Allocution de la ministre Bennett à l’Assemblée 2017 du Cercle polaire

Le 4 octobre 2017, l'honorable Carolyn Bennett, ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord, s'est adressée à l'Assemblée du Cercle polaire.

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Transcription

Ólafur Ragnar Grimsson :  Nous vous présentons la ministre Carolyn Bennett, du Canada. Comme vous le savez tous, sinon presque tous, le nouveau Parlement du Canada, dirigé par le premier ministre Justin Trudeau, a élaboré de nouvelles politiques depuis son arrivée au pouvoir. Il a ainsi adopté de nouvelles visions et une façon différente d'aborder non seulement les changements climatiques et l'Arctique, mais aussi la position des peuples autochtones, des sociétés et des cultures dans tout le Canada et les territoires du Nord, créant un modèle pour d'autres parties de l'Arctique.

Nous pourrions parler d'une sorte d'expérience politique, dans le meilleur sens du terme. En effet, le gouvernement, en dirigeant le nouveau Parlement du Canada vers ces approches et ce parcours, crée par le fait même un modèle à suivre pour les autres. C'est pourquoi nous sommes extrêmement heureux que la ministre ait pu se joindre à nous; nous espérons que le discours qu'elle prononcera cet après-midi marquera le début d'un vaste dialogue avec le gouvernement du Canada dans les prochaines assemblées ainsi que dans d'autres activités touchant l'Arctique.

Il est donc d'une importance capitale que ceux qui explorent de nouvelles voies et de nouvelles (inaudibles) pour l'avenir de l'Arctique aient la possibilité de faire connaître les leçons apprises et les politiques sur la vision à cet auditoire international (inaudible). J'exprime donc encore une fois ma gratitude à la ministre Bennett, et j'espère que vous profiterez tous de cette excellente occasion qui nous est offerte pour mieux comprendre les visions du nouveau gouvernement du Canada. Mme Bennett. (applaudissements)

L'honorable Carolyn Bennett :  Merci beaucoup. Distingués invités et chers collègues, mesdames et messieurs, je voudrais tout d'abord, de la part du Canada, remercier le premier ministre Benediktsson pour son accueil chaleureux et son hospitalité. Je tiens à exprimer une gratitude particulière au président Grimsson pour sa vision et son leadership continu.

Cette conférence a été surnommée le Davos du Nord, et je crois que nous savons tous pourquoi. J'ajouterai, au nom de l'ambassadeur (inaudible), de l'envoyé spécial Dion et de plus de 70 délégués canadiens, qu'il n'est pas surprenant de constater que notre amour pour l'Arctique et l'intérêt que nous portons à cette région soient si contagieux. Nous sommes ravis d'être ici avec vous et d'apprendre de chacun de vous, afin que le Canada puisse jouer un rôle dans cette vision commune du Nord de la planète qui, de jour en jour, nous inspire de plus en plus et devient de plus en plus essentielle à la durabilité et la prospérité.

Notre amie Sheila Watt-Cloutier, ancienne présidente du Conseil circumpolaire inuit, lorsqu'elle a déclaré que la terre, la glace et la neige sont des terrains d'entraînement pour développer son identité et son caractère. On vous enseigne la patience, on vous apprend à être courageux et audacieux au bon moment. Nous sommes tous réunis ici aujourd'hui pour rêver de l'avenir en couleurs, pour travailler ensemble à un Arctique prospère, pour l'économie et la culture entre les nations et les frontières, mais aussi pour faire preuve de volonté, de courage et d'audace.

Voilà la valeur inestimable de cette assemblée. Et c'est pourquoi je suis très honorée de prendre ici la parole en tant que première dirigeante du ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord du Canada. J'ai pour mandat de veiller à ce que la relation avec les Premières Nations, les Inuit et la Nation des Métis soit fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et le partenariat. Comme le disait la dirigeante inuite Nellie Cournoyea il y a presque 50 ans, le paternalisme a été un cuisant échec. Quarante ans plus tard, nous allons enfin l'écouter tandis que certains principes sont énoncés plus formellement dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui, aux yeux des peuples autochtones, signifie en fait « rien pour nous sans nous. »

Oui, le Canada est un pays arctique, même si malheureusement, très peu de nos citoyens visitent le Nord. Néanmoins, notre esprit, en tant que Canadiens, est imprégné de la compréhension de notre identité canadienne, comme notre hymne national qui fait mention d'un Pays du Nord puissant et libre dans sa version anglaise (« The True North strong and free »), et notre pièce de 25 sous, qui arbore le caribou emblématique. Nos écoles, nos musées et nos médias arborent des images de la terre, de la mer, de la glace et de la neige qui nous permettent de partager notre compréhension de ce nous sommes, Canadiennes et Canadiens, et de notre vision de l'Arctique.

Il y a plusieurs années, mon beau-frère, John O'Brien, historien de l'art à l'Université de la Colombie-Britannique, a raconté que deux artistes du fameux Groupe des sept, Lorne Harris et A. Y. Jackson, avaient été invités à bord des brise-glaces de la Garde côtière pour représenter notre souveraineté canadienne dans une peinture de nos régions nordiques. Le Groupe des sept a défini dans ses œuvres l'imaginaire populaire du paysage canadien et finalement, dans les années 1960, les artistes inuits ont commencé à représenter leur terre natale, l'Inuit Nunangat, partout au Canada; ils ont expliqué que cette terre était bien plus qu'un paysage.

Kenojuak Ashevak, l'Inuk qui a participé à la mise sur pied de la West Baffin Eskimo Cooperative, a favorisé l'établissement d'une industrie des arts florissante à Cape Dorset, sur l'île de Baffin. Son œuvre emblématique, l'île enchantée, saisit une autre vision septentrionale du Canada, une vision audacieuse, forte et riche de traditions et de culture. L'art nordique, plus récemment, a mis en lumière les véritables difficultés auxquelles le Nord est confronté.

Annie Pootoogook, qui malheureusement est décédée cette année à Ottawa, ne craignait pas les difficultés auxquelles l'Arctique est confronté. Ses œuvres montrent la violence, les abus en milieu familial, l'alcoolisme et l'insécurité alimentaire, des problèmes qui, nous le savons tous ici, doivent être résolus pour que le Nord puisse prospérer.

Les habitants du Sud ne comprennent pas toujours la réalité de l'Arctique, car il faut y vivre pour la comprendre. Ils conceptualisent, visitent, ou même romancent l'Arctique à travers leur art, mais certaines choses doivent être vécues pour être bien comprises. Malheureusement, ils sont trop nombreux à vouloir appliquer des solutions du Sud à des problèmes qu'ils ne comprennent pas vraiment. Or, et les habitants du Nord sont très clairs, ils doivent être aux commandes. Ils exigent le respect du savoir autochtone. Ils veulent être capables de poser les questions importantes, (inaudible) des recherches importantes et d'établir leurs propres priorités.

Et pour ceux d'entre vous qui n'ont pas encore rencontré la mairesse d'Iqaluit, Madeleine Redfern, sachez que ses priorités sont claires : une connectivité, une partie centrale en eau profonde, une université de l'Arctique, des choses que les résidants du Nord souhaitent établir en tant que priorités; et notre travail consiste à les aider à atteindre cet objectif.

Le mois dernier, j'ai visité l'exposition au National Maritime Museum de Greenwich, organisée en collaboration avec notre Musée canadien de l'histoire sur le destin tragique de l'expédition de Franklin. C'était vraiment impressionnant. Les conservateurs ont fait un travail extraordinaire en nous faisant revivre cette époque, mais surtout du point de vue des Inuit. Un enregistrement de plus de 100 ans était particulièrement révélateur : la voix d'un aîné inuk décrivant leur première impression des étrangers qui avait été transmise à travers leur histoire orale.

À trois reprises dans cette bande sonore très courte, on peut entendre que leur chapeau n'était pas fixé à leur manteau. Et la voix de l'aîné qui répète encore que leur chapeau n'était pas fixé à leur manteau. J'ai bien compris, sans surprise d'ailleurs, pourquoi les Inuit écoutaient avec scepticisme les propos de ces étrangers arrivant sur leurs terres. J'ai aussi compris, en tant que ministre, pourquoi il est si exaspérant pour les peuples autochtones de notre pays que des colonisateurs prétendent avoir de meilleures façons de faire.

Les choses n'ont pas tellement changé depuis. Natan Obed, l'inspirant président de l'Inuit Kanatami Tapiriit, continue de nous rappeler que les solutions se trouvent ici dans le Nord. Il nous demande de faire preuve d'imagination et de tout mettre en œuvre pour améliorer la relation entre la Couronne et les Inuit afin qu'ils puissent réaliser leur vision : des premiers Canadiens et des Canadiens d'abord.

Nous avons alors demandé à une dirigeante inuite, Mary Simon, de nous écrire un rapport sur le leadership potentiel de l'Arctique. Je vais citer un extrait de son rapport : « En fait, les stratégies qui ont été mises en œuvre au cours de ma vie dans l'Arctique étaient rarement équivalentes à l'ampleur des lacunes fondamentales entre ce qui existe dans l'Arctique et ce que les autres Canadiens tiennent pour acquis, et elles ne permettaient pas d'aborder ces lacunes. Combler ces lacunes est ce dont les habitants du Nord, dans l'ensemble de l'Arctique, souhaitaient discuter avec moi en tant que priorité urgente. »

En fait, elle a constaté que tant que la question fondamentale de la pauvreté ne sera pas réglée, il lui sera impossible de s'engager vraiment dans des conversations sur le dialogue ou le développement économique. Pour répondre aux besoins du Nord, il faut que les régions nordiques développent leur économie et travaillent à maintenir dans le Nord les gains réalisés. Et pour ce faire, les accords de libre-échange mondiaux ne peuvent pas uniquement être axés sur les avantages dans les centres économiques. Le Nord doit cesser d'envoyer ses meilleures et ses plus brillantes ressources travailler au Sud.

L'inspirante Zita Cobb de l'île de Fogo occupait un important poste à la haute direction du géant technologique JDS Uniphase. Quand elle est retournée dans sa collectivité, où d'autres voyaient un paysage désolé, elle y a plutôt vu des occasions, comme vous l'avez fait ici en Islande. Elle a souligné que pour faire connaître 400 ans de culture insulaire, il fallait en faire une destination touristique en profitant de l'expérience de l'Islande. Mais elle savait bien que les activités économiques dans le Nord n'ont pas toujours des retombées économiques dans le Nord, à moins que ce soit précisément l'intention.

Lors d'une réunion des ministres du Nord au Canada, nous avons participé à un déjeuner-causerie sur les fuites économiques, un terme plutôt discutable, mais qui semble bien résumer les activités commerciales menées dans le Nord : des activités dirigées par des entreprises du Sud ayant des retombées économiques directement dans le Sud, une situation que nous devons renverser. Et elle a précisé qu'il faut maintenant faire preuve de transparence. Elle appelle cela une étiquette de la provenance économique : chaque carte de visite fait mention de son hôtel, son entreprise de pêche, son commerce de meubles; et au dos de la carte se trouve, pour chaque dollar que vous dépensez, la proportion qui est restée dans le Nord. Et nous croyons que c'est la seule marche à suivre pour aller de l'avant. Nous devons adopter cette voie de l'avenir, la transparence.

Au Canada, nous reconnaissons également l'importance des perspectives des jeunes Autochtones. Nous savons que nous devons les écouter et nous assurer qu'ils se sentent écoutés, pour s'assurer qu'ils ont de l'espoir, pour s'assurer qu'ils ont l'impression d'avoir un avenir dans le Nord. Comme l'a dit Nellie Cournoyea, nous devons nous remettre en question et trouver des moyens de mobiliser l'esprit d'une génération dans la population nordique. Il y a quatre ans, les membres fondateurs de la Conférence circumpolaire inuite abordaient l'étroite relation qu'entretiennent les Inuit avec la terre, l'eau et la glace.

Comme l'a dit le président, le premier ministre a évoqué l'heure du changement dans son récent discours aux Nations Unies. Comme il l'a dit, les collectivités autochtones et nordiques sont particulièrement frappées par une dure réalité. De (inaudible) à Kugluktuk à Tuktoyaktuk, a-t-il ajouté, les membres de la collectivité trouvent que les conditions de la glace marine sont plus dangereuses et imprévisibles pour voyager et chasser en hiver. Dans l'Arctique de l'Ouest, à mesure que le pergélisol fond, d'énormes morceaux de toundra s'érodent dans l'océan.

Je me souviens d'être descendu en 1999 dans le congélateur collectif de Tuktoyaktuk et d'avoir vu l'eau ruisseler à l'intérieur du congélateur. Le gel permanent était en train de fondre, mais personne n'écoutait. Nous devons prendre le temps de changer la politique fondée sur l'Inuit Qaujimanituqangit ou l'IQ. L'IQ s'inspire des piliers du savoir traditionnel inuit pour mettre l'accent sur les relations de collaboration, la gestion de l'environnement, l'esprit d'initiative et l'acquisition des compétences.

Les collectivités autochtones sont déjà à l'avant-garde de la réduction de la dépendance au diesel. En augmentant l'utilisation des sources d'énergie locales renouvelables, les collectivités récoltent des bénéfices qui conduiront à un Arctique plus durable et qui serviront d'exemple pour les autres. Pour répéter ce qu'a dit Sheila Watt-Cloutier, le Nord n'est pas un endroit où survivre et tenir le coup. C'est plutôt un terrain d'entraînement et de gouvernance; en effet, dans les trois territoires du Canada, les décisions sur le développement et la gestion des terres sont prises par les conseils de cogestion des titulaires de droits autochtones, les gouvernements provinciaux et territoriaux et les représentants du gouvernement fédéral.

Cela signifie que les gouvernements et les populations du Sud ont besoin d'une formation en ce sens, de connaître l'impatience et le courage des régions du Nord, et l'audace dans leurs actions, ce qui implique une mise en commun dans la prise de décisions. Nos actions doivent être fondées sur la conviction fervente que l'avenir du Nord doit être façonné par les habitants du Nord. Notre travail consiste à soutenir leur vision et leur réalité.  

Nellie Cournoyea avait raison, le paternalisme s'est avéré un cuisant échec. Le futur doit reposer sur l'imagination et l'humilité de la part des habitants du Sud. Il est temps d'écouter les premiers peuples.

Merci.

(applaudissements)

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