Rapport de recherches sur les traités - Traité no. 10 (1906)

par Kenneth S. Coates, William R. Morrison, Centre de la recherche historique et de l'étude des traités, Affaires indiennes et du Nord Canada, 1986

Format PDF (180 Ko, 50 pages)

Les opinions présentés par l'auteur de ce rapport ne sont pas forcement ceux du Ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada.

Table des matières

Résumé

Le traité no. 10, négocié en 1906, couvre une région de 220 000 kilomètres carrés dans le nord de la Saskatchewan et de l'Alberta. Contrairement aux traités signés avec les autochtones du sud des Prairies, les terres visées par le traité no. 10 étaient jugées impropres à l'agriculture, et les demandes de traité émanant des autochtones de la région furent donc ignorées par le gouvernement durant plus de vingt ans. Le gouvernement avait pour politique de laisser ces gens dans leur rôle d'exploiteurs des ressources naturelles aux fins de subsistance. Ce n'est qu'après 1900, lorsque les personnes de sang mêlé du nord de la Saskatchewan commencèrent à exiger des dédommagements pour la perte de leurs droits autochtones, et surtout après la création de la province de la Saskatchewan en 1905, que le gouvernement fédéral entreprit de soumettre cette région aux dispositions d'un traité.

Historique

En 1906, le gouvernement du Canada autorisa la négociation d'un traité avec les autochtones dans les districts non cédés de la province nouvellement formée de la Saskatchewan, ainsi que d'une portion restreinte de l'est de l'Alberta. L'accord, soit le traité no. 10, qui s'ajoutait aux neuf autres traités conclus dans l'ouest et le nord canadien, visait un territoire de presque 220 000 kilomètres carrés et une population composée majoritairement de Cris et de Chipewyans. Comme ce fut le cas pour les traités précédents, ce dernier traité invitait les peuples aborigènes à céder leurs titres autochtones à l'égard des terres qu'ils habitaient. En retour, on leur promettait des réserves, une scolarisation et du matériel agricole, le droit de chasser, de piéger et de pêcher, ainsi que des versements annuels d'indemnités. Bien qu'il était semblable, dans sa forme et son intention, à des ententes antérieures, le traité no.10 s'intégrait en fait à un processus très différent de celui qui prévalait au moment de la signature des traités avec les autochtones des plaines du sud.

Le processus de conclusion des traités commença au Canada avec la Proclamation royale de 1763, en vertu de laquelle le gouvernement britannique et son ministère des Colonies acceptaient des titres autochtones non spécifiés sur les terres habitées de l'Amérique du Nord britannique. Une fois un tel principe accepté, il appartenait aux administrations subséquentes d'organiser le transfert juridique des titres fonciers des habitants autochtones au gouvernement avant que celui-ci puisse permettre une colonisation organisée. Note de bas de page 1

Des traités officiels avaient été signés avec les autochtones de la plupart des districts agricoles du centre du Canada avant l'établissement de la Confédération en 1867. Immédiatement après cette date, soit en 1870, l'achat auprès de la Compagnie de la baie d'Hudson de Rupertsland, en 1870, souleva le problème des titres fonciers autochtones dans les districts agricoles des territoires nouvellement acquis. La question revêtait certainement une certaine importance, car le décret qui fondait officiellement le contrôle fédéral sur le Manitoba et les territoires non organisés stipulait précisément que "toute requête des Indiens visant à être dédommagés pour les terres nécessaires aux fins de colonisation sera réglée par le gouvernement du Canada, en collaboration avec le gouvernement impérial". Note de bas de page 2

Contrairement aux terres à blé situées plus au sud, les terres visées par le traité no. 10 étaient jugées impropres à l'agriculture. En conséquence, le gouvernement fédéral avait, à l'égard de ce territoire et de ses habitants, des visées substantiellement différentes de celles se rapportant aux districts situés plus au sud.

Il faut donc décrire l'ensemble du processus de conclusion des traités pour être en mesure de placer dans la perspective historique appropriée les pressions et les négociations ayant abouti à la conclusion du traité no. 10.

Base des négociations

L'importance des traités en ce qui a trait à la colonisation de l'Ouest canadien est bien connue. Pressé d'éviter les coûteuses et meurtrières guerres indiennes qui avaient affligé les États-Unis d'Amérique dans leur expansion vers l'Ouest, et en mesure de profiter de l'association séculaire entre les commerçants de fourrures et les autochtones, le gouvernement canadien négocia des traités avec les autochtones de la ceinture agricole des Prairies. Peu de temps après que le gouvernement fédéral eut pris possession de Rupertsland, auparavant sous le contrôle de la Compagnie de la baie d'Hudson, des efforts furent tentés en vue de conclure les traités appropriés et d'attribuer des réserves aux autochtones habitant des terres considérées comme propices à l'agriculture.

Les priorités du gouvernement fédéral apparaissent assez claires aux yeux d'un observateur contemporain. Les indigènes devaient être déplacés vers des réserves choisies, cédant du même coup leurs droits autochtones en échange de promesses d'avantages présents et futurs. Ce faisant, le gouvernement espérait ouvrir l'Ouest à la colonisation pacifique des agriculteurs non autochtones, et éviter les heurts raciaux qui avaient dominé et entaché la conquête américaine de l'Ouest. Note de bas de page 3

Le gouvernement fédéral n'agissait pas uniquement en vue de répondre à ses intérêts particuliers. Imbu de ce paternalisme si caractéristique au XIXe siècle des attitudes occidentales à l'égard des indigènes de l'Amérique du Nord, le gouvernement canadien estimait de toute évidence que les autochtones devaient être protégés de l'avance toujours plus prononcée des colonisateurs. Cette opinion reposait sur l'hypothèse que les autochtones, à titre de "primitifs" ignorant l'agriculture, ne voudraient pas s'adapter aux nouvelles conditions économiques et sociales - en fait n'en étaient pas capables.

Le processus de conclusion des traités répondait de toute évidence aux deux priorités gouvernementales relatives aux autochtones. Ceux-ci seraient cantonnés dans des réserves restreintes et isolées, qui permettraient l'ouverture de vastes étendues de terres à l'exploitation agricole. Du même coup, on pourrait plus facilement réglementer la vie des autochtones maintenant regroupés ayant abandonné la tradition nomade qui, dans l'esprit des non-autochtones, avait sérieusement entravé le processus de leur civilisation. Selon le plan du gouvernement, les autochtones pourraient, sous l'influence bienveillante des agents indiens et des instituteurs, et la supervision de la Police montée du Nord-Ouest, s'assimiler graduellement à la société canadienne proprement dite. Un tel processus s'annonçait de longue haleine, car les non-autochtones prévoyaient que les vistiges de ce qu'ils considéraient avec mépris comme de la "sauvagerie" ne se dissiperaient qu'après beaucoup de résistance. Les autorités fédérales s'étaient cependant publiquement engagées à assurer la protection, la "civilisation" et, en fin de compte, l'assimilation des autochtones. Note de bas de page 4

On ne procéda pas, cependant, à l'intégration et à l'assimilation prévues des autochtones du Canada avec la détermination que les nobles énoncés de la politique officielle auraient pu laisser soupçonner. Confiés à des fonctionnaires, et entravés par un trésor fédéral toujours parcimonieux, les plans et les priorités concernant les autochtones firent régulièrement l'objet de révisions et de restrictions. Ceci eut pour résultat, particulièrement pour les autochtones vivant à l'extérieur de la ceinture agricole, que le gouvernement fédéral n'agit pas de manière aussi expéditive qu'il avait été prévu au départ. Des traités ne furent offerts que dans les régions dont l'exploitation économique suscitait des pressions immédiates. Ailleurs, les services gouvernementaux n'étaient étendus qu'avec beaucoup de réticence, et le gouvernement fédéral résolut de modifier sa politique d'acculturation dirigée en vue de laisser les autochtones dans leur état d'exploiteurs des ressources naturelles. Note de bas de page 5

Cette combinaison de parcimonie et d'engagement chancelant fit en sorte qu'il n'y eut pas un, mais deux processus distincts de conclusion de traités dans l'Ouest canadien. Le premier processus, de loin le plus connu, concernait les autochtones des plaines du sud, qui habitaient les terres jugées essentielles, dans le cadre de la "politique nationale" du premier ministre Sir John A. MacDonald, pour la constitution d'un empire agricole dans l'Ouest canadien. Ce processus débuta en 1871, par la signature des traités no. 1 et 2 avec les autochtones de la province nouvellement créée du Manitoba et avec ceux vivant immédiatement à l'ouest de celle-ci. Note de bas de page 6 Deux ans plus tard, au terme de négociations plus ardues, un accord fut conclu avec les peuples autochtones du district de Lake of the Woods, dans lequel figurait la disposition sans précédent permettant officiellement aux Métis de conclure un traité. Note de bas de page 7 Les commissaires fédéraux tournèrent ensuite leur attention vers les plaines de l'Ouest, et négocièrent, entre 1874 et 1877, une série de traités avec les autochtones des régions agricoles des Territoires du Nord-Ouest (qui font maintenant partie de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba). Cette tâche ne fut pas toujours facile, et le gouvernement fut confronté à des résistances considérables, particulièrement de la part de la confédération des Pieds-Noirs, qui vivait à l'extrémité occidentale des Prairies et se montra la moins disposée à accepter les restrictions inhérentes aux traités et au système des réserves. Le déclin continu de la chasse aux bisons, ainsi que la détresse économique et sociale qui l'accompagnait, convainquirent éventuellement les tribus de cette région d'accepter officiellement le traité no. 7 en 1877.

Ainsi, la phase initiale, et cruciale, du processus de conclusion des traités dans l'Ouest canadien était terminée en 1877. Le gouvernement s'était assuré la cession pacifique des titres autochtones dans l'ensemble des districts agricoles des Prairies, et avait ouvert le chemin à la colonisation. Les négociations ayant mené à la conclusion des traités ne constituaient qu'une seule facette, quoiqu'essentielle, des plans gouvernementaux relatifs à la transformation de l'Ouest canadien en arrière-pays agricole. Allant de pair avec l'arrivée, en 1873, de la Police montée du Nord-Ouest, la construction prévue d'une voie de chemin de fer reliant la Colombie-Britannique au centre du Canada, et la tâche monumentale de Levé du Dominion constituait à diviser en sections les terres des Prairies, les traités conclus avec les autochtones étaient nécessaires pour préparer la voie à la ruée prévue de colons dans l'Ouest canadien. Cependant, les agriculteurs ne vinrent pas s'établir en aussi grand nombre que prévu. Le gouvernement fédéral, très déçu, mit donc en doute la pertinence d'obliger les autochtones à choisir des réserves et à s'y établir immédiatement. L'hésitation du gouvernement, qui se fondait sur le désir de ce dernier d'épargner de l'argent en n'obligeant pas les autochtones à vivre dans des réserves tant qu'une telle démarche n'était pas justifiée par les pressions de la colonisation, fut éventuellement la cause de difficultés considérables durant les années troublées précédant la Rébellion du Nord-Ouest de 1885. Note de bas de page 8

Bien que les priorités fédérales en vinrent à déterminer le moment et le rythme des négociations menant à la conclusion de traités, des travaux historiques récents ont mis l'accent sur le rôle influent joué par les autochtones eux-mêmes dans ce processus. Un grand nombre de groupes autochtones, discernant les changements qui surviendraient probablement durant les années suivant la Confédération, reconnaissaient la nécessité d'en arriver à un compromis avec le nouvel ordre politique et économique. L'historien John Tobias a mis en doute l'opinion habituelle voulant que ce fut uniquement le gouvernement fédéral qui mit en branle le processus de conclusion des traités en vue de paver la voie à la colonisation :

Il existe un mythe répandu par certaines personnes, qui voudraient nous faire croire que le Canada a commencé à négocier des traités avec les Indiens de l'Ouest en 1871, dans le cadre d'un plan d'ensemble visant à développer le potentiel agricole de l'Ouest, ouvrir les terres pour la construction d'une voie de chemin de fer, et rattacher les Prairies au Canada par un réseau de liens commerciaux et économiques. Bien que ces affirmations contiennent une part de vérité, le fait demeure qu'en 1871, le Canada ne possédait aucun plan quant à la manière dont il traiterait avec les Indiens, et que la négociation des traités fut entreprise non à l'initiative du gouvernement canadien, mais suite à l'insistance des Ojibwas du Nord North-West Angle et des Saulteux de la minuscule province du Manitoba. Ce que dissimule l'interprétation traditionnelle, c'est que la négociation relative à un traité ne débuta qu'après que la bande de Saulteux de Yellow Quill fit rebrousser chemin à des colons qui essayaient de se rendre à l'ouest de Portage-la-Prairie, et qu'après que d'autres chefs saulteux eurent insisté pour l'application du traité du Selkirk ou, le plus souvent, pour la conclusion d'un nouveau traité. On ignore également le fait que les Ojibwas du North-West Angle exigèrent des indemnités et menacèrent de faire usage de violence contre les colons éventuels qui traversaient ou utilisaient leurs terres, si leur droit à celles-ci n'étaient pas reconnus. Note de bas de page 9

Comme l'affirme Tobias, le rôle des autochtones fut crucial dans l'amorce de négociations relatives à un traité, bien que, comme allait le démontrer l'expérience des autochtones du nord de la Saskatchewan, leurs protestations étaient ignorées, à moins qu'elles ne touchent les plans fédéraux et non-autochtones d'exploitation de l'Ouest. Ils influencèrent également la rédaction comme telle des traités, exigeant dans les premiers traités visant les Prairies beaucoup plus que ce que le gouvernement avait l'intention d'accorder. En particulier, les autochtones demandèrent du matériel agricole, des bestiaux et une formation en agriculture, ce qui démontrait bien leur intention de s'adapter au mode de vie agricole sur le point de prendre racine dans le pays. L'expérience des traités no 1 et 2 fut riche de leçons pour le gouvernement, car la plupart des dispositions acceptées alors avec réticence furent incorporées de manière routinière dans les traités subséquents. Ce qu'il faut retenir avant tout, donc, c'est que les autochtones furent plus initiateurs, et moins victimes passives, du processus de conclusion des traités que ne le laissait entendre la croyance traditionnelle.

L'engagement du gouvernement fédéral à l'égard des négociations relatives aux traités était au mieux marginal. L'administration initiale des traités no. 1 à 7 constitue un excellent témoignage du peu de cas fait par le gouvernement de ses obligations envers les autochtones de l'Ouest canadien. Les promesses contenues dans les traités ne furent souvent pas tenues, tandis que les vivres nécessaires pour prévenir la famine étaient utilisés, non comme dons humanitaires, mais plutôt comme outil pour influencer l'établissement et les déplacements des autochtones. Ceux-ci découvrirent souvent d'une manière douloureusement évidente que les droits contenus dans les traités et les titres autochtones ne représentaient que des questions mineures dans les plans du gouvernement fédéral pour le développement de l'Ouest. Bien qu'il existait un élément humanitaire évident dans l'ensemble de la politique nationale relative aux autochtones, il semble que bien peu de cet altruisme se retrouvait chez les responsables gouvernementaux et les politiciens chargés d'administrer les affaires autochtones dans l'ouest du pays.

Cette situation, qu'avait tempérée quelque peu les faibles réactions suscitées par l'appel du gouvernement canadien pour la colonisation des Prairies, s'améliora avec l'approche du vingtième siècle. On pouvait croire, avec l'afflux d'immigrants vers l'Ouest après 1896, que le rêve depuis longtemps caressé d'un empire des Prairies était près de se réaliser. Aussi, l'enrichissement du pays engendré par l'industrialisation permettait maintenant au gouvernement d'être plus généreux et plus flexible dans ses rapports avec les autochtones. On constatait donc, au tournant du siècle, un intérêt renouvelé pour les affaires autochtones et les titres autochtones.

C'est à ce moment que la deuxième phase du processus de conclusion des traités dans l'Ouest canadien débuta. Bien que les autochtones du nord du Manitoba et des secteurs non cédés des Territoires du Nord-Ouest avaient assez régulièrement demandé l'ouverture de négociations relativement à un traité, le gouvernement demeurait réticent à l'idée d'étendre ses obligations juridiques et financières aux districts non agricoles. C'est seulement lorsque l'attention économique se portait vers le nord suite à l'élaboration de nouvelles priorités d'exploitation, ou lorsqu'intervenaient des considérations politiques, que les responsables gouvernementaux modifiaient leur attitude. La préoccupation fondamentale de ceux-ci, soit d'annuler les titres autochtones (tant des Indiens que des Métis) visant les secteurs pouvant éventuellement être colonisés, ne s'appliquait pas aux districts nordiques des provinces des Prairies, où l'on ne s'adonnait qu'à la traite des fourrures. Le gouvernement avait donc besoin, avant de pouvoir passer à l'action, d'une impulsion plus forte que celle que pouvaient à eux seuls lui fournir les souhaits des autochtones ou les impératifs de la morale.

Le ministère des Affaires indiennes justifiait son hésitation d'une manière qui semblait convaincante. Les autochtones du Nord, qui s'adonnaient toujours à la chasse et au piégeage des années après que ces activités eurent cessé de représenter un intérêt économique dans les districts méridionaux, possédaient peu de solutions de rechange à une existence nomade, consacrée à l'exploitation des ressources naturelles. Le gouvernement estimait qu'il était peu probable que cette situation change. Aussi longtemps que les conditions économiques demeuraient identiques, le gouvernement était prêt à ignorer les demandes d'aide des autochtones. Ce n'est qu'au moment où la vie économique d'un secteur était bouleversée par une exploitation non-autochtone venue du Sud que le ministère des Affaires indiennes était prêt à recommander la signature d'un traité.

Dans les plaines du Sud, la préoccupation énorme du gouvernement relativement à la colonisation de l'Ouest le rendait réceptif aux exigences et aux requêtes des autochtones. Le rythme plus lent de développement économique dans le Nord, ainsi que la faible priorité accordée à cette région dans les plans de développement du gouvernement fédéral, rendaient inévitables l'indifférence opposée régulièrement aux souhaits des autochtones, ainsi que le contrôle exercé par le gouvernement fédéral sur le processus de conclusion des traités.

Le fait que c'est au gouvernement fédéral que revenait le soin de fixer le programme des discussions relatives aux traités n'empêchait pas les autochtones de tenter de faire accélérer le processus. Lorsque les autochtones de ce qui constitue maintenant le nord de la Saskatchewan commencèrent à faire appel au gouvernement pour que leurs revendications soient prises en considération, ils découvrirent rapidement que le faible potentiel agricole de leurs terres rendait les responsables fédéraux résolument insensibles à leurs demandes.

Le premier appel de ce genre survint en 1879, lorsque les autochtones de Stanley, du Lac-La-Ronge et de Pelican-Narrows adressèrent une pétition pour la signature d'un traité. Comme ce fut le cas pour un grand nombre d'autochtones des plaines du sud, qui justifièrent leur volonté d'accepter un traité par une famine en cours ou imminente, ces autochtones écrivirent que la baisse du prix des fourrures et la diminution des ressources alimentaires rendaient la signature d'un traité essentielle à leur survie. Note de bas de page 10 Le missionnaire de la localité se fit l'interprète des sentiments des autochtones, affirmant que si "le gouvernement avait vu ce que moi-même j'ai eu sous les yeux, il aurait immédiatement répondu à leur modeste pétition et aurait conclu un traité avec eux afin de leur prêter assistance." Note de bas de page 11 Cet appel, caractéristique des demandes autochtones visant à combattre l'indigence au moyen de l'aide découlant d'un traité, essuya un refus.

Le désir des autochtones de jouir des avantages d'un traité refit surface quelques années plus tard, au moment où une proposition portant sur la construction d'une voie de chemin de fer entre Churchill et la région de la rivière de la Paix faisait l'objet d'intenses discussions. En 1881, le chef Red Head du Lac-du-Bonnet transmit une demande visant à l'ouverture de négociations en vue de la signature d'un traité entre le gouvernement et les autochtones habitant la région que devait traverser le chemin de fer. Comme le nota le surintendant général adjoint, la demande était "conforme à la pratique habituelle du gouvernement avant l'utilisation ou l'occupation de terres pour lesquelles les titres autochtones n'ont pas été abolis." Note de bas de page 12 Les autochtones furent évidemment indignés de l'intrusion des arpenteurs du chemin de fer ainsi que des rumeurs de la construction imminente de celui-ci à travers leurs terres.

Les pétitions qu'ils adressèrent au gouvernement au cours des deux années suivantes et qu'appuyaient les missionnaires, soulignèrent également le peu de prises obtenues dans la région par la chasse et le piégeage. Note de bas de page 13 Le gouvernement avait depuis quelques années fourni une aide modeste consistant en munitions et en ficelle pour les filets, mais il semblait maintenant prêt à négocier une augmentation de cette aide, le développement économique paraissant imminent. Comme le notait un responsable :

Les Indiens des parties non cédées des Territoires ne sont pas nombreux; mais ils pourraient tout de même évidemment causer beaucoup de dommages à une voie de chemin de fer ou à toute construction gouvernementale située sur leurs terres, à moins que le gouvernement n'ait conclu avec eux une entente préalable relativement à celles-ci. Note de bas de page 14

La possibilité de la construction d'une voie de chemin de fer (qui ne survint finalement que plusieurs décennies plus tard) avait incité le gouvernement fédéral à oublier sa réticence de longue date à aborder la question des traités. Contrairement aux demandes précédentes, qui avaient été poliment ignorées, la requête de 1883 fit l'objet d'une attention plus sérieuse. Très désireux d'en apprendre plus sur les autochtones des districts de l'Île-à-la-Crosse et de la Rivière-aux-Anglais, le gouvernement confia une liste de questions au facteur en chef de la Compagnie de la baie d'Hudson, L. Clarke, demandant à ce dernier d'évaluer les coûts, la faisabilité et la nécessité d'un traité.

Clarke favorisa généralement dans son rapport la conclusion d'un traité bien qu'il estimait qu'il en coûterait probablement 16 000 $ pour obtenir les négociations appropriées. Clarke prit note du potentiel agricole très limité de la région, ce qui ne pouvait que refroidir l'intérêt des responsables gouvernementaux, mais il conseilla à ces derniers de porter attention le plus vite possible à la question du traité, car "plus tard, ils peuvent apprendre des Indiens des Plaines à accorder plus de valeur à leurs terres, et ils seront alors plus réticents à céder celles-ci." Note de bas de page 15 Edgar Dewdney, commissaire des Territoires du Nord-Ouest peu enclin à appuyer fortement les droits des autochtones, estima que cet argument de Clarke constituait la seule justification pour conclure immédiatement un traité, rejetant ainsi plutôt rapidement la réalité des épreuves et des souffrances évoquées par les autochtones. Note de bas de page 16 Mais les plans visant la construction dans le Nord d'une voie de chemin de fer tombèrent dans l'oubli, et, avec eux, la détermination de conclure un traité avec les autochtones du nord de la Saskatchewan. Ces derniers devaient, pour ratifier le traité tant souhaité, attendre que le gouvernement fédéral tourne de nouveau son intérêt vers les régions nordiques consacrées à la traite des fourrures.

La politique gouvernementale de négligence planifiée à l'égard des régions nordiques ne fut pas sans soulever des contestations. Les missionnaires catholiques et anglicans apportèrent régulièrement leur soutien aux demandes autochtones visant à l'ouverture de négociations relatives à un traité. Même la Compagnie de la baie d'Hudson pressas le gouvernement de conclure une entente acceptable avec les habitants indigènes de la région. La Compagnie était préoccupée par le problème, car, aux époques de misère et d'épreuves, c'est à elle qu'on faisait appel pour fournir des secours. Puisque la Compagnie n'était plus responsable de l'administration de la région, ayant cédé ses titres en 1870, elle désirait voir le gouvernement assumer ses obligations humanitaires. Note de bas de page 17

Cependant, ce sont des autochtones eux-mêmes que continuèrent de venir les demandes les plus insistantes pour des négociations portant sur un traité. Comme le notait en 1887 le surintendant des Affaires indiennes :

Ils prétendent que, puisqu'il est évident que des terres situées dans le territoire qu'ils habitent doivent être utilisées à ces fins (chemin de fer et travaux publics), il n'est que juste que l'on doive, avant de procéder à de telles appropriations de terres, établir avec eux, en tant que propriétaires du sol, les modalités d'un traité. Ils demandent aussi instamment, étant donné la diminution du nombre d'animaux à fourrure et de gibier, le versement des indemnités et des autres émoluments qui devraient leur être accordés en vertu d'un traité afin de leur permettre de survivre. Note de bas de page 18

Bien que les autochtones, des rives de la baie d'Hudson jusqu'à la région de la rivière de la Paix, aient présenté des revendications semblables et prié le gouvernement de les traiter avec justice, l'absence de développements immédiats convainquit les responsables fédéraux que les sommes d'agent relativement modestes requises pour régler les titres autochtones et pour assurer une certaine protection aux autochtones ne pouvaient, ou ne devaient pas être fournies.

La question du traité demeura dans cette région sans solution pendant presque vingt années, bien que les autochtones aient continué de demander l'extension au nord de la Saskatchewan des versements d'indemnités, de l'aide agricole, des soins médicaux et des autres avantages dont disposaient les Indiens ayant ratifié un traité. Cette situation devait changer au début du vingtième siècle, bien que les négociations relatives au traité, comme c'était l'habitude n'aient pas commencé avant que le gouvernement ne soit senti obligé de s'y engager.

Mais, ironiquement, ce furent les droits des Métis, et non les exigences des autochtones, qui mirent la question d'un traité pour le nord de la Saskatchewan une fois de plus à l'avant-plan. En 1902, les personnes de sang mêlé d'Ile-à-la-Crosse adressèrent une pétition au gouvernement en vue de recevoir une indemnité. Ils prétendaient qu'une mauvaise récolte et la perte de revenu qui en avait découlé avaient mené leur communauté au bord de la misère, et que leur survie dépendait donc du règlement immédiat des revendications des Métis. Note de bas de page 19 Bien que le commissaire de l'indemnisation des Métis était prêt à conclure un accord pour les quelque 850 Métis de la région, il avait les mains liées. Comme il le déclara au premier ministre Laurier :

Ce territoire étant non cédé, je ne possède aucune autorité, en vertu de ma commission, pour mettre fin aux revendications aborigènes des Métis. En suivant la politique adoptée dans l'élaboration du traité no. 8, les titres indiens et les revendications des Métis seraient abolis en même temps. Un accord relativement au versement d'une indemnité devrait donc attendre la prise d'une décision portant sur la cession à notre profit d'une partie du territoire. Note de bas de page 20

La décision de négocier un traité ne pouvait être prise à la légère ou précipitamment. Bien que les responsables gouvernementaux reconnaissaient les mauvaises conditions de vie tant des Métis que des Autochtones, la procédure bureaucratique imposait sa lenteur coutumière. Même si l'on reconnaissait généralement en 1902 la nécessité de conclure un traité, tant pour permettre à la Commission des Métis d'accomplir son travail que pour prévenir des demandes additionnelles de secours d'urgence, on discutait toujours de la meilleure méthode à adopter pour agir.

Les commissaires du traité no. 8 (1899, nord de l'Alberta) avaient reçu l'autorisation de négocier également pour le nord de la Saskatchewan. Ils n'avaient pu le faire, en partie à cause des difficultés qu'il y avait à couvrir l'immense territoire qui leur avait été assigné, et également parce que l'itinéraire qu'ils avaient choisi pour effectuer leurs négociations était tout à fait à l'extérieur des régions d'où provenaient dorénavant les pétitions. De plus, les négociations entourant le traité no. 8 avaient pour but principal d'éteindre les titres autochtones sur les terres qui devaient, dans la foulée de la ruée vers l'or du Klondike, faire l'objet d'une exploitation éventuelle. Puisque les régions du Portage-La-Loche et de l'Ile-à-la-Crosse étaient situées dans le bassin hydrographique de la baie d'Hudson, et n'étaient donc pas touchées par la ruée vers Dawson et le Klondike suivant le cours de la rivière Mackenzie, les commissaires ne s'étaient pas sentis obligés d'augmenter leur tâche en y ajoutant les districts non cédés situés plus à l'est.

Ayant conclu en 1899 les ententes qu'ils avaient planifiées, les commissaires du traité no. 8 recommandèrent que les terres encore non cédées situées entre le territoire visé par leur traité et ceux visés par les traités no. 5 et 6 soient intégrées au territoire visé par le traité no. 8. Note de bas de page 21 Toutefois, comme pour toutes les autres questions relatives aux autochtones du nord de la Saskatchewan, cette suggestion fut ignorée, jusqu'à ce que la requête présentée en 1902 par les Métis ouvre une fois de plus de débat.

Ce nouvel impératif convainquit un certain nombre de fonctionnaires de la nécessite d'agir plus rapidement. Il fut au départ recommandé de résoudre la question en faisant ratifier le traité no. 8 par les autochtones de la région, ce qui aurait réglé le problème des terres et aurait permis la poursuite de l'extinction des titres des Métis.

On reconnut cependant que le gouvernement s'engageait dans un secteur dont il connaissait bien peu de choses. Le ministère des Affaires indiennes possédait peu d'information sur la population de la région ou les activités économiques de celle-ci, et hésitait à agir sans connaître clairement tant les conditions locales que les obligations financières qui découleraient pour le gouvernement fédéral de la négociation d'un traité. Le gouvernement fit une fois de plus appel aux missionnaires de la région, demandant à Mgr. Pascal, évêque catholique, d'évaluer sommairement le nombre de personnes non liées par traité. Son estimation, qui indiquait une population dans les territoires non cédés de quelque 2 000 Autochtones et de 250 Métis, se révéla inexacte, mais constituait au moins une base sur laquelle le gouvernement pouvait fonder ses plans. Note de bas de page 22

Les responsables du ministère des Affaires indiennes étaient loin de tous convenir que le temps était maintenant arrivé pour étendre dans le nord de la Saskatchewan les droits découlant d'un traité. David Laird, commissaire des Affaires indiennes pour le Manitoba et les Territoires du Nord-Ouest, exprima dans ce débat un avis fortement défavorable. Expliquant l'échec des commissaires du traité no. 8 à inclure la région du nord de la Saskatchewan, il déclara :

Il n'existait aucune nécessité particulière justifiant l'extension du traité dans cette région. Il ne s'agissait pas d'un territoire qui devait être traversé dans un avenir prochain par une voie de chemin de fer, et on n'y rencontrait pas des mineurs, des bûcherons, des pêcheurs ou d'autres blancs utilisant les ressources de son sol ou ses eaux. Dans un tel cas, j'estime qu'il est préférable de laisser les Indiens et les Métis assurer leur subsistance au moyen de la chasse et de la pêche. Les conditions qui prévalent dans la région n'ont pas changé, et je ne peux donc approuver aucune démarche immédiate visant à inclure ce territoire...dans les limites d'un traité. Le sujet peut fort bien, je pense, être ignoré pour l'instant; et lorsque la question de l'autonomie sera réglée dans les Territoires du Nord-Ouest, si l'on estime alors qu'une province, ou un territoire organisé jouissant d'une représentation, s'étend sur une vaste étendue de terre sur laquelle les titres aborigènes n'ont pas été éteints, alors dans un tel cas, ou suite à la mise en construction d'un chemin de fer, à la découverte de mines, ou à un autre fait susceptible de provoquer un afflux de bancs, on devrait procéder sans délai à la conclusion d'un traité. Note de bas de page 23

Le politique officielle semblait n'avoir que peu changé depuis les années 1870. Les sentiments des autochtones à l'égard d'un traité, qu'ils fussent positifs ou négatifs, n'avaient de toute évidence qu'une importance limitée. Ce qui importait plus, c'était de savoir si la région concernée, dans ce cas-ci le nord le la Saskatchewan, était d'une quelconque utilité pour les non-autochtones autres que les commerçants de fourrures et les missionnaires. Puisque les exploitants n'avaient pas encore découvert une utilisation particulière pour les terres situées au nord de la région couverte par le traité no. 6, le gouvernement ne se sentait pas obligé de prendre à sa charge toute dépense ou obligation indue concernant les affaires indiennes de cette région.

Le commentaire de Laird, qui résumait d'une manière pénétrante la politique fédérale traditionnelle du gouvernement fédéral à l'égard des districts non agricoles, laissait entendre qu'un traité serait conclu lorsque des considérations fédérales, et plus tard, provinciales, le justifieraient. Avec la séparation imminente d'une partie des Territoires du Nord-Ouest en vue de la création, en 1905, des nouvelles provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan, les affirmations voulant que de tels changements politiques poussent le gouvernement à agir relativement à la question des traités s'avérèrent prophétiques.

Instructions fournies aux commissaires : les clauses du traité

Peu de temps après la création officielle de l'Alberta et de la Saskatchewan, en 1905, les responsables fédéraux des Affaires indiennes soulevèrent une fois de plus la question du traité. H.A. Conroy, surintendant du traité no. 8, rapporta que les autochtones habitant à la frontière orientale de son district désiraient être liés par un traité. Afin de couvrir les autochtones non encore liés par traité, il suggéra d'étendre le territoire visé par le traité no. 8 (qui couvrait déjà une partie de la Saskatchewan) en tant que moyen le plus rapide et le plus approprié pour éteindre les titres autochtones et résoudre une question depuis longtemps préoccupante. Note de bas de page 24

David Laird exprima son désaccord à l'égard de la suggestion de Conroy, affirmant que des considérations pratiques limitaient l'utilité de l'adhésion projetée. Bien que les frontières provinciales étaient loin de constituer une considération mineure, Laird prétendit que les autochtones liés par le traité no. 8 et ceux habitant les terrres non cédées du nord de la Saskatchewan devaient être couverts par des traités distincts, et ce en vertu d'une justification essentiellement pratique. Le traité no. 8 couvrait des terres baignées par le bassin de la rivière Mackenzie, et donc facilement accessibles par la route d'Edmonton et du Grand Lac des Esclaves (les rivières de la Paix et Athabaska), qui s'était constituée dans la foulée de la ruées vers l'or du Klondike. Le communautés non liées par traité du nord de la Saskatchewan, vivant dans des localités comme l'Ile-à-la-Crosse et le Portage-La-Loche, n'étaient accessibles qu'à partir du sud, principalement par Prince Albert et le bassin hydrographique de la rivière Churchill. D'un point de vue administratif, la perspective de voir le nord de la Saskatchewan joint à la région visée par le traité no. 8 constituait un cauchemar potentiel. Une division fondée sur la proposition de Laird, c'est-à-dire distinguant le bassin hydrographique du sud de la rivière Mackenzie et la partie occidentale du bassin de la rivière Churchill, était avantageuse d'un point de vue pratique. Note de bas de page 25

Laird souleva un second point important concernant l'élaboration d'un traité pour le nord de la Saskatchewan. Un grand nombre de personnes de la région, notamment H.A. Conroy, qui devait devenir commissaire du traité, présumèrent au départ que les dispositions, sinon les termes exacts, du traité no. 8 s'appliqueraient aux autochtones non liés par traité de la région. Laird mit en doute le bien-fondé de cette présomption, de la même manière qu'il rejeta l'idée d'étendre au nord les dispositions du traité no. 6 (qui visait une région contiguë à celle étudiée). Ces deux traités, nota Laird :

concernent des Indiens s'adonnant tant à l'agriculture qu'à la chasse. Étant donné que les Indiens des vallées des rivières Churchill et Nelson se consacrent exclusivement à la chasse et à la pêche, je recommanderais de conclure un traité distinct ou original avec les Indiens du nord de la Saskatchewan, traité auquel pourraient adhérer à une date plus tardive les Indiens habitant la région située au nord de celle visée par le traité no. 5, du côté de la baie d'Hudson. Note de bas de page 26

Le nord du Manitoba demeurant alors un territoire non organisé, on pensait peu à ce moment à étendre à cette région les dispositions d'un traité. La situation géographique du nord dictait une entente administrative distincte; les perspectives limitées d'exploitation offertes par ces régions convainquirent un grand nombre de responsables gouvernementaux qu'on devait adopter pour celles-ci des dispositions différentes et moins généreuses.

L'établissement de la province de la Saskatchewan en 1905 avait de toute évidence fourni l'élan final à un processus depuis longtemps retardé. Les démarches des autochtones, qui s'étaient échelonnées sur plus de trente ans, avaient eu peu d'effets. L'octroi de l'autonomie aux provinces des Prairies, ainsi que la détermination du gouvernement fédéral d'officialiser ses responsabilités relatives aux questions autochtones, avaient finalement convaincu le ministère des Affaires indiennes d'agir avec plus de célérité. L'ironie était flagrante : à partir du tournant du siècle, deux questions, soit les droits des Métis à recevoir une indemnisation et la perspective de l'autonomie provinciale, avaient suscité un vif débat concernant un traité visant les autochtones du nord de la Saskatchewan. Les souhaits des autochtones, bien qu'exprimés clairement et d'une manière répétée, n'avaient de toute évidence qu'une importance marginale dans la détermination des priorités du gouvernement fédéral.

Il semblait toutefois qu'on en était finalement arrivé à la décision de conclure un traité visant le nord de la Saskatchewan. Bien que la détermination d'agir du gouvernement était maintenant bien évidente, les détails de la proposition de traité demeuraient nébuleux. Frank Pedley, surintendant général adjoint des Affaires indiennes, favorisait une proposition générale, bien que vague. Il suggéra, suivant le point de vue de Laird, la rédaction d'un nouveau traité couvrant la région située entre le traité no. 8 et le traité no. 9 (nord de l'Ontario). Les autochtones de la région touchée ne seraient pas tous priés de ratifier un traité. Plutôt, les autochtones des régions de l'Ile-à-la-Crosse et du Portage-la-Loche seraient immédiatement liés par traité, mais d'autres groupes ne seraient inclus que lorsque des considérations économiques ou politiques le justifieraient. De plus, Pedley suggéra que les termes du traité proposé soient formulés de manière à refléter la faible priorité que constituaient les districts nordiques au plan national. Pedley nota :

J'accorde toute l'attention requise à l'aspect économique de la question ainsi qu'à la politique visant à obtenir la cession de titres indiens, et j'estime que nous devrions prendre garde de n'imposer au Dominion aucun fardeau économique important en vue de l'achat des titres indiens dans ce pays. Nous pouvons avoir la certitude raisonnable qu'il ne s'agit pas d'un pays agricole, quelles que puissent être ses autres richesses, et que nous commettrions une erreur en versant pour ce dernier une compensation équivalent à celle que justifierait l'acquisition d'une région aux grandes possibilités agricoles. Note de bas de page 27

La philosophie de Pedley reflétait clairement celle de Laird. Le gouvernement croyait de toute évidence qu'il valait mieux laisser les autochtones des régions non agricoles du pays à leur état de chasseurs, de trappeurs et de pêcheurs. Puisqu'il était peu probable que les Canadiens d'origine européenne éprouvent le besoin ou le désir d'acquérir les terres de ces autochtones, la ratification d'un traité présentait peu d'utilité. Si des négociations officielles étaient nécessaires, comme elles semblaient l'être dans le cas des autochtones du nord de la Saskatchewan, l'objectif principal devait être de limiter les obligations financières du gouvernement et, en même temps, d'établir un mécanisme visant à assurer le bien-être des autochtones concernés. Les responsables du ministère des Affaires indiennes avaient exprimé très clairement leurs priorités. C'était maintenant aux politiciens, dans ce cas au ministre de l'Intérieur, Frank Oliver, de mettre au point les derniers détails.

Le 12 juillet 1906, Oliver présenta une proposition de traité au cabinet fédéral. Les termes du traité étaient les suivants : chaque famille formée de cinq personnes se voyait accorder un mille carré de terre, et chaque Indien vivant à l'extérieur de la réserve d'une bande se voyait accorder 160 acres, sous réserve toutefois du droit du gouvernement de vendre ou de louer des terres (avec le consentement des Indiens) et d'approprier à des fins publiques les terres des réserves en échange d'une indemnisation (en terre ou en argent). Les enfants devaient être scolarisés dans la mesure où le gouvernement l'estimait nécessaire. Les Indiens devaient conserver leur droit de chasser, de pêcher et de piéger dans la région visée par le traité, sauf sur les terres destinées à l'exploitation minière, au tronçonnage de bois ou à la colonisation, sous réserve de règlements gouvernementaux non encore définis. On devait procéder au versement d'indemnités - cinq dollars par personne, quinze dollars par dirigeant, et vingt-cinq dollars par chef. On devait remettre à tous les trois ans un habit à chaque chef et à chaque dirigeant. On devait également remettre chaque année des munitions et de la ficelle, et fournir une aide non précisée relativement à l'agriculture et l'élevage de bétail. On versa pour l'occasion à chaque personne douze dollars, à chaque dirigeant vingt-deux dollars et à chaque chef trente-deux dollars, et on remit aux chefs et aux dirigeants des médailles et des drapeaux. L'indemnisation des Métis devait s'effectuer selon les modalités établies, chaque personne admissible à recevoir une indemnité de 240 acres de terre pouvant recevoir à la place la somme de 240$. James A. J. McKenna fut nommé commissaire du traité et de l'indemnisation, et reçut l'ordre d'entreprendre cette année-là la négociation d'un traité. Note de bas de page 28 Le cabinet fédéral ratifia la proposition d'Oliver et ordonna à McKenna d'entreprendre des négociations officielles.

La commissaire du traité commença immédiatement les préparatifs de son voyage dans le nord. La somme de 12 000$ avait été mise de côté pour faire face au coût des négociations et pour effectuer les versements initiaux prévus dans un éventuel traité. La Gendarmerie Royale du Nord-Ouest assura à l'équipe chargée de négocier le traité une escorte formée d'un inspecteur et de deux constables. Un médecin, ainsi que deux commis et un cuisinier, furent détaches auprès de l'équipe. McKenna conclut une entente avec la Compagnie de la baie d'Hudson en vue d'assurer le transport et les vivres à l'intention de l'équipe, qui quitta Winnipeg au mois d'août 1906. Note de bas de page 29

Le traité que McKenna apporta avec lui dans le nord ne différait pas d'une manière significative de ceux qui avaient été offerts à d'autres autochtones de l'Ouest canadien, bien que les promesses d'équipement agricole étaient, comme on pouvait s'y attendre, plus modestes. Au lieu de dispositions précises concernant les instruments, le bétail, les machines et d'autres biens nécessaires à l'agriculture, le traité contenait une offre moins précise visant à offrir "l'aide jugée nécessaire ou opportune en vue d'aider les Indiens relativement à l'agriculture, à l'élevage du bétail ou à d'autres travaux." Les suggestions antérieures de Laird et de Pedley visant à offrir aux autochtones de nord des indemnités et des terres moins importantes, à cause du peu d'attrait de leur région, ne furent pas incluses dans le traité no. 10. Il restait maintenant à McKenna et au gouvernement fédéral à présenter leur traité aux autochtones cris et chipewyans du nord de la Saskatchewan et à assurer l'acceptation par ces derniers de ses dispositions. Ce processus s'avéra plus difficile d'un point de vue logistique que le commissaire du traité ou le ministère des Affaires indiennes ne l'avaient prévu. Note de bas de page 30

Négociation du traité

McKenna avait planifié pour la fin de l'été une expédition dans le nord de la Saskatchewan. Cette époque avait été déterminée en grande partie par le moment choisi par le gouvernement pour agir relativement au traité. Le commissaire se prépara à l'avance pour rencontrer les Indiens du Portage-La-Loche au début de septembre, mais le cours des événements empêcha la tenue de cette rencontre. À de l'Ile-à-la-Crosse, l'équipe chargée du traité rencontra des représentants des bandes de la Rivière-aux-Anglais et du Lac-Clair, et obtint rapidement leur acceptation des termes du traité. On dut reporter une tentative visant à rejoindre Stanley et le Portage-la-Loche parce que la belle saison tirait à sa fin et que l'équipe aurait alors peut-être dû rester dans la région jusqu'au début du gel hivernal - perspective qui décourageait apparemment McKenna. Ce dernier laissa à l'intention des bandes qu'il avait manquées des messages dans lesquels il leur déclarait qu'une autre équipe visiterait dans un proche avenir les régions du nord, et qu'ils seraient amplement avisés des détails de sa tournée.

L'équipe chargée du traité retourna à Winnipeg, après avoir obtenu l'adhésion de trois bandes (regroupant au total 394 personnes) au traité no. 10. Bien que l'expédition de la première année n'eût pas constitué un succès total, l'équipe de McKenna avait fait savoir clairement que le gouvernement fédéral était finalement prêt à offrir un traité aux autochtones du nord de la Saskatchewan. Note de bas de page 31

McKenna avait rencontré certaines résistances imprévues, et avait reçu certaines requêtes inhabituelles, durant ses discussions avec les trois bandes. De toute évidence habitué aux fameux discours solennels prononcés par les chefs des autochtones des Prairies à l'occasion de la signature de traités, McKenna nota que les Cris et les Chipewyans qu'il rencontra étaient beaucoup plus laconiques, ne lui posant qu'une série de questions pleines de sous-entendus au lieu de prononcer de longs discours relativement à leurs intentions et à leurs engagements.

Les autochtones étaient d'une manière caractéristique, préoccupés avant tout par les conséquences potentielles de la signature d'un traité sur leurs droits de chasse et de piégeage. McKenna tenta de dissiper toutes les préoccupations qu'ils pouvaient entretenir :

Je les assurai que le traité n'entraînerait aucune ingérence indue dans leur mode de vie. Je leur expliquai qu'ils étaient soumis à la loi, qu'un traité fût ratifié ou non, qu'ils étaient tenus d'y obéir et passibles de punition pour toute transgression de celle-ci. Je leur fis part, de plus, que la loi avait pour but de protéger tous les habitants du pays, sans égard pour leur couleur ou leur origine, et devait donc être respectée par tous, et qu'en les priant de s'y conformer, je ne faisais que leur demander ce qu'on exigeait de chacun des habitants du Dominion du Canada. J'insistai sur l'importance, pour eux, afin de sauvegarder leurs propres intérêts, d'observer les lois portant sur la protection du poisson et du gibier. Note de bas de page 32

La promesse de McKenna répondait directement à la préoccupation la plus répandue chez les autochtones : la protection de leur droit d'exploiter les ressources naturelles.

Les négociateurs autochtones s'interrogèrent également sur la nature générale d'un grand nombre des dispositions du traité. Dans la section relative à l'éducation, par exemple, on offrait uniquement de "prendre les mesures qui pourraient à un moment donné être jugées nécessaires à l'éducation des enfants indiens." Le chef de la bande de la Rivière-aux-Anglais demanda l'assurance précise que cette clause ne compromettrait pas le système existant d'écoles dirigées par des missions, tandis que son homologue de la bande du Lac-au-Canot chercha à savoir si le traité entraînerait l'ouverture dans un proche avenir d'un externat destiné aux enfants de sa région. De même, le traité signé en 1906 promettait de "fournir toute l'aide jugée nécessaire ou opportune en vue d'aider les Indiens relativement à l'agriculture ou à l'élevage de bétail." Plusieurs autochtones demandèrent donc à titre personnel des têtes de bétail et des instruments agricoles.

McKenna tenta de répondre aux préoccupations et aux demandes des autochtones tout en s'abstenant de faire des promesses précises. Il exposa de nouveau la politique officielle du gouvernement concernant l'éducation, notant que le ministère des Affaires indiennes avait étendu ses services scolaires aux endroits et aux moments où il lui était possible de le faire, et que les préférences religieuses des autochtones avaient toujours prises en considération lorsqu'il s'était agi de planifier un système scolaire. Il s'avéra plus difficile de traiter directement la question agricole, car, dans les discussions qui avaient mené aux négociations portant sur le traité, les responsables gouvernementaux avaient clairement fait part du faible potentiel agricole que possédait à leurs yeux le nord de la Saskatchewan. McKenna éluda la question de l'assistance agricole apportée aux autochtones visés par le traité no. 10 en laissant entendre qu'une telle assistance n'était offerte qu'aux personnel prêtes à travailler à plein temps dans l'agriculture ou l'élevage du bétail. Étant donné les conditions climatiques et l'état du marché, une telle disposition limitait efficacement le nombre de demandes d'assistance agricole susceptibles d'être reçues.

Les autochtones contestèrent également les termes généraux du traité, demandant un traitement plus généreux et un règlement financier plus favorable. Ils désiraient en particulier obtenir l'assurance que des vivres seraient fournis aux époques de disette et que les indigents vivant dans leurs communautés recevraient une aide spéciale du gouvernement. McKenna leur déclara qu'il n'était pas nécessaire d'apporter des modifications au traité en vue d'assurer l'aide en situations d'urgence, car le gouvernement était prêt à offrir à tous les autochtones, et spécialement aux personnel âgées, une protection contre la pauvreté extrême. Mais il prit soin de mentionner que la générosité du gouvernement avait des limites précises. Les bureaucrates redoutaient énormément qu'en fournissant facilement des secours ou une aide financière, ils permettraient aux bénéficiaires de vivre à leurs frais. McKenna assura les autochtones que le ministère des Affaires indiennes n'avait aucunement l'intention de venir en aide aux personnes capables d'assurer leur propre subsistance :

Je soulignai à leur intention que le gouvernement ne pouvait se permettre d'entretenir les Indiens dans l'oisiveté; qu'ils disposeraient après la signature du traité des mêmes moyens de subsistance qu'auparavant; et qu'on s'attendrait des Indiens à ce qu'ils y recourent dans l'avenir avec autant d'efficacité que dans le passé. Note de bas de page 33

De telles suggestions étaient cependant courantes, car les autochtones avaient coutume de contester de la même manière les traités précédents, tant pour clarifier les termes de l'accord qu'ils étaient sur le point de signer que pour s'assurer que ceux-ci étaient les plus avantageux possible.

Un point soulevé par William Apisis, chef de la bande de la Rivière-aux-Anglais, était moins prévisible. Apisis demanda, relativement aux indemnités, le versement d'arriérés à l'intention de tous les autochtones liés par traité, couvrant toute la période écoulée depuis la signature des premiers traités (remontant probablement au traité no. 10). Bien que les rapports de McKenna ne donnent aucun renseignement additionnel concernant cette demande hors de l'ordinaire, il est possible qu'elle se fondait sur les nombreuses tentatives des autochtones du nord de la Saskatchewan d'ouvrir des négociations relatives à un traité avec le gouvernement fédéral. De toute façon, McKenna assura le chef qu'une telle suggestion "n'avait jamais auparavant été entendue, et que je ne pouvais absolument pas reconnaître au gouvernement des obligations autres que celles qui découleraient de l'exécution du traité."

Les assurances du commissaire s'avérèrent de toute évidence suffisantes, car les deux bandes acceptèrent les termes du traité sans en débattre d'une manière prolongée. On convint que, durant les années suivantes, les autochtones se rassembleraient au mois de juin, époque la plus favorable compte tenu de leurs moyens de subsistance, à l'Île-à-la-Crosse en vue de recevoir leurs indemnités. La belle saison tirant à sa fin, les membres de l'équipe chargée de négocier le traité ne purent continuer leur travail, et ils s'acheminèrent vers le sud sans avoir pu rencontrer tous les autochtones que le nouvel accord devait viser. Cela signifiait qu'il serait nécessaire d'effectuer un autre voyage l'année suivante.

La tâche de terminer les négociations relatives au traité revint à Thomas Borthwick, agent indien de Mistawasis, en Saskatchewan. Il est évident, d'après les instructions données à Borthwick, que le gouvernement ne désirait pas le voir encourir des dépenses importantes ou passer une longue période de temps à voyager afin d'obtenir la ratifications du traité no. 10 de la part des autochtones qui ne l'avaient pas encore signé. Il reçut l'instruction d'être à l'Île-à-la-Crosse au mois de juin afin de verser les indemnités aux autochtones qui avaient accepté le traité l'année précédente. McKenna avait fait savoir que les autochtones qui désiraient ratifier le traité devraient se présenter devant le commissaire au moment du versement des indemnités. Borthwick devait rencontrer les autochtones de Stanley et de Reindeer Lake. Autrement :

Nous espérons que les Indiens du Lac-la-Plonge seront bien représentés à l'occasion de cette rencontre (pour le versement des indemnités). Nous n'estimons pas souhaitable que vous vous rendiez au Lac-la-Plonge, à moins que cette bande soit très mal représentée à l'Île-à-la-Crosse. Comme il est extrêmement utile à l'agent chargé du versement des indemnités de ne pas avoir à se rendre au Lac-la-Plonge, vous pourriez faire savoir que les Indiens de cette bande doivent se présenter eux-mêmes à l'Île-à-la-Crosse. Note de bas de page 34

Le Secrétaire du ministère des Affaires indiennes avertit également Borthwick de s'en tenir d'une manière très stricte aux termes écrits du traité : "La copie du traité...définit les offres que vous êtes autorisé à faire aux Indiens. Vous ne devez rien ajouter ou retrancher à celles-ci, et vous devez prendre soin de ne faire aucune promesse verbale susceptible de modifier ou d'accroître la portée des termes du traité." Note de bas de page 35

Borthwick découvrit bientôt, comme McKenna avant lui, les difficultés logistiques que comportait un voyage dans cette région. Comme il avait été déjà planifié, il se rendit à l'Île-à-la-Crosseafin de rencontrer les autochtones liés par traité. Il leur versa des indemnités et accepta de faire ratifier le traité par plusieurs familles additionnelles qui étaient absentes durant les négociations de l'année précédente. Note de bas de page 36 La majorité de ceux qui n'avaient pas encore ratifié le traité ne s'étaient pas rendus cependant, et l'équipe de Borthwick dut continue son périple. Celle-ci fut toutefois obligée de s'écarter de son itinéraire plusieurs fois, faisant un détour par le Portage-la-Loche pour recevoir les demandes d'indemnisation des Métis et arrêtant plusieurs jours à Stanley afin de verser à un certain nombre d'autochtones les indemnités prévues dans le traité no. 6. Borthwick avait cependant fait part à un certain nombre d'autochtones non liés par traité qu'il arriverait sous peu au Lac-au-Brochet, où il escomptait obtenir leur ratification du traité no. 10. Les délais répétés, ainsi que les difficultés éprouvées durant le voyage lui-même, retardèrent son arrivée, ce qui fut cause d'une grande détresse chez les autochtones.

Les autochtones étaient arrivés au Lac-au-Brochet à la date prévue, environ dix jours avant que l'équipe de Borthwick eût terminé son périple. Ce retard causa de nombreux problèmes, surtout parce que les autochtones avaient, comme il leur avait été ordonné, rassemblé leurs familles à l'emplacement du traité. Lorsque Borthwick arriva, les autochtones manquaient désespérément de vivres, comptant sur le travail effectué pour les postes de traite des fourrures de la Compagnie de la baie d'Hudson et de Revillon et frères pour payer la nourriture qui leur faisait cruellement défaut. Borthwick leur fournit des vivres additionnels en vue de permettre aux groupes présents de rester assez longtemps pour terminer les négociations.

Deux bandes, soit celles de la Terre-Stérile et du Lac-la-Hache, s'étaient rassemblées au Lac-au-Brochet. Le 19 août 1907, les termes du traité leur furent expliqués, ce qui donna lieu aux habituelles questions, réponses et clarifications. La bande de la Terre-Stérile procéda à l'élection d'un chef et de dirigeants en mesure de les représenter à la cérémonie officielle de signature du traité. Une fois l'accord conclu, Borthwick pouvait verser les indemnités prévues dans le traité. Durant les deux jours suivants, 232 personnes reçurent donc de ses mains pour l'occasion la somme de douze dollars. Les sommes allouées au chef Petit Casimir et aux deux dirigeants furent augmentées spécialement à trente-deux et vingt-deux dollars respectivement.

Les négociations engagées avec la bande du Lac-la-Hache, (connu également sous le nom de Hatchet Lake) se déroulèrent plus lentement, principalement parce que plusieurs des membres de la bande étaient absents du camp. La bande se rassemble à nouveau le 22 août, les termes du traité furent expliqués une fois de plus, et, l'après-midi même, Thomas Benaouni, chef de la bande, accepta officiellement de ratifier le traité. Borthwick effectua alors les versements prévus dans celui-ci à l'intention des 97 membres de la bande. Certaines tâches restaient à faire, surtout en rapport avec les demandes d'indemnisation des Métis, mais Borthwick avait terminé la partie de sa mission consistant à mener les négociations relatives au traité. Durant son voyage de retour, il versa des indemnités à diverses bandes ayant ratifié le traité no. 6, et organisa le transfert d'une réserve à l'intention d'une autre bande ayant ratifié ce même traité. La ratification du Lac-au-Brochet représenta cependant la dernière négociation officielle entourant le traité no. 10. Note de bas de page 37

Borthwick avait découvert, tout comme McKenna, que les autochtones désiraient, avant de signer un traité que l'on ait d'abord répondu aux questions qui les préoccupaient. Celles-ci, semblables à celles qui avaient été communiquées au commissaire de l'année précédente, manifestaient la prudence plutôt que la réticence, car la tradition des traités, établis depuis longtemps dans l'Ouest, avait rendu les autochtones très conscients de l'objectif et de la substance des négociations. De plus, Borthwick fut confronté à plusieurs constatations provenant d'autochtones ayant signé le traité l'année précédente.

William Apisis, chef de la bande de la Rivière-aux-Anglais, demanda au gouvernement d'honorer la promesse qu'il avait faite de fournir une aide médicale. Le commissaire répondit qu'il était impossible au gouvernement pour un certain temps d'inciter un médecin à résider parmi eux, puisque ce dernier ne pourrait pas recevoir d'honoraires. Cependant, lorsque des colons blancs viendraient s'installer plus près de leur région, ils pourraient alors avoir recours aux services d'un médecin demeurant à une distance raisonnable.

La liste des demandes et des questions présentées par le chef et les dirigeants de la bande de la Rivière-au-Canot était encore plus longue. Ils exprimèrent à nouveau leur désir de voir une école s'ouvrir à leur intention, demandèrent que l'on mette de côté pour eux des terres de réserve, et qu'on leur donne des vivres et des fournitures. Ils demandèrent en particulier que "leur bande soit payée l'année prochaine au Lac-au-Canot, car il leur fallait parcourir une grande distance pour venir jusqu'à l'Île-à-la-Crosse." Pour appuyer cette dernière demande, ils soulignèrent qu'il leur fallait, pour un tel voyage, s'absenter de leurs domiciles pour un temps considérable, et que, durant une telle absence, ils essuyaient des pertes économiques à cause des bestiaux qui pénétraient dans leurs jardins et détruisaient leur récoltes. Note de bas de page 38 Borthwick, qui n'était autorisé à prendre aucun engagement dépassant les termes du traité, ne put que leur promettre de faire part de leurs demandes au gouvernement fédéral.

La situation était différente pour les autochtones qui n'avaient pas encore ratifié le traité. Petit Casimir, le chef des Indiens du Lac-au-Brochet, s'interrogea, comme il était maintenant habituel dans un tel cas, sur les conséquences du traité relativement à leurs droits de chasse et de piégeage, et demanda si le traité pouvait ou non être amendé durant les années subséquentes si on le jugeait insatisfaisant. Borthwick répéta ses réponses coutumières, offrant la protection du gouvernement à l'égard des droits d'exploitation des ressources naturelles, la protection des malades et des vieillards, des soins médicaux au moment du versement des indemnités, et une prompte adhésion du gouvernement fédéral aux termes du traité. Il avertit les autochtones de ne pas considérer les paiements prévus dans le traité comme leur seule source de revenu :

Le Commissaire leur explique que l'argent qu'ils recevaient du gouvernement était un cadeau, et qu'il ne s'attendait pas à les voir en dépendre pour leur subsistance. En effet, ils ne se voyaient privés d'aucun des moyens de subsistance dont ils avaient eu l'habitude de dépendre jusqu'alors. Il ajouta qu'ils avaient le privilège de chasser et de pêcher comme avant, et qu'avec les sommes reçues et certains autres articles utiles que le gouvernement se proposait de leur offrir chaque année, ils pourraient s'assurer une vie meilleure qu'à l'heure actuelle. Note de bas de page 39

Ces assurances étaient vagues, comme il convenait, conformes une fois de plus aux instructions données au commissaire et précisant qu'il ne devait pas dépasser les termes de l'entente. Cependant, elles réussirent apparemment à satisfaire les autochtones : dans chaque cas, ces derniers acceptèrent soit le traité, soit le premier versement de leurs indemnités, après que Borthwick eut répondu à leurs questions.

Revendications des Métis

Les commissaires McKenna et Borthwick étaient investis de deux responsabilités importantes : la négociation du traité no. 10 et l'enregistrement des demandes d'indemnisation des Métis. Le gouvernement du Canada était très désireux d'éteindre simultanément tous les titres autochtones encore valides dans la région, et ordonna donc aux deux hommes de visiter les communautés de Métis du nord de la Saskatchewan. Le lien établi entre les deux démarches n'était pas nouveau dans l'Ouest canadien.

Durant les négociations qui mirent fin à l'insurrection de la rivière Rouge de 1869-1870, Louis Riel et son gouvernement provisoire avaient insisté pour que le gouvernement fédéral respecte les titres fonciers des Métis du Manitoba. L'Acte du Manitoba, 1870, qui donna une forme officielle aux accords, garantissait aux Métis 1,4 million acres de terres dans la nouvelle province du Manitoba. Les promesses et les règlements fonciers s'évanouirent bientôt.

À cause de fourberies consistant en des amendements formels des lois applicables, une révision ministérielle de l'objectif de l'accord original, et la négligence du gouvernement, les Métis se virent rapidement dépouillés de leurs droits fonciers originaux. Après avoir initialement prévu attribuer des propriétés particulières aux personnes de sang mêlé, en se basant en grande partie sur le droit de possession antérieur, le gouvernement fédéral modifia son approche. Au lieu de transferts de terres mutuellement acceptables, le gouvernement offrit aux Métis des concessions de terres, en fait un billet à ordre échangeable contre 240 acres de terres du Dominion. On prétendit que ce nouveau système assurerait une plus grande flexibilité, en permettant aux Métis de choisir des propriétés le long de la rivière Rouge ou en tout autre endroit de l'ouest du pays. Un tel système était également conçu pour favoriser les abus.

Les Métis, dont la plupart étaient illettrés, ne comprirent pas pleinement les méthodes adoptées pour les enregistrements et les demandes. Un certain nombre d'escrocs, aidés à l'occasion par des responsables gouvernementaux, prirent avantage de leur incompréhension et organisèrent l'attribution à eux-mêmes de droits fonciers possédés par des Métis. Une fois ce processus terminé, les Métis se trouvèrent tout simplement dépouillés de la plus grande partie de leurs droits fonciers originaux. Il n'est donc pas surprenant qu'un grand nombre de Métis furent convaincus par la manière dont étaient gérés les transferts de terres et les paiements d'indemnités qu'ils n'avaient plus leur place au Manitoba, et qu'ils s'exilèrent en masse dans les régions situées à l'ouest et au sud. Note de bas de page 40

On eut recours à la même démarche au lendemain de la Rébellion de 1885, bien que le gouvernement prît grand soin de s'assurer qu'aucune personne ne profiterait deux fois des largesses de l'État. Il confronta pour ce faire les demandes postérieures à 1885 aux noms figurant sur les listes d'indemnisation du Manitoba. Toute personne ayant auparavant reçu une indemnité, ou dont les parents avaient reçu une indemnité, n'était pas admissible à recevoir le nouvel octroi. Dans la perspective du gouvernement, un tel processus d'indemnisation constituait une façon relativement rentable de régler la question épineuse des droits fonciers des Métis. Le fait qu'une grande partie des terres concédées fut rapidement vendue à des spéculateurs ne semble que confirmer aux responsables gouvernementaux leur impression initiale, à savoir que les Métis, n'étaient pas faits pour vivre dans une région frontalière agricole.

Lorsque le gouvernement fédéral décida d'étendre la couverture des traités dans le nord des provinces des Prairies, il semblait tout à fait logique de répéter là aussi la méthode d'indemnisation adoptée précédemment. Dans un grand nombre de régions, les Métis demandèrent à plusieurs reprises une indemnisation, comme ce fut le cas dans le nord de la Saskatchewan en 1902, lorsqu'un grand nombre de Métis envoyèrent une pétition à Ottawa afin que soient étendues immédiatement les dispositions relatives à l'indemnisation. Les accords conclus pour le traité no. 8, signé en 1899, reflétait cette approche.

Craignait que les Métis utilisent leur influence considérable auprès des Indiens du sud de la région du Mackenzie pour ralentir les discussions relatives à un traité, le ministère des Affaires indiennes estima qu'un règlement semblable à ceux conclus auparavant dans l'Ouest était essentiel. Ainsi, on accorda aux Métis le choix d'accepter soit un billet à ordre échangeable contre 240 acres, soit une indemnité financière équivalent à 240$. Toute la démarche traînait avec elle un parfum d'opportunisme politique. Clifford Sifton, ministre responsable du ministère des Affaires indiennes, nota à la Chambre des communes que "le gouvernement n'avait pas d'abord en vue l'avantage économique des Métis lorsqu'il a conclu cet accord." Note de bas de page 41 Le but poursuivi était simplement d'organiser à un coût minimal le transfert pacifique des terres visées par le traité no. 8.

Le gouvernement fédéral décida, en 1906, de conclure une entente similaire avec les Métis couverts par le traité no. 10, en partie parce qu'ils avaient demandé un tel traitement, mais surtout parce qu'une telle mesure répondait aux priorités nationales. Lorsque McKenna voyagea à travers le nord de la Saskatchewan en 1906, il passa certainement autant de temps à enregistrer les demandes d'indemnisation qu'à négocier le traité avec les Indiens. De même, Borthwick enregistra de nombreuses demandes d'indemnisation provenant des Métis qui n'avaient pu rencontrer le commissaire du traité l'année précédente. Aucune indemnité ne fut en fait accordée à ce moment, car les demandes devaient être confrontées aux listes compilées par les commissaires précédents de l'indemnisation afin de s'assurer qu'aucune personne ne serait payée deux fois. Note de bas de page 42

Le gouvernement maintint sa politique, adoptée précédemment pour les Métis couverts par les traités no. 8 et 9, consistant à permettre à chaque personne de décider pour elle-même si elle désirait être traitée comme un Métis, et donc être admissible à un octroi accordé en une seule occasion, ou comme un Indien lié par traité, et donc être couverte d'une manière permanente par les termes d'un traité. Le gouvernement demandait essentiellement aux autochtones de faire part officiellement de leur ethnie. Cela se fit sans grande difficulté dans les régions qui comptaient des communautés bien définies de Métis, particulièrement celles qui se réclamaient de la tradition de la rivière Rouge et de la Saskatchewan. Le problème était plus grave dans des régions telles que le nord de la Saskatchewan, où des mariages fréquents entre Métiss et Indiens avaient estompé les différences culturelles et sociales. McKenna lui-même nota le caractère éminemment artificiel d'une telle distinction après son voyage de 1906 :

Les Indiens à qui j'ai eu affaire sont, par leur caractère, leurs habitudes, leurs manières, leur habillement et leur mode de vie semblables aux Chipewyans et aux Cris de la région de l'Athabasca. Il est difficile d'établir une ligne de démarcation entre ceux qui se sont définis eux-mêmes comme Indiens et ceux qui ont choisi d'être considérés comme des Métis. Les deux groupes s'habillent de la même façon et suivent le même mode de vie. J'ai été frappé par le fait que l'un des deux groupes était, dans l'ensemble, tout aussi capable d'assurer sa propre subsistance que l'autre. Note de bas de page 43

La distinction semblait à l'époque peu importante, car il subsistait bien peu de différences entre ceux qui acceptaient de ratifier un traité et ceux qui décidaient de recevoir une indemnité. La démarche suivie avait cependant introduit un nouvel élément dans la situation sociale et culturelle de la région. Comme l'a démontré une étude récente portant sur la même démarche suivie dans la région de la rivière Mackenzie, la distinction juridique établie entre les Métis et les Indiens prit une importance accrue à mesure que le temps passait. Les services gouvernementaux et les droits juridiques offerts aux Indiens étaient souvent refusés à ceux qui, pour des raisons financières plutôt qu'ethniques, avaient choisi d'être considérés comme des Métis. Note de bas de page 44 Ainsi, la décision qui devait être prise en vertu des modalités établies pour les traités et les indemnisations entraînait de toute évidence des conséquences importantes à long terme, bien que celles-ci ne fussent pas manifestes au moment de la prise de décision.

Le gouvernement insistait également particulièrement sur la reconnaissance par les autochtones du caractère irrévocable de leur décision. Il était inacceptable d'un point de vue administratif de permettre aux personnes concernées de changer d'idée, d'accepter le traité une année, et de demander une indemnité l'année suivante. Borthwick reçut comme instruction :

de ne pas permettre aux Indiens qui avaient ratifié le traité l'année dernière de s'affranchir de ce dernier et d'accepter une indemnité à titre de Métis. Vous devez également faire comprendre à toutes les personnes qui peuvent avoir droit à recevoir une indemnité à titre de Métis mais qui choisissent d'être payés à titre d'Indiens, qu'ils font un choix définitif, et qu'à l'avenir, le Ministère ne sera pas enclin à reconsidérer leurs cas. Note de bas de page 45

Il est évident que le gouvernement considérait les modalités de ratification d'un traité et d'indemnisation comme une occasion de clarifier ses obligations juridiques à l'égard des peuples aborigènes du nord de la Saskatchewan, et qu'il ne souhaitait pas voir ses relations futures avec les gens de cette région brouillées par des tentatives visant à modifier des décisions initiales.

Borthwick éprouva plusieurs difficultés dans ses tentatives visant à assurer une attribution appropriée des indemnités. Des rapports relatifs aux négociations de l'année précédente portant sur le traité et les indemnisations indiquaient qu'un groupe de spéculateurs avaient accompagné dans le nord l'équipe chargée de négocier le traité. Le père Rapet, de l'Île-à-la-Crosse, protesta contre cette pratique, surtout parce que les spéculateurs offraient beaucoup moins pour les titres fonciers des Métis que ce qu'ils valaient réellement. Rapet prétendit que les Métis ne reçurent que 300$ en argent comptant et la promesse de recevoir dans l'avenir 140$ pour des concessions de terres qui se vendirent plus tard à Prince Albert pour 1400$. De plus :

certains des acheteurs avaient l'intention de former un syndicat afin de maintenir les prix à un bas niveau et de se diviser entre eux les concessions de terres achetées, comme cela avait été fait l'année précédente. Il ne fait aucun doute que Bernard (l'un des spéculateurs) s'est tenu à l'écart d'une telle entente et offre des prix plus élevés, ce qui aura pour effet de réduire la disparité dont se plaignait le révérend père. Les acheteurs qui se font concurrence ne sont pas hommes à être terrorisés, bien qu'ils puissent être très contrariés par la réduction de leurs profits engendrée par la conduite de Bernard. Note de bas de page 46

La présence des spéculateurs déplaisait à Borthwick, et ce dernier demanda au gouvernement la permission d'exclure de l'expédition vers le nord les acheteurs de concessions. Note de bas de page 47 Comme on pouvait s'y attendre, le compte rendu officiel du travail effectué par l'équipe chargée de négocier le traité ne mentionne pas du tout les activités des spéculateurs, bien qu'il soit clair, à la lecture de nombreuses pièces de correspondance, que le gouvernement ne les a pas empêchés d'accompagner Borthwick et son groupe vers le nord, et qu'il était peut-être dans l'impossibilité de le faire.

Il est clair en fait que le gouvernement en était venu à s'attendre à de telles activités durant l'attribution des indemnités, et qu'il savait bien à l'avance qu'un grand nombre de Métis vendraient leurs titres fonciers plutôt que d'utiliser leur indemnité pour choisir une propriété. En 1907, tout au moins, contrairement à ce qui s'était passé l'année précédente, lorsqu'une association de spéculateurs réussit à maintenir les prix à un seuil minimal, la présence de Bernard assura aux Métis des recettes plus raisonnables pour la vente de leurs titres. Cela entraîna l'attribution à des spéculateurs fonciers du sud de la plus grande partie des indemnités accordées en 1906-1907. Les Métis ne gardèrent dans les faits qu'une fraction des allocations de 240$ qui leur étaient destinées. Cette situation n'est pas sans rappeler celle qui suivit l'octroi de droits aux Métis du Manitoba, ou l'enregistrement des demandes d'indemnités effectué conjointement avec la ratification des divers traités visant les Prairies. Les droits aborigènes des Métis étaient maintenant éteints, et les profits que ces derniers en retirèrent s'avérèrent de courte durée, et d'une valeur bien inférieure aux montants en dollars des transactions.

Conclusion

Plusieurs points se dégagent clairement des négociations et de l'expérience initiale du traité no. 10. Cet accord constituait le troisième des traités visant les régions nordiques qui répondaient à des préoccupations fort différentes de celles qui prévalaient au moment de la signature des traités mieux connus visant les plaines du sud. Ce traité avec un but particulier, assez différent de ceux des ententes précédentes. Il s'agissait avant tout d'un traité négocié en vertu d'un programme fixé par le gouvernement. Pas assez nombreux pour constituer une menace pour la colonisation blanche, et habitant une région jugée peu importante dans l'immédiat pour le développement de l'Ouest canadien, les autochtones de la région visée par le traité no. 10 découvrirent que leurs tentatives pour engager des discussions relatives à un traité étaient régulièrement ignorées. Rien ne serait fait avant que la région, pour des raisons politiques ou économiques, revête une certaine importance aux yeux du gouvernement fédéral ou des entrepreneurs du sud.

L'octroi du statut de province à la Saskatchewan en 1905 constitua à cet égard le point tournant. Cette entente encouragea finalement le gouvernement fédéral à aborder la question des privilèges inhérents à un traité visant la partie nordique et non cédée de la province. Une fois convaincu de la nécessité d'agir, le gouvernement démontra qu'il pouvait procéder rapidement. Encore une fois, sans égard pour les préoccupations particulières des autochtones, il fut décidé qu'un traité devait être signé. Le processus de négociation en tant que tel se déroula sans grande difficulté, les autochtones se voyant simplement offrir un document final qu'ils n'avaient aucune possibilité de modifier. Les autochtones acceptèrent l'entente, en grande partie parce qu'ils avaient constaté les divers avantages d'un traité pour divers groupes autochtones du Nord, et parce qu'ils en voyaient pas quel profit ils pourraient retirer du rejet de l'accord. Les préoccupations particulières des diverses bandes furent entendues, et bien qu'ils ne promissent d'aucune façon de répondre immédiatement à ces préoccupations, les commissaires du traité assurèrent les autochtones que leurs demandes seraient transmises au gouvernement.

Les motifs du gouvernement pour accorder un traité étaient donc assez contradictoires. Deux considérations semblaient dominer dans la pensée des responsables fédéraux. Lier par traité les autochtones du nord de la Saskatchewan ouvrait la voie à l'exploitation et à la colonisation éventuelles de la région. Bien qu'en 1906 il semblât improbable qu'on puisse utiliser dans l'immédiat les terres visées par le traité no. 10, le gouvernement avait au moins enlevé un obstacle potentiel à l'avance des non-autochtones dans la région. Il fallait maintenant voir si des colons, ou plus probablement des exploitants, profiteraient des occasions ainsi offertes.

Le délai important qui précéda l'ouverture de négociations avec les autochtones habitant la région visée par le traité no. 10, illustrait également l'essence même de la politique fédérale à l'égard des autochtones du Nord. Du nord de l'Ontario jusqu'au Territoire du Yukon, cette politique était partout assez semblable. Les chasseurs et les trappeurs étaient, semble-t-il, destinés à maintenir leur mode de vie, au moins pour un avenir prévisible. Le fait d'arbitrer des milliers d'autochtones à titre d'exploiteurs des ressources naturelles aux fins de subsistance ne s'accordait pas, bien entendu, avec les objectifs politiques déclarés visant à l'assimilation et à la "civilisation" des peuples aborigènes du Canada. C'était cependant plein de bon sens d'un point de vue économique et politique. Le ministère des Affaires indiennes n'avait pas l'argent, le personnel et la volonté politique pour entreprendre la restructuration du mode de vie autochtone dans les régions non agricoles du pays. Dans celles-ci, il semblait plus approprié de laisser les autochtones à leur état d'exploiteurs des ressources naturelles, protégeant leur accès au gibier et défendant leur mode de vie jusqu'à ce que des options économiques et culturelles différentes surgissent. Dans la plus grande partie des régions nordiques, de telles options ne se présentèrent qu'après la Deuxième Guerre mondiale.

Le gouvernement fédéral n'agit donc que très lentement pour étendre ses obligations aux autochtones couverts par le traité no. 10. Il répondait aux demandes les plus essentielles : il offrait une aide durant les périodes de grande disette, un appui financier aux écoles dirigées par les missions, une aide médicale lorsque la maladie frappait, et il consentait des efforts pour protéger les droits spéciaux de chasse et de piégeage des autochtones, sous réserve du respect des règlements de conservation.

Il est peut-être plus intéressant de s'attarder sur ce que le gouvernement ne faisait pas. Bien que des réserves fussent attribuées, le plus souvent à la requête des autochtones et en des lieux choisis par eux, le gouvernement ne fit pas respecter les accords portant sur les réserves, permettant aux autochtones de continuer leur mode de vie nomade, et encourageant même ces derniers à le faire. Dans les plaines du sud où, en 1900, les réserves autochtones étaient généralement entourées d'établissements agricoles, le gouvernement chercha à restructurer d'une manière plus globale les habitudes et le mode de vie des autochtones. Dans un tel cadre, des politiques plus rigoureuses, une formation agricole, la scolarisation et des règlements appliqués scrupuleusement relativement aux activités menées hors des réserves, pesaient d'un poids significatif sur la vie des autochtones. Dans le nord de la Saskatchewan, les autochtones visés par le traité no. 10 souffraient peu de telles contraintes, et étaient plutôt encouragés à continuer leurs activités de chasse et de cueillette. Bien entendu, cette situation allait être complètement bouleversée après la Deuxième Guerre mondiale.

Le développement de l'État-providence canadien et un engagement visant à solutionner ce qu'on appelait avec mépris le "problème indien"convainquirent le ministère des Affaires indiennes qu'il devait réviser sa politique de négligence relative à l'égard des autochtones du Nord - politique qui visait plus à protéger ces derniers qu'à les assimiler. En peu de temps, on mit en oeuvre une avalanche de nouveaux programmes, couvrant l'éducation, la santé, la création d'emplois, le logement et les réserves. Il est significatif de constater que cette nouvelle étape de l'intervention fédérale n'était pas liée au processus des traités, car elle concernait en fait presque tous les autochtones du Canada, mais fut plutôt le produit d'un engagement général dans l'après-guerre visant à combattre les inégalités économiques et culturelles de la société canadienne.

Le traité no. 10 fut donc le produit d'une situation très différente de celle qui entoura les négociations relatives aux terres des plaines du sud. Conséquenment, les relations qui s'établirent suite à la ratification de ce traité entre les autochtones et le gouvernement fédéral suivirent une voie assez différente. Le traité lui-même trouvait son origine dans le processus distinct entourant la ratification des traités visant les régions nordiques. À partir du tournant du siècle, et durant environ vingt-cinq ans par la suite, le gouvernement fédéral signa une série de traités avec les autochtones des régions non-agricoles du pays (les traités portant les numéros huit à onze, ainsi que des adhésions au traité no. 5). Ce processus, conçu pour ouvrir des secteurs susceptibles d'être exploités économiquement ainsi que pour prévenir la possibilité de perturbations engendrées par des revendications foncières aborigènes, fut déterminé presque entièrement par des priorités fédérales ou non autochtones. Comme le démontre l'expérience du traité no. 10, les autochtones demandaient souvent d'être couverts par un traité longtemps avant qu'une telle offre ne leur fût consenti, et essuyaient alors un refus parce que le gouvernement fédéral ne voyait aucun besoin immédiat d'utiliser leurs terres. Une fois l'utilité de celles-ci manifeste, le gouvernement fédéral, soit pour des raisons politiques, comme ce fut le cas pour le traité no. 10, soit pour des raisons économiques, organisait à la hâte la ratification d'un traité.

Toutefois, même les faits suivant la ratification des traités visant les régions nordiques s'avérèrent notablement différents de ceux qui suivirent la ratification des traités visant les plaines du sud. Dans les districts nordiques, le gouvernement voyait peu de justifications pour s'engager dans la démarche coûteuse visant à modifier le mode de vie autochtone reposant sur l'exploitation des ressources naturelles.

Le ministère des Affaires indiennes était convaincu que peu d'options s'offraient à ces autochtones à part la chasse et le piégeage, et il chercha donc avant tout à protéger ces activités. Contrairement aux plaines du sud, donc, où la ratification des traités signifiait l'introduction rapide, sinon immédiate, de changements important dans les activités économiques et les habitudes de nomadisme, les districts nordiques demeurèrent en grande partie non touchés, au moins à moyen terme, par les effets d'acculturation que pouvait engendrer le processus de ratification des traités. En ce qui a trait au traité no. 10, comme aux autres traités visant les régions nordiques, les priorités fédérales découlant des plans non autochtones conçus dans le sud relativement aux districts du Nord dictèrent tant le moment de leur ratification que l'engagement du ministère des Affaires indiennes de dépasser le strict règlement foncier pour entreprendre la restructuration du mode de vie autochtone.

Bibliographie

Sources principales

La plupart des documents sur lesquels se fonde la présente monographie proviennent des dossiers du ministère des Affaires indiennes, regroupés dans le fonds officiel no. 10 des Archives nationales du Canada. On peut également les obtenir sur microfilm auprès de la bibliothèque des Affaires indiennes et du Nord Canada. La list de ce dossiers figure ci-dessous :

ANC, RG 10, vol. 3573, dossier 269

ANC, RG 10, vol. 3692, dossier 13 979

ANC, RG 10, vol. 3771, dossier 34 6600-2

ANC, RG 10, vol. 4006, dossier 241 209-1

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