traditions propres, qui ont droit à l'autonomie gouvernementale et qui occupent une place spéciale dans le fédéralisme souple qui définit le Canada.

Notre tâche consistait essentiellement à définir un meilleur équilibre des pouvoirs politiques et économiques entre les gouvernements autochtones et les autres gouvernements canadiens. Les progrès sur les autres plans, s'ils ne s'accompagnent pas de cette transformation, ne feront qu'entretenir un statu quo insatisfaisant.

Nous avons essuyé les assauts du Canada contre notre identité et contre nos droits. Notre existence même témoigne de notre détermination et de notre volonté de survivre en tant que peuple. Nous sommes prêts à participer à l'avenir du Canada – mais seulement à des conditions qui s'accordent avec le legs que nous avons reçu.

Wallace Labillois, Conseil des anciens, Kingsclear (Nouveau-Brunswick)

Tout au long de notre rapport, nous insistons sur l'importance d'une bonne compréhension de l'histoire. Nous ne pouvons espérer repartir sur des bases nouvelles si nous n'acceptons pas de tenir compte du passé.

Nous ne proposons pas de nous appesantir sur ce passé. Ni les autochtones, ni les non-autochtones ne le souhaitent. Il faut toutefois que tout le monde reconnaisse que les autochtones ont subi des torts immenses.

On ne constate toutefois guère de manifestations d'une telle reconnaissance aujourd'hui. Au contraire, alors que la renaissance des nations et des cultures autochtones semble offrir un nouvel espoir de mieux-être, une réaction se prépare – une réaction caractérisée par des slogans comme « tous les Canadiens sont égaux » et « personne ne doit avoir de statut particulier » – mais elle repose sur des bases complètement erronées.

On ne peut soutenir que tous doivent être traités également, quelle que soit l'inégalité des situations.

On ne peut fermer les yeux devant le dénuement et le racisme qui façonnent les conditions de vie des autochtones et bouchent leurs perspectives.

On ne peut ignorer les droits historiques dont jouissent encore les autochtones en tant qu'entités politiques autonomes – des droits que le Canada s'est engagé à protéger à l'époque où notre nation était encore en gestation.

Comme nos ancêtres, nous considérons le droit à la différence non pas comme un obstacle, mais comme la base de notre coexistence en tant que peuples distincts.

Anthony Mercredi, Grand chef du Traité 8

Les tenants de cette approche prétendument « égalitaire » affirment que le renouveau et la réorganisation tels que nous les proposons établiront un régime d'« apartheid » au Canada. Au nom de l'égalité, ils sont prêts à refuser aux autochtones la chance de protéger leurs cultures et d'évoluer en tant que sociétés conformément à leurs valeurs.

Cette façon de penser est l'équivalent contemporain de l'attitude qui nous a donné la Loi sur les Indiens, les pensionnats, les réinstallations forcées – et les autres instruments d'assimilation du xixe siècle.

Nous demandons à ces personnes de revoir leur position. Ses conséquences sont à l'opposé de l'égalité, elles consacrent le déséquilibre des pouvoirs et l'écart actuel entre autochtones et non-autochtones.

Un mot au sujet de la Constitution

Notre programme de changement, même s'il a une portée considérable, ne devrait pas nécessiter de modification constitutionnelle. Les nations autochtones sont libres d'appliquer dès maintenant certaines de nos propositions. En règle générale, toutefois, la meilleure façon de concrétiser la nouvelle relation est par la voie de négociations entre gouvernements – à l'intérieur du cadre constitutionnel existant.

Les négociations ne débouchent par toujours. Ajoutons que la Cour suprême n'a pas non plus fixé d'orientation, car elle ne s'est jamais prononcée sur la nature des pouvoirs qu'auraient les gouvernements autochtones autonomes en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982. Une modification constitutionnelle, par souci de clarté et de certitude quant aux questions clés, est donc une proposition attrayante.

Nous croyons de plus qu'il est juste et approprié que la Constitution contienne un énoncé décrivant la place qu'occupent les peuples autochtones au sein de la fédération.

On a tenté à plusieurs reprises au cours des 20 dernière années de corriger cette omission – les modification de 1982 et de 1983, les conférences des Premiers ministres chargés d'examiner les questions constitutionnelle intéressant les autochtones (1983 à 1987) et la tentative d'accord à Charlottetown. Malheureusement, rien n'a changé. Lorsque les questions constitutionnelles feront à nouveau l'objet de négociations intergouvernementales, les questions autochtones suivantes devront être abordées :

  • reconnaissance explicite du fait que l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 confirme que le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale est un droit ancestral;
  • processus permettant de respecter et de concrétiser les obligations découlant des traités;
  • droit de veto des peuples autochtones sur la modification des articles de la Constitution qui touchent directement leur droit – le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et les articles 25, 35 et 35.1 de la Loi constitutionnelle de 1982;
  • reconnaissance des Métis dans le paragraphe 91(24), au même titre que les Premières nations et les Inuit;
  • protection constitutionnelle accordée à la Metis Settlements Act de l'Alberta;
  • modification du paragraphe 91(24) pour tenir compte de la vaste compétence que les nations autochtones peuvent exercer en vertu de leurs droit inhérents, et réduction des pouvoirs fédéraux en conséquence.

La déclaration relative à l'identité nationale du Canada dans la Constitution ne sera jamais complète tant que la relation de respect et d'égalité que nous préconisons entre autochtones et non-autochtones n'y figurera pas.

Le point de départ

En premier lieu, le gouvernement du Canada doit s'engager sans équivoque à renouveler la relation entre les autochtones et les non-autochtones, en suivant les principes de la reconnaissance, du respect, du partage et de la responsabilité.

Votre rapport final et vos recommandations n'auront guère de poids si la volonté politique, les connaissances et la capacité d'en concrétiser l'esprit font défaut.

Le chef Robert Pasco, Conseil tribal des Nlaka'pamux, Merritt (Colombie-Britannique)

Un changement de cette importance ne peut être mis en œuvre par une réforme partielle des programmes et services existants – malgré l'utilité d'une telle réforme. Il faut poser un geste officiel manifestant une intention nationale – une déclaration d'intention symbolique mais substantielle, accompagnée des lois nécessaires à sa mise en pratique.

La meilleure façon d'y parvenir, c'est d'adopter une nouvelle proclamation royale, qui serait signée par la Reine, chef du Canada et gardienne historique des droits des peuples autochtones, et de la présenter à la population du Canada à l'occasion d'une assemblée spéciale convoquée à cette fin.

Cette proclamation établirait les principes régissant la nouvelle relation et préciserait les lois et les institutions nécessaires pour traduire ces principes dans la réalité. Elle ne remplacerait pas la Proclamation royale de 1763, qu'on a qualifiée de Magna Carta des peuples autochtones, mais elle l'appuierait et la moderniserait.

Avec cette nouvelle proclamation, le gouvernement du Canada s'engagerait à respecter ses intentions ainsi affichées, en adoptant de nouvelles lois et en créant de nouvelles institutions pour les mettre en œuvre. Ces lois et ces institutions seraient créées grâce à une législation complémentaire que le Parlement adopterait :

  • Une loi sur la reconnaissance et le gouvernement des nations autochtones, pour permettre au gouvernement du Canada, suivant les mécanismes et les critères établis dans la loi, de reconnaître les nations autochtones et de conclure avec elles des accords provisoires pour financer leurs activités.
  • Une loi sur l'exécution des traités conclus avec les autochtones, pour établir les mécanismes et les principes qui permettront aux nations reconnues de renouveler les traités en vigueur ou d'en conclure de nouveaux. Cette loi porterait aussi création de plusieurs commissions régionales des traités, chargées de faciliter et d'appuyer les négociations des traités, qui seraient menées par les représentants des gouvernements concernés.
  • Une loi sur le Tribunal des traités et des terres autochtones, qui créerait un organe indépendant chargé d'entendre des revendications particulières, de veiller à ce que les négociations de traités soient menées et financées de façon équitable et de protéger les intérêts des parties concernées pendant les négociations.
  • Une loi sur le Parlement autochtone, pour créer un organisme représentant les peuples autochtones au sein des institutions fédérales et pour conseiller le Parlement sur les questions touchant les autochtones. (Une modification de la Constitution créerait par la suite une Chambre des Premiers peuples, qui deviendrait un élément du Parlement de pair avec la Chambre des communes et le Sénat.)
  • Une loi sur le ministère des Relations avec les autochtones et une loi sur le ministère des Services aux Indiens et aux Inuit, pour remplacer le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien par deux ministères – l'un chargé de mettre en œuvre la nouvelle relation avec les nations autochtones et l'autre, d'administrer les services qui continueront d'être fournis aux groupes n'ayant pas encore opté pour l'autonomie gouvernementale.

La proclamation et la législation complémentaire relèvent des seuls pouvoirs du gouvernement fédéral. Il serait toutefois préférable, dans l'intérêt de la future relation et des négociations qu'il faudra mener, que les gouvernements du Canada, des provinces, des territoires et des nations autochtones collaborent les uns avec les autres dès le début.

Nous préconisons des consultations poussées auprès des peuples autochtones et des gouvernements provinciaux, au sujet du contenu de la proclamation et de la législation complémentaire, qui commenceraient dans les six mois suivant la publication de notre rapport.

Les gouvernements provinciaux et territoriaux ont largement profité des terres et des ressources enlevées aux peuples autochtones. Sur les plans moral et juridique, ils ont l'obligation de participer pleinement aux efforts visant à restaurer l'autonomie économique et politique, y compris la redistribution des terres, le réaménagement des responsabilités gouvernementales et les ententes de cogestion des ressources communes.

À cette fin, nous demandons qu'une rencontre entre les premiers ministres et les dirigeants autochtones soit convoquée dans les plus brefs délais, au plus tard six mois après la publication de notre rapport. Cette rencontre aura pour objet l'examen de nos principales recommandations, la tenue de consultations au sujet de la proclamation royale proposée et la création d'une tribune où les ministres et les représentants des grandes organisations autochtones élaboreront un accord-cadre pancanadien pour négocier les principaux éléments du programme de changement, notamment :

Si la richesse de nos territoires ancestraux est équitablement partagée avec nous, si rien ne vient entraver notre façon de vivre, nous pourrions retrouver et exercer pleinement notre capacité traditionnelle de gouvernement.

Le vice-chef, John McDonald, Conseil tribal de Prince Albert, La Ronge (Saskatchewan)
  • les principes régissant la redistribution des terres et des ressources;
  • les domaines centraux du champ de compétence des gouvernements autochtones;
  • les principes des ententes intergouvernementales dans le domaine financier;
  • les principes de la cogestion des terres publiques;
  • le caractère des ententes de redressement provisoire.

Ce cadre accélérerait notablement le processus et réduirait le coût des négociations de traités qui suivront. On devrait se fixer l'an 2000 comme échéance.

Ressourcement et moyens d'action

Jusqu'à maintenant, nous avons exposé des mesures structurelles visant à rééquilibrer les pouvoirs entre les peuples autochtones et les gouvernements canadiens. Or ce ne sont pas les structures qui font les changements, ce sont les gens. Les autochtones doivent retrouver l'espoir que leurs droits seront reconnus et que leur dénuement sera un jour chose du passé. C'est à cette condition qu'ils pourront libérer leurs énergies, apporter des milliers de solutions individuelles et concrétiser le changement.

Nous ne pouvons devenir un peuple indépendant, comme nous le souhaitons et comme nous en avons le droit, si nous n'avons pas accès aux ressources de ce pays très prospère.

Sophie Pierre, Conseil tribal des Ktunaxa/Kinbasket, Cranbrook (Colombie-Britannique)

Si l'on veut que les autochtones puissent accomplir les tâches auxquelles ils vont devoir s'attaquer pour édifier leurs nations, il faudra que le changement structurel – les nouvelles lois et les nouveaux organismes destinés à les mettre en œuvre – s'accompagne de mesures visant à ranimer l'espoir des populations autochtones, à doter les individus de nouvelles capacités d'autogestion et à leur insuffler la confiance nécessaire pour prendre en charge leurs collectivités et leurs nations.

À cette fin, il faut agir sans retard dans quatre secteurs : guérison, développement économique, perfectionnement des ressources humaines et création d'institutions autochtones.

  • Guérison des personnes, des familles, des collectivités et des nations
    La guérison vise à restaurer la santé physique, mentale, affective et spirituelle. Elle sous-entend le rétablissement des personnes et des collectivités affaiblies par la perte de leurs cultures, les traitements paternalistes et parfois racistes et les politiques officielles de domination et d'assimilation.

    La guérison est déjà commencée dans de nombreuses collectivités, mais il faut que cet élan se propage à tous. Il a besoin de l'appui des écoles, des hôpitaux, des services aux familles. Il doit rejoindre les jeunes, les personnes âgées et tous les autres membres des collectivités.

    La guérison doit reposer sur les traditions autochtones d'entraide et de responsabilité communautaire. Elle doit englober les dirigeants des collectivités et les dirigeants nationaux dont les approches en matière de décision ont parfois été déformées par la façon dont le gouvernement a appliqué la Loi sur les Indiens. Le rétablissement des collectivités et des nations, le retour à l'unité et à l'harmonie constituent un prolongement de la guérison au niveau personnel. Une telle guérison est un corollaire essentiel de l'autonomie gouvernementale.
  • Développement économique
    Les autochtones doivent disposer des outils nécessaires pour échapper à la pauvreté qui handicape les individus et les nations. La redistribution des terres et des ressources améliorera beaucoup les perspectives d'emploi et de revenus. Il faudra ensuite trouver des capitaux à investir dans les entreprises et les industries et développer des aptitudes techniques, gestionnelles et professionnelles, pour pouvoir saisir les nouvelles occasions qui se présenteront.

    L'amélioration des conditions économiques doit absolument s'accompagner d'une amélioration des conditions de vie. Nous proposons une vaste initiative touchant le logement, l'approvisionnement en eau et les services sanitaires, afin de réduire les menaces pour la santé et de promouvoir le respect de soi et l'initiative.
  • Perfectionnement accéléré des ressources humaines
    Les activités du gouvernement autonome, la guérison, la mise en place de l'infrastructure communautaire et les entreprises commerciales nécessiteront bien plus de personnes formées que ce dont disposent les autochtones à l'heure actuelle. Des changements au système d'éducation peuvent améliorer les taux de persévérance des autochtones à l'école secondaire.

    Nous proposons aussi une initiative sur 10 ans pour combler les lacunes en matière d'éducation et de formation, en faisant appel aux entreprises privées, aux établissements de formation et aux gouvernements pour réaliser des programmes visant à encourager les autochtones à acquérir des connaissances dans un large éventail de domaines techniques, commerciaux et professionnels.
  • Création d'institutions
    La plupart des institutions régissant la vie autochtone aujourd'hui se trouvent à l'extérieur des collectivités autochtones. Dans la plupart des cas, elles fonctionnent suivant des règles qui ne tiennent pas compte des valeurs et des préférences autochtones. Il faut faire place aux institutions autochtones dans tous les secteurs de la vie publique. Nombre des institutions nécessaires devraient être créées avant que des nations autonomes ne voient le jour, mais elles devraient être conçues pour compléter les structures des nations et non pas les concurrencer.

Il faut nous permettre de faire nos propres erreurs. Il faut nous permettre de trébucher de temps à autre et de nous relever. Cela fait partie du processus par lequel nous apprendrons à nous gouverner nous-mêmes en tant que peuples et en tant que nations.

Gerald Morin, Président, Ralliement national des Métis

Les coûts élevés du statu quo

La nécessité de conclure un nouveau contrat avec les peuples autochtones est indiscutablement liée à la justice réparatrice et à la reconnaissance des droits historiques des autochtones. Elle repose aussi sur de solides motifs économiques : le Canada ne peut plus se permettre de maintenir le statu quo.

Éliminer les coûts supplémentaires que doivent supporter les Canadiens pour les politiques du passé est un puissant argument en faveur de la mise en œuvre du programme de changement de la Commission.

  • Coût très élevé de l'incapacité des peuples autochtones à trouver des emplois rémunérateurs et à toucher des revenus raisonnables. Ce coût prend la forme de gains que les autochtones ne reçoivent jamais, de biens et de services qu'ils ne peuvent pas injecter dans l'économie et d'impôts qu'ils ne peuvent pas payer.
  • Coût moindre mais quand même appréciable que les contribuables doivent supporter parce que les autochtones ont besoin de services supplémentaires en raison des effets négatifs d'un passé marqué par la domination : les autochtones sont plus que la moyenne tributaires de l'aide sociale, des subventions au logement, des services de santé et de justice.

Manques à gagner et à produire

Plus des deux tiers du coût du statu quo sont imputables au fait que les autochtones sont plus susceptibles que les autres Canadiens d'être victimes du chômage et, lorsqu'ils ont des emplois, de toucher une rémunération inférieure.

En tant que groupe, les autochtones vivent en marge de l'économie canadienne. Ils produisent moins et, par conséquent, ils apportent une contribution moins importante que la moyenne des Canadiens à la richesse nationale. Parce qu'ils gagnent moins, ils ont un niveau de vie considérablement inférieur à celui de la moyenne nationale.

  • En 1990, seulement 43 % des autochtones de plus de 15 ans occupaient un emploi, par comparaison avec 61 % chez l'ensemble des Canadiens.
  • En 1991, les autochtones qui avaient un emploi touchaient en moyenne 21 270 $, soit 76 % du revenu moyen au Canada, qui s'établissait à 27 800 $.

La pauvreté, la mauvaise santé, le manque d'instruction et de forts taux de mortalité sont tous symptomatiques des effets à long terme de l'attitude colonialiste. Il faut prendre pour point de départ la conception que les peuples autochtones ont de leurs besoins et de leurs intérêts; c'est ça le sens véritable du terme « autodétermination ».

Marlene Buffalo, Hobbema (Alberta)

Si ces écarts disparaissaient, les autochtones viendraient ajouter 5,8 milliards de dollars de biens et services à l'économie canadienne en 1996. Il ne s'agit pas d'un phénomène provisoire. Des pertes considérables sont encourues depuis longtemps, et de 1981 à 1991 ces pertes ont en fait augmenté.

Le taux de chômage des autochtones a augmenté de façon exponentielle au cours des 10 dernières années – beaucoup plus rapidement que celui de l'ensemble des Canadiens – et leur revenu moyen a diminué. Cette évolution s'est produite malgré une diminution de l'écart entre le niveau de scolarité des autochtones et celui des Canadiens non autochtones. La tendance s'est fort probablement maintenue au cours des années 90, car les jeunes arrivent sur le marché du travail et les emplois demeurent rares.

Cette situation est un handicap majeur pour les autochtones et les collectivités et elle accroît sensiblement la dette publique. Plus de 150 000 autochtones adultes n'ont pas la satisfaction de toucher un revenu décent, ni d'être indépendant sur le plan économique.

Coût de l'aide gouvernementale

En 1992-1993, dernière année pour laquelle l'information de tous les gouvernements a été publiée, le gouvernement fédéral a consacré 6 milliards de dollars aux autochtones, essentiellement en vertu des programmes destinés aux Indiens inscrits et aux Inuit. Les autres gouvernements (surtout les provinces) ont consacré 5,6 milliards de dollars – soit un total de 11,6 milliards de dollars.

Les peuples autochtones sont l'une des ressources humaines inexploitées du Canada, et lorsque nous serons en mesure de prouver que nous sommes et que nous avons toujours été des gens vaillants, nous deviendrons un atout et nous serons considérés comme tel.

Wilfred Collins, Président, établissement métis d'Elizabeth, Elizabeth (Alberta)

Les gouvernements dépensent de l'argent pour tous les citoyens, surtout au titre des programmes de santé et d'éducation, pour stimuler l'économie, pour faciliter les transports, etc. La somme consacrée aux autochtones, par personne, est de 57 % supérieure à celle dépensée pour chacun des Canadiens pris dans leur ensemble.

Pourquoi? Certaines dépenses du gouvernement fédéral sont occasionnées par des programmes spéciaux, notamment les services de santé non assurés et l'éducation postsecondaire, fournis en vertu des traités ou de la Loi sur les Indiens. Des facteurs géographiques et démographiques interviennent en outre :

  • Le coût de la prestation de services dans les régions éloignées où vivent de nombreux autochtones est élevé. Par exemple, le coût des services fournis par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest est le double du coût au niveau national.
  • La croissance rapide de la population autochtone explique que certaines dépenses soient plus élevées. Par exemple, la composition démographique de la population autochtone entraîne au titre de l'éducation des dépenses deux fois plus élevées que pour l'ensemble des Canadiens.

D'autres facteurs liés à la situation sociale et économique des autochtones rendent plus nécessaires certains programmes et services :

  • Les autochtones sont surreprésentés dans la clientèle des services correctifs, notamment les soins de santé, les services sociaux et le système de justice (maintien de l'ordre, tribunaux et établissements correctionnels).
  • Les taux de pauvreté et de chômage élevés et croissants accentuent la nécessité de l'aide sociale, des subventions au logement et d'autres paiements à des particuliers.

Les coûts liés aux facteurs géographiques et à la croissance démographique sont inévitables. Une grande partie du coût de l'aide financière individuelle et des programmes correctifs en matière de santé et de services sociaux pourrait cependant être éliminée si l'on adoptait des solutions stratégiques judicieuses.

La différence entre ce que l'on dépense pour les autochtones et ce que l'on dépense pour un nombre équivalent d'autres Canadiens est estimée à 2,5 milliards de dollars en 1996. (Ce chiffre comprend 0,8 milliard de dollars au titre de l'aide financière et 1,7 milliard de dollars au titre des programmes correctifs.)

La perte de recettes fiscales attribuable au chômage et aux emplois mal rémunérés est estimée à 2,1 milliards de dollars en 1996. Si on y ajoute les 2,5 milliards de dollars du calcul précédent, on obtient un total de 4,6 milliards de dollars. C'est ce qu'il en coûte aux gouvernements canadiens de continuer à appliquer aux autochtones une politique qui ne donne pas les résultats voulus. C'est à peu près la somme que le gouvernement du Nouveau-Brunswick dépense chaque année pour administrer l'ensemble de la province.

On peut aller plus loin. On estime à 2,9 milliards de dollars les revenus potentiels perdus par les autochtones en 1996 à cause de la situation de l'emploi et de la rémunération. Cette somme s'ajoute aux 4,6 milliards de dollars déjà perdus, ce qui donne un total de 7,5 milliards de dollars – le coût total que le Canada doit supporter pour laisser les autochtones dans leur situation sociale et économique actuelle.

Si le Canada n'apporte pas de changements fondamentaux, ces chiffres augmenteront sensiblement. Si les tendances actuelles se maintiennent, l'économie du Canada perdra annuellement non plus 7,5 milliards de dollars, mais bien 11 milliards de dollars (en dollars de 1996) d'ici quelques années, simplement en raison de l'augmentation démographique (voir tableau 1).

Tableau 1 Coûts annuels actuels et futurs du statu quo
Coût du statu quo Coût (milliards de $) 1996 2016
Coût au peuple Autochtone Revenu perdu 5,8 8,6
Impôts perdus -2,1 -3,1
Assistance financière des gouvernements -0,8 -1,2
Revenu nette perdu des Autochtones 2,9 4,3
Coût aux gouvernements Dépenses pour les programmes de rattrapage 1,7 2,4
Assistance financière au peuple Autochtone 0,8 1,2
Revenu du gouvernement perdu 2,1 -3,1
Coût total aux gouvernements 4,6 6,7
Coût total du statu quo 7,4 11,0

Notes :

  1. Les coûts du statu quo figurent en italique. Les autres chiffres montrent comment se répartissent ces coûts.
  2. La majeure partie du manque à gagner (5,8 milliards de dollars en 1996) est supportée par les autochtones sous forme de revenu perdu. Le reste est supporté par les gouvernements : recettes fiscales perdues et diverses prestations versées. Les coûts pour les gouvernements ne sont pas compris dans les coûts pour les autochtones.

Un bon investissement

Le programme de changement de la Commission peut réduire sensiblement les coûts de la marginalisation, du mauvais état de santé et de la misère sociale des autochtones. Des changements d'une telle ampleur ne se concrétisent toutefois pas facilement. Lorsque les problèmes sont à ce point profonds, il faut que les solutions s'attaquent à leur racine même. Une fois définies et mises en œuvre, ces solutions sont longues à porter fruit.

En réglant le problème de la dépendance, en favorisant l'indépendance des individus et des collectivités, nous changerons la façon dont nos collectivités fonctionnent et nous serons en mesure de contribuer à la prospérité non seulement de nos collectivités mais aussi de notre pays.

Francis Frank, Conseiller, collectivité de Première nation de Tla-O-Qui-Aht, Port Alberni (Colombie-Britannique)

Le Canada a tout à gagner à mettre en application nos propositions. Les autochtones s'en trouveront mieux parce qu'ils auront une plus grande productivité et des revenus plus élevés. Les autres Canadiens bénéficieront des économies et des recettes réalisées par les gouvernements. Le renouveau politique, économique et social peut aider le Canada à équilibrer son budget.

Nos propositions nécessitent une mise de fonds, mais elles entraîneront aussi des économies. Les économies et les nouvelles recettes fiscales finiront par égaler, puis par dépasser, le coût de la stratégie. Nous estimons qu'il faudra entre 15 et 20 ans pour en arriver à ce point.

Par conséquent, nous recommandons fortement que les gouvernements augmentent leurs dépenses annuelles de sorte que cinq ans après le début de la stratégie proposée, les dépenses soient plus élevées qu'aujourd'hui dans une proportion de 1,5 milliard à 2 milliards de dollars, et qu'ils maintiennent ce niveau de financement pendant une quinzaine d'années.

Nous demandons aux Canadiens d'examiner les dépenses supplémentaires en gardant quatre facteurs à l'esprit :

  • Le programme de changement coûtera beaucoup moins au Canada que le maintien du statu quo, modifié çà et là de façon marginale. Le coût de la productivité perdue et des mesures correctrices rendues nécessaires par la pauvreté et d'autres formes de handicap est de quatre à cinq fois supérieur au coût des mesures que nous proposons.
  • Nos recommandations constituent une stratégie interactive. Pour qu'elles donnent des résultats, elles doivent se renforcer les unes les autres. L'autonomie gouvernementale et l'acquisition d'une assise territoriale élargie insufflera un puissant élan à l'autonomie économique. Le mieux-être économique s'accompagne généralement d'un meilleur état de santé. Parallèlement, les progrès de la guérison et de l'éducation donneront des individus plus forts, plus confiants et dotés des talents et des aptitudes que requièrent la gestion d'entreprises et celle de gouvernements.
  • Des changements devront être négociés avec les autochtones et mis en œuvre par les autochtones – de la façon dont ils le décideront. Cela signifie que le rythme du changement sera déterminé par la capacité des nations et des collectivités autochtones à mettre en application leurs priorités – une capacité qui est encore en gestation.
  • Les gouvernements réévaluent leur rôle dans la société et réduisent les dépenses publiques. Ce ne serait toutefois qu'un simulacre de justice si les efforts concertés et efficaces visant à corriger les conséquences d'une longue dépossession étaient abandonnés pour des raisons de contraintes financières. Une dette est demeurée impayée et les Canadiens ne peuvent pas, en toute conscience, se dérober.

Le coût du règlement des revendications autochtones semble considérable si l'on tient compte de la situation financière actuelle. Pourtant, si l'on songe au coût que les événements historiques ont fait supporter aux Shuswaps, nous avons payé beaucoup plus que ce que le gouvernement et la population du Canada ont dû débourser pour nos terres et nos ressources.

Le chef Nathan Matthew, Nation secwepemc, Kamloops (Colombie-Britannique)

Nous estimons que la moitié des gains à escompter de meilleures conditions sociales et économiques pourraient se concrétiser au cours d'une période d'investissement de 20 ans. Au-delà de cette échéance, le rétablissement social et économique se poursuivra sans apport extérieur. Durant ces 20 ans, le flux des investissements devrait évoluer en trois étapes :

  • Au cours des cinq premières années, il faudrait immédiatement affecter des ressources considérables à tous les aspects de la guérison, de la stimulation économique, de la modernisation de l'infrastructure communautaire, de la création de nouvelles institutions et du perfectionnement des ressources humaines. Par contre, même si la réforme structurelle commence elle aussi dès les premières années (édification des nations, reconnaissance de l'autonomie gouvernementale et processus touchant les terres et les traités), cette activité ne monopolisera que des fonds limités.
  • À la fin de la première période de cinq ans, à mesure qu'un plus grand nombre de nations autochtones auront mené à bien les négociations relatives aux terres et à l'autonomie gouvernementale, il faudra faire face à d'importantes dépenses pour régler les revendications territoriales et mettre en place les gouvernements autochtones. Nous nous attendons à ce que la plupart des revendications soient réglées au cours des 20 prochaines années, mais le coût des règlements relatifs aux revendications territoriales s'étalera sur une plus longue période.
  • Au bout d'une dizaine d'années, les autochtones et les nations autochtones commenceront à rattraper leur retard en matière d'autonomie économique et contribueront plus largement au financement des gouvernements. La nécessité de programmes correctifs diminuera. Les avantages financiers de notre stratégie commenceront à dépasser ces coûts dans les 20 ans suivant le début de la mise en œuvre de la stratégie.

On voit au tableau 2 un résumé de l'évolution comparative des coûts et des avantages pour les gouvernements.

Les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et autochtones devront assumer une part du coût supplémentaire que représente le programme de changement. Les coûts que nous décrivons seront supportés en partie par les gouvernements autochtones et financés grâce à leurs efforts dans le domaine fiscal.

À long terme, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux profiteront largement des effets suivants :

  • dépenses réduites lorsque le programme de changement commencera à atténuer les aspects débilitants et onéreux de la vie autochtone;
  • augmentation des recettes fiscales, lorsqu'un plus grand nombre d'autochtones vivant à l'extérieur des territoires des nations autochtones occuperont des emplois, toucheront un revenu acceptable et paieront des impôts.

Les commissaires demandent instamment à leurs concitoyens du Canada d'affecter les ressources nécessaires aux mesures que nous décrivons, afin de réduire de 50 % l'écart économique entre autochtones et non-autochtones et d'améliorer les conditions sociales au cours des 20 prochaines années.

Il faudra peut-être plus longtemps. Toutefois, au cours de cette période de 20 ans, un énorme élan peut être donné. En 2016, les autochtones devraient se trouver dans une bien meilleure situation qu'aujourd'hui et continuer à progresser.

Cela aura d'énormes retombées humaines et financières pour les autochtones, et, à plus long terme, des avantages financiers encore plus importants pour tous les Canadiens.

Tableau 2 Variations des finances gouvernementales attribuables à la stratégie
Affectation supplémentaire au cours de l'année (milliard de $) 2001 2016
Mesures structurelles
1. Tribunal et commissions des traités
50 50
2. Réédification des nations
50 0
3. Gouvernements à l'échelle de la nation
50 425
4. Règlements de revendications territoriales
0 1000
Total - Mesures structurelles 150 1475
Mesures sociales et économiques
Guérison
5. Éducation, jeunesse et culture
300 150
6. Scins de santé
100 (450)
7. Services sociaux
100 (425)
8. Justice
25 (325)
Débouchés économiques et conditions de vie
9. Développement économique
350 225
10. Transferts de revenus
0 (250)
11. Logement et infrastructure
400 350
12. Mise en valeur des ressources humaines
150 425
Total - Mesures sociales et économiques 1425 (300)
Gains en recettes gouvernementales - (1550)
Total global 1575 (375)

Notes :

  1. Dans ce tableau, les dépenses (nombres sans parenthèses) s'entendent des dépenses additionnelles que tous les gouvernements doivent engager pour mettre la stratégie en œuvre.
  2. Les réductions sont indiquées entre parenthèses dans la colonne 2016. Ces réductions correspondent aux sommes économisées par suite de la stratégie mais qu'il aurait fallu engager en cas de maintien du statu quo, ainsi qu'aux recettes supplémentaires des gouvernements. Voir le chapitre 3 du volume 5 dans le rapport de la Commission pour une explication complète de ces chiffres.
  3. Les chiffres sont arrondis à la tranche de 25 millions de dollars la plus proche.

Sensibilisation et bonne entente

Les tâches que nous avons définies en vue de renouveler la relation entre les autochtones et les non-autochtones sont herculéennes, mais ce n'est rien si l'on songe qu'il faut aussi changer le cur et l'esprit des Canadiens pour que la majorité d'entre eux comprennent les aspirations des autochtones et reconnaissent leurs droits historiques.

Le changement social et structurel ne se produira pas sans l'appui des Canadiens. Le leadership des gouvernements est nécessaire, mais il ne suffira pas. Les Canadiens doivent comprendre les raisons sous-jacentes au programme de changement proposé par la Commission – et leur caractère équitable. Ils doivent pousser les gouvernements lorsque ceux-ci hésitent, et être prêts à accepter les reculs et les surprises qui accompagnent inévitablement le changement.

Si la sensibilisation ne s'améliore pas radicalement, il est très peu probable que les Métis occuperont un jour la place qui leur revient dans la société.

Gerald Thom, Nation métisse d'Alberta

On nous a souvent répété, au cours de nos travaux, que la plupart des Canadiens connaissaient mal la réalité et moins encore l'histoire des autochtones. L'information fournie par les programmes scolaires est limitée. Les données diffusées dans les médias sont souvent incomplètes. Peu de gouvernements, d'organismes et d'organisations œuvrent en vue de sensibiliser leurs membres, leurs employés et leurs collègues aux questions autochtones.

Pourtant, en l'absence d'une compréhension mutuelle, une relation renouvelée est impossible.

L'information constitue une partie de la réponse à ce problème. Nous recommandons un certain nombre de mesures à prendre pour accroître et améliorer la qualité de l'information au sujet des autochtones et de leurs préoccupations. L'information, à elle seule, ne fera pas crouler les murs de l'indifférence, voire de l'hostilité. Les autochtones et les non-autochtones ont besoin de bien d'autres occasions de se rencontrer face à face et d'apprendre à mieux se connaître.

Nous invitons les Canadiens à participer à une vaste campagne novatrice visant à sensibiliser la population. Notre rapport peut constituer un point de départ – une base sur laquelle les églises, les syndicats, les écoles et les hôpitaux, les entreprises locales et les grandes sociétés peuvent s'appuyer pour organiser des groupes d'étude, des conférences, des réunions et des échanges au sujet des efforts à déployer pour mieux comprendre et accepter les autochtones et leurs préoccupations.

La passivité et le silence n'équivalent pas à la neutralité : ils appuient le statu quo.

Suivi des progrès

Les autochtones se sont présentés devant la Commission pour poser une question : pouvez-vous nous promettre que vos recommandations n'iront pas dormir sur une étagère? Les autochtones en ont assez des belles paroles : ils veulent un changement véritable.

Le programme de changement de la Commission est, de toute évidence, une entreprise à long terme. Il est donc logique d'en suivre les progrès jusqu'à ce que les changements soient accomplis.

Nous proposons que le gouvernement fédéral établisse une commission d'examen de la situation des peuples autochtones, qui évaluera les mesures adoptées par les gouvernements en vue d'exécuter les tâches définies dans le programme de changement.

L'importance de cette commission d'examen sera fonction de son indépendance et de sa capacité d'inciter les législateurs et les gouvernements à se concentrer sur le processus continu de renouvellement. La commission devrait être indépendante des gouvernements et relever directement du Parlement.

Un mot encore

La relation entre autochtones et non-autochtones au Canada a longtemps été difficile et, depuis quelques temps, elle semble se détériorer encore davantage. Cette relation peut certainement être rétablie – en fait, le problème peut se transformer en atout et devenir une des plus grandes forces du pays.

Le changement doit libérer les autochtones de la domination qu'exercent sur eux les institutions et les gouvernements ainsi que de la dépendance à l'égard des fonds publics. La fin de la dépendance est éminemment souhaitable, tant pour les autochtones que pour les non-autochtones. Il serait tout à fait inacceptable pour les Premières nations, les Inuit et les Métis de continuer à voir leur autonomie restreinte et limitée au xxie siècle.

Pourtant, le renouveau de la relation doit se faire avec justice et générosité. L'histoire et la dignité humaine exigent qu'une part équitable des terres, des ressources et des pouvoirs soit rendue aux peuples autochtones. Sur ces bases, le respect de soi et l'autonomie s'affirmeront avec constance dans les collectivités autochtones. En leur absence, la colère et le désespoir ne cesseront de croître – et des conflits en découleront sans doute.

Ce que nous proposons est fondamental, ambitieux et peut-être dérangeant – mais en même temps exaltant, libérateur et riche de possibilités.

Les autochtones doivent être en mesure de fonctionner à nouveau comme nations. C'est là une façon neuve d'aborder des problèmes anciens et persistants. Depuis des années, l'expression clé du progrès des autochtones est l'autonomie gouvernementale. Il ne s'agit toutefois que d'un aspect d'un problème plus vaste – la réédification des nations, non pas comme elles étaient par le passé, mais comme elles peuvent être aujourd'hui. Les terres et la vitalité économique sont des conditions essentielles à la réussite des gouvernements. Une population saine, remplie d'espoir, est un facteur encore plus essentiel.

La Commission propose un programme de changement échelonné sur 20 ans, pour regrouper tous ces éléments et plus encore. En 20 ans à peine, on peut aider un grand nombre de nations autochtones à accéder à l'autonomie et éliminer les coûts humains et financiers écrasants qu'entraîne la nécessité de soutenir des collectivités incapables de se gérer elles-mêmes. À partir de ce point, les bénéfices pour le pays s'accumuleront.

Que l'on puisse faire autant dans de si brefs délais est une perspective qui devrait réjouir les Canadiens.

Les changements que nous proposons ont une portée considérable. Nous ne suggérons pas de modifier la Loi sur les Indiens ni de lancer de grands programmes tape-à-l'il. Ce que nous préconisons est fondamental, ambitieux et peut-être dérangeant – mais en même temps exaltant, libérateur et riche de possibilités.

Nous ne proposons pas non plus un ensemble de lignes directrices paralysantes. Nous offrons une vision de ce qui est possible et de nombreuses idées quant à la façon de commencer. Le programme de changement peut être mis en œuvre dès aujourd'hui, et il y a de nombreux points de départ possibles. En fait, on commence déjà, à mesure que les bonnes idées se précisent et que l'enthousiasme s'éveille au sein des collectivités autochtones, d'un océan à l'autre.

Pourtant, le changement doit se faire à un rythme qui permettra aux autochtones et à leurs nations d'assumer les douleurs qui l'accompagnent, et en encourageant les non-autochtones à y participer. La transition doit être accomplie de concert.

Nous avons tous une responsabilité dans l'établissement de cette nouvelle relation – citoyens et gouvernements, autochtones et non-autochtones, organisations de toutes tailles. Nous avons 20 ans de restructuration et d'expérimentation devant nous – et, pour la première fois depuis des décennies, nous ferons appel à toutes les énergies des autochtones. Ainsi se réalisera leur rêve d'un Canada qu'ils peuvent partager avec les autres Canadiens sans avoir le sentiment d'y être des étrangers.

Au cours de cette période – et au-delà – nous pouvons nous préparer à l'avènement d'un Canada qui célèbre son patrimoine autochtone et s'inspire de la force de ses peuples autochtones, partenaires à part entière d'une fédération renouvelée.

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