Rapport de recherches sur les traités - Traité no. 4 (1874)

par John Leonard Taylor, Le Centre de la recherche historique et de l'étude des traités, Affaires indiennes et du Nord Canada

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Les opinions présentés par l'auteur de ce rapport ne sont pas forcement ceux du Ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada.

Table des matières

Contexte historique

En 1870, la partie ouest de l'Amérique du Nord sous la domination britannique, située entre la partie supérieure des Grands lacs et les montagnes Rocheuses, est passée sous le régime du Dominion du Canada (confédération canadienne nouvellement formée), sortant ainsi du régime aux contours flous de la Compagnie de la baie d'Hudson. La région située dans le voisinage de Winnipeg est devenue la province du Manitoba avec gouvernement provincial sous la direction d'un lieutenant-gouverneur.Note de bas de page 1 La plus grande partie de ce qui restait des terres de la Compagnie de la baie d'Hudson est devenue les Territoires du Nord-Ouest. Jusqu'en 1876, le lieutenant-gouverneur du Manitoba était également le lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest. Pour l'épauler, il disposait d'un conseil territorial réduit nommé par le gouvernement fédéral à Ottawa.

Peu après l'avènement du nouveau régime dans le Nord-Ouest, le gouvernement du Canada a commencé à négocier des traités avec les Indiens vivant dans la région. Entre 1871 et 1877, les sept premiers traités numérotés ont été conclus plus rapidement que le gouvernement en l'aurait voulu, suite aux pressions exercées par les Indiens. Ceux-ci avaient effectivement fait des démarches auprès des représentants du gouvernement canadien concernant la conclusion de traités, dès l'arrivée sur place des représentants. Lorsque des traités étaient faits au Manitoba, les Indiens vivant plus à l'ouest demandaient quand on allait conclure de tels traités avec eux. Ces pressions se sont poursuivies jusqu' à ce que les sept traités numérotés soient conclus en 1877.

Les Indiens avaient entendu dire que leurs terres avaient été "vendues" au Canada par la compagnie de la baie d'Hudson; ils étaient déconcertés et perturbés par les répercussions possibles de cette transaction. Ils s'attendaient à ce que commence la colonisation et entrevoyaient les changements qui allaient en découler. Cependant, certains changements menaçaient leur mode de vie à plus court terme. Des facteurs liés au développement plus au sud, aux états-Unis, et à la nature du commerce des fourrures avaient conduit à une diminution du nombre de bisons et d'autres animaux dont les Indiens des Prairies dépendaient pour leur subsistance. Bien des Métis du Manitoba avaient émigré plus à l'ouest, sur les traces des bisons qui reculaient, afin d'échapper au début de la colonisation. Ils vivaient dans la région de la rivière Saskatchewan où ils aggravaient la situation créée par la baisse des ressources. Avant que le gouvernement canadien n'adopte des mesures susceptibles d'envenimer leur situation déjà précaire, les Indiens voulaient qu'une entente soit conclue assurant la protection de leurs intérêts. Ils avaient entendu parler des traités conclus ailleurs et ils ont fait de ces traités le but de leurs efforts et l'instrument qui devait apporter une solution à leur problème.

Pour sa part, le gouvernement canadien a fait des traités avec les Indiens parce qu'il appréhendait la possibilité de guerres avec eux et parce qu'il craignait les effets néfastes d'une telle éventualité sur la colonisation et le développement du Nord-Ouest. Les traités semblaient l'expédient tout trouvé, car ils étaient devenus une composante majeure de la politique appliquée depuis le début avec les Indiens, politique qui prend sa source dans la Proclamation royale de 1763. Cette politique avait été profitable au gouvernement ailleurs au Canada (dans les régions depuis plus longtemps sous le régime du Dominion du Canada) où les guerres avec les Indiens, si fréquentes aux états-Unis, avaient été évitées.

Dans les traités de cession des terres conclus entre la Couronne et divers groupes d'Indiens au Canada, on reconnaissait implicitement les droits de ces Indiens sur les terres occupées par eux. Bien que ces droits n'aient pas été définis, ils étaient clairement considérés par le gouvernement comme des droits inférieurs aux droits de propriété. Le but fondamental du traité de cession des terres était d'éteindre les droits des Indiens sur un secteur donné afin d'éliminer tout obstacle aux prétentions de la Couronne sur ces terres. En outre, le traité avait pour effet de fournir aux Indiens une certaine protection contre les répercussions de la colonisation et une aide dans l'adaptation à un nouveau mode de vie, alors que le mode de vie ancestral devenait de moins en moins possible.

En 1870, les traités les plus récents étaient les traités Robinson de 1850. Du point de vue du gouvernement, ces traités réalisaient l'extinction des droits des Indiens sur la région décrite dans ces documents contre octroi aux Indiens de certains avantages énumérés. Outre des réserves, les Indiens concernés par les traités Robinson se sont vus accorder une gratification initiale en espèces, une annuité en espèces et devaient jouir du privilège "de se livrer à leurs occupations ordinaires de la chasse et de la pêche dans l'étendue de pays cédée", conformément à leurs habitudes ancestrales, sauf en ce qui concerne les terres vendues ou cédées à bail et occupées par la suite.

Le gouvernement voulait que les traités numérotés conclus dans l'Ouest canadien soient semblables sinon identiques aux traités Robinson, et ils l'ont été quant aux principes essentiels. Cependant, au cours des négociations, les Indiens de l'Ouest ont pu étendre la portée de leurs traités pour prévoir la création d'écoles et la prestation d'une aide dans le secteur agricole, en plus de l'addition d'autres clauses dans certains traités. Ces avantages supplémentaires ont été accordés sur le terrain par les commissaires chargés de négocier les divers traités avec les Indiens. Les documents disponibles nous portent à croire que les modifications au traité de base prévu ont été apportées en réponse aux demandes des Indiens, lesquelles sont issues de l'anxiété de ceux-ci concernant leurs terres et leurs moyens d'existence. Les propos des Indiens sur ces questions, qui nous sont parvenus par l'intermédiaire des observateurs européens avant la conclusion des traités, concordent avec la nature des demandes des Indiens faites au cours des négociations relatives aux divers traités et consignées dans les rapports. Les Indiens craignaient de perdre leurs terres aux mains des colons et s'interrogeaient sur leur capacité d'assurer leur subsistance, compte tenu de la diminution du gibier. Tout en essayant de conserver un certain contrôle sur leurs terres, les Indiens ont également voulu obtenir des garanties d'aide pour le cas où la colonisation et le développement détruiraient leurs ressources traditionnelles.

Les Indiens d'aujourd'hui qui sont concernés par les traités prennent au sérieux l'esprit dans lequel ces traités leur ont tout d'abord été présentés. Ils considèrent ces traités comme des documents clefs définissant leurs rapports avec le gouvernement et avec les autres Canadiens, aussi valables aujourd'hui qu'au jour de leur signature. S'ils ne considèrent pas les traités comme des vestiges du passé purement et simplement, ils savent qu'ils sont le produit d'une évolution historique et qu'ils ne peuvent être dissociés du contexte historique qui les a créés.

Signature du traité no. 4

En 1873, après la signature des trois premiers traités dans l'Ouest, tout était prêt pour la construction d'une route vers le Nord-Ouest et pour l'établissement de colons sur une faible étendue du territoire nouvellement acquis. Du point de vue du gouvernement d'Ottawa, la situation était parfaitement satisfaisante. La construction d'une voie ferrée vers l'Ouest n'était pas encore commencée et l'établissement massif de colons dans les secteurs situés au-delà des zones déjà concernées par les traités n'était pas prévu à court terme. La politique appliquée consistait à ne conclure de traités que lorsque l'on avait besoin de terres.

Il est probable que cette politique convenait aux politiciens désireux de maintenir un faible niveau de dépenses jusqu' à ce que les dépenses s'accompagnent de revenus, mais elle ne tenait aucun compte des besoins ni du sentiment d'insécurité de la population autochtone. Les Indiens et les Métis étaient déjà inquiets de la diminution de la faune dont dépendait leur subsistance. En outre, ils savaient que des traités avaient été conclus avec les Indiens de la partie sud-est du territoire et se demandaient pourquoi on n'en avait pas conclu avec eux aussi. Les traités leur étaient présentés comme garantissant la protection de la reine contre la perte de leurs terres et de leurs moyens d'existence, perte qui était justement leur principale appréhension.

Les autochtones étaient également conscients des conséquences de la construction du chemin de fer et de la colonisation sur les Indiens des états-Unis. Ces Indiens avaient perdu leurs terres, leurs moyens d'existence et très souvent leur vie aussi. Au moment où l'Ouest commençait seulement à voir venir la colonisation en provenance de l'est du Canada, les nations indiennes de l'Ouest canadien subissaient déjà l'influence des pires éléments du commerce frontalier avec les états-Unis. Les commerçants américains tenaient des postes fortifiés en sol canadien et se livraient à un commerce illégal d'armes et de boissons alcoolisées avec les Indiens. En 1872, Alexander Morris fut nommé lieutenant-gouverneur du Manitoba et aussi des Territoires du Nord-Ouest.Note de bas de page 2

Pendant l'été 1873, après avoir conclu avec succès le traité no. 3 avec les Saulteux vivant dans la zone située entre la province du Manitoba et la partie supérieur des Grands lacs, il essaye sans succès de convaincre les ministres d'Ottawa de la nécessité de conclure immédiatement des traités avec les tribus de l'Ouest. Renseigné par ses informateurs dans l'Ouest, il connaissait les causes d'agitation dans cette région. Il voyait deux solutions au problème : conclure des traités avec les Indiens de l'Ouest et envoyer sur place la Gendarmerie montée du Nord-ouest tel que proposé pour chasser les commerçants se livrant à des activités illégales et pour assurer la paix. Pendant l'été 1873, Morris essaya à plusieurs reprises d'obtenir du gouvernement qu'il autorise la conclusion de traités avec les Cris, les Saulteux et les Assiniboines des Prairies vivant dans les zones situées à l'ouest du secteur couvert par le traité no. 2 et qu'il dépêche sur place la Gendarmerie montée du Nord-ouest avant l'hiver. Ses exhortations concernant la Gendarmerie ont été écoutées à temps pour que soit logé un petit détachement de la Gendarmerie à Fort Garry (partie inférieure), cet automne-là, avec mission de se rendre dans le Nord-Ouest l'année suivante. Cependant, Morris n'eut pas autant de succès avec sa recommandation pour que des traités soient signés : on l'informa qu'on ne négocierait plus de traités cette année-là.

Morris ne se laissa pas décourager par ce refus. Dès son retour à Winnipeg et après avoir fait part de la signature d'un traité no. 3 conforme aux espérances, il écrivait de nouveau à Ottawa pour donner des nouvelles fraîches des difficultés éprouvées dans l'Ouest. Une bataille avait eu lieu entre les Bloods et des Cris, qui s'était soldée par des pertes de vie considérables. On s'attendait à d'autres escarmouches. Il informa le ministre de l'Intérieur Alexander Campbell qu'il regrettait que les traités proposés par lui n'aient pas été signés.Note de bas de page 3

Peu après la lettre de Morris, le gouvernement de Sir John A. Macdonald tomba et fut remplacé par celui d'Alexander Mackenzie. Presque tout de suite, Morris écrivait au nouveau ministre de l'Intérieur David Laird et l'invita à prendre connaissance de ses dépêches antérieures qui, disait-il, le renseigneraient sur ce qu'il pense de l'avenir du Nord-Ouest et du problème indien dont la solution est capitale pour l'avenir de cette région du Canada.Note de bas de page 4 Le mois suivant, il rappela à Laird qu'il avait déjà recommandé le conclusion de traités avec les Indiens vivant entre Fort Ellice et les fourches de la Saskatchewan.

Les Indiens de la région de la Saskatchewan étaient dérangés par diverses intrusions dans leur territoire avant la conclusion de tout traité avec eux. Les Métis et les colons blancs s'étaient emparés de terres dans la vallée de la Saskatchewan. La Commission d'établissement de la frontière Canada/états-Unis progressait vers l'Ouest, le long de la frontière entre les deux pays. Elle était encore à l'oeuvre à l'été de 1874 lorsque la Gendarmerie cantonnée à Fort Garry se mit en route vers l'Ouest. Morris eut vent par l'un de ses correspondants d'un autre motif de mécontentement : l'arpentage des réserves de la Compagnie de la baie d'Hudson dans le voisinage des postes de traite de fourrures. Morris allait avoir l'occasion d'en apprendre davantage à l'occasion des négociations relatives au traité no. 4. Le même correspondant indiqua l'existence du problème causé par la diminution de la population de bisons et par le nombre de chasseurs toujours plus élevé d'année en année. Il y avait risque de famine chez les Indiens.

Le 15 mars, Morris avait écrit au Premier ministre que, selon lui, il fallait faire quelque chose concernant le Nord-Ouest, au cours de l'été qui s'annonçait. Selon Morris, il fallait conclure des traités et il s'engageait à faire parvenir au Premier ministre un compte rendu détaillé du Conseil relativement à la région visée. Il lui fut répondu que la question du traité à conclure avec les Indiens allait être examinée dès après la fin de la session parlementaire. Néanmoins, Morris continua de soulever la question des traités dans ses dépêches à Ottawa.Note de bas de page 5

Morris se préoccupait particulièrement de l'influence des Métis sur les Indiens. Lors des négociations relatives au traité no. 3, l'influence des Métis avait été considérée comme cruciale. Ayant eu vent que les Métis allaient essayer d'empêcher la conclusion d'un traité, Morris était intervenue en recourant aux services d'un intermédiaire et l'interférence prévue ne s'était pas produite. Or, comme les Métis de la Saskatchewan étaient considérablement inquiets pour leurs terres et leur gouvernement local, Morris craignit leur influence sur les Indiens. Morris s'était laissé dire que les Métis avaient exigé que leurs problèmes soient réglés d'abord. Heureusement, de dire Morris, les Métis des montagnes Rocheuses et du littoral sont bien disposés, mais dans la région de Qu'Appelle ils l'étaient moinsNote de bas de page 6

En juin, Morris a acheminé à Laird un rapport établi par John McKay de Prince-Albert que Morris décrit comme un homme très fiable. McKay y informait Morris que la majorité des Indiens voulait une forme quelconque d'entente pour l'avenir, que certains Cris des Plaines seulement avait été influencés négativement par les Métis de St-Laurent et de Qu'Appelle. McKay recommandait la conclusion de traités avec les Indiens avant l'arrivée de la Gendarmerie ou, à défaut, l'envoi de messagers choisis avec soin qui précéderaient la Gendarmerie pour expliquer aux Indiens la raison de la venue de celle-ci, sans quoi les Indiens penseraient que leurs terres allaient leur être enlevées sans compensation. Selon McKay, il y aurait toujours du danger tant que des traités ne seraient pas conclus et la loi et l'ordre, établis.

À l'été 1874, il ne semblait pas exister d'intention de conclure de traité concernantle nord jusqu' à Prince-Albert. Morris concentra son attention sur la région de Qu'Appelle. À la mi-mai, il apprit d'un messager indien que les Indiens de la région de Qu'Appelle voulaient qu'un traité soit conclu avec eux. Morris écrivit au Premier ministre en disant que c'était dans ce secteur que des Métis avaient montré du mécontentement, éprouvé de la sympathie pour la cause de Riel et demandé l'exclusion des colons.Note de bas de page 7 Il ajouta qu'il lui semblait important pour bien des raisons qu'un traité soit conclu avec ces Indiens.Note de bas de page 8 C'est avec plaisir que Morris apprit l'adoption de sa recommandation. Il écrivait qu'il était heureux d'apprendre que le gouvernement avait prévu une certaine somme aux fins du traité à conclure à l'été même, traité qui allait s'étendre à la région des lacs Qu'Appelle et revêtir une grande importance par ses effets bénéfiques sur le Nord-Ouest.Note de bas de page 9 La région visée par le traité est généralement la partie sud de l'actuelle province de la Saskatchewan faite de terre arable. Les frontières provinciales n'existaient pas avant 1905, c'est pourquoi les données de localisation relatives aux traités conclus dans l'Ouest ne coïncidant pas avec elles.Note de bas de page 10

Après s'être entendu sur une date et sur la zone visée par le traité, le choix des négociateurs pour le compte du gouvernement a donné lieu à un échange de correspondance considérable. Morris se déclara opposé à la nomination de personnes appartenant à la Compagnie de la baie d'Hudson.Note de bas de page 11 Il estimait qu'il était important de bien marquer la différence entre le gouvernement et la compagnie. La suite des événements prouva la sagesse de sa position.

Cependant, W. J. Christie, à la désignation duquel Morris s'était montré opposé pour la raison indiquée, fut nommé commissaire.Note de bas de page 12 Morris se dit bien prêt à aller négocier au nom du gouvernement, sauf qu'il avait une rencontre avec le corps législatif prévue pour le 5 juillet. Il pensait être libre pour la mi-août, advenant que les négociations relatives aux traités soient reportées à ce moment.Note de bas de page 13 La date du début des négociations fut finalement fixée à une date bien ultérieure et Morris y participa à titre de négociateur principal, de concert avec Laird lui-même, Morris ayant suggéré précédemment qu'un ou plusieurs membres du Cabinet soient présents aux négociations.Note de bas de page 14

Bien que l'étendue du territoire à couvrir par un traité ait été l'objet d'un échange de correspondance, il n'existe rien qui prouve que Morris ait reçu des instructions détaillées d'Ottawa concernant les conditions mêmes du traité. Nous savons que, avant le début des négociations relatives au traité no. 6 deux ans plus tard, il ne reçut aucune instruction précise quant aux conditions, mais, à ce moment, il était un négociateur expérimenté pour avoir participé aux négociations des trois traités précédents. En 1874, il avait seulement participé aux négociations du traité no. 3. Cependant, le ministre de l'Intérieur faisait partie du comité de négociation, ce qui peut expliquer l'absence apparents d'instructions.Note de bas de page 15

Une fois terminés tous les préparatifs, les commissaires (Morris, Laird et Christie) arrivèrent à Fort Qu'Appelle le 8 septembre 1874 avec une escorte de soldats sous le commandement du Lt-Col Osborne Smith. Il avait d'abord été convenu entre eux que Morris servirait de porte-parole à cause de sa fonction de lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest et parce qu'il avait déjà négocié le traité no. 3 l'année d'avant.

Les Indiens visés par le traité étaient les Cris, les Saulteux et les Assiniboines. Les dissensions qui existaient au sein de ces tribus les divisèrent partiellement sur des questions d'ordre tribalNote de bas de page 16, ce qui se traduisait par des demandes d'ajournement et des délais, et par la difficulté de nommer un porte-parole pour les Indiens. Après l'arrivée des commissaires et la convocation à l'assemblée, La Voix Haute indiqua que les Indiens n'étaient pas prêts.Note de bas de page 17 Il dit ignorer qui allait parler en leur nom et demanda un délai d'une journée pour pouvoir se consulter. Coté, que Morris décrivait comme le principal chef des Saulteux, n'était pas encore arrivé. Un groupe de Saulteux des Collines Cyprès révéla qu'il était sans chef et ne souhaitait pas se joindre au principal contingent des membres de sa nation. Morris refusa de traiter avec eux séparément.

Le lendemain (le 9 septembre), les messagers indiens demandèrent un nouveau délai de deux jours, ce qui fut refusé par les commissaires qui voulaient que la réunion ait lieu comme convenu. Les commissaires rencontrèrent les Cris et les Saulteux ce jour-là et Morris leur parla. Cependant, ils disposèrent ensuite du temps de consultation qu'ils avaient demandé. Lorsqu'ils continuèrent à dire à Morris qu'ils n'étaient pas prêts, celui-ci accepta de reporter la réunion d'une journée et la réunion eut lieu trois jours après leur arrivées, soit le 11 septembre.

Toutefois, Morris n'était pas satisfait de la façon dont les choses se passaient (délais qu'il dût accorder aux Indiens et accueil réservé aux commissaires). Il indiqua que les Cris étaient venus avec leur chef, mais que les Saulteux et leur chef n'étaient pas encore arrivés. Il crut que ceux-ci n'avaient peut-être pas compris que la Reine avait envoyé ses gens pour les rencontrer. Il fit remarquer que les Saulteux et leur chef auraient probablement été insultés s'ils étaient venus à Fort Garry pour le voir et qu'il ne se soit pas montré.Note de bas de page 18

Dans la matinée du 11 septembre, les Saulteux firent dire qu'ils ne pouvaient rencontrer les commissaires ailleurs que dans la tente de leurs propres soldats, soit à environ un mille du campement militaire. Les commissaires refusèrent d'accéder à leur demande. Les Cris, de dire Morris, étaient prêts à se rendre à la réunion, mais ils en étaient empêchés par les Saulteux dont un groupe, disait-il, se montrait agité et était supérieur en nombre.Note de bas de page 19 Un messager fut dépêché pour dire aux Indiens que la réunion devait avoir lieu comme convenu. Donc, en fin d'après-midi, les Cris se présentèrent ayant La Voix Haute pour porte-parole, mais les Saulteux se contentèrent d'envoyer des observateurs. Néanmoins, Morris expliqua aux Cris l'objet de la rencontre et fit ses offres en vue de la conclusion d'un traité, mais, comme les Indiens présents n'étaient pas prêts à répondre sur-le-champ, les commissaires leur demandèrent de retourner dans leurs tentes et de revenir le lendemain les rencontrer.Note de bas de page 20

Lorsqu'il fit ses offres, Morris les présenta comme un message de la part de la reine qui, disait-il, savait que les Indiens étaient pauvres et qu'il était difficile pour eux de trouver à manger. Or, la reine se préoccupait autant de ses enfants autochtones que des autres. À un moment où le poisson se fait rare et le troupeau de bison diminue, d'ajouter Morris, la reine aimerait vous venir en aide et vous aider à trouver des solutions au problème de ravitaillement.Note de bas de page 21

Le lendemain (le 12 septembre), les messagers indiens demandèrent que le camp militaire soit déplacé pour être situé du côté du camp indien et que la tente des négociations soit avancée pour occuper une position à mi-chemin entre le camp indien et la réserve de la Compagnie de la baie d'Hudson.

Renseignements pris, on se rendit compte que les Indiens ne voulaient pas rencontrer les commissaires sur le territoire de la réserve de la Compagnie de la baie d'Hudson où la tente des négociations avait été placée, car, de dire les messagers, les Indiens ne s'y sentiraient pas à l'aise pour parler. À la fin, on s'entendit sur un compromis : la tente des négociations allait être plantée ailleurs que sur le territoire de la Compagnie et plus près du camp indien, mais le campement militaire allait rester là où il était.

Cet après-midi-là, les commissaires présentèrent les conditions du traité qui étaient en fait semblables à celles faites au North-West Angle (Allusion au traité no. 3), sauf que l'on offrait une prime en argent de huit dollars par personne au lieu de douze, comme au North-West Angle.Note de bas de page 22 C'était la deuxième fois que Morris exposait les conditions du traité. Il répéta les conditions, car, pour la première fois il avait devant lui bon nombre d'Indiens.

Cependant, les Indiens refusaient de parler des conditions du traité, se plaignant que quelque chose n'allait pas. Le principal problème venait de la façon dont les Indiens percevaient la Compagnie de la baie d'Hudson. Le reste de la journée fut consacré à ce problème. Le principal porte-parole des Indiens était un homme appelé "Le Joueur" qui s'efforçait d'expliquer à Morris ce qui troublait son peuple. Morris, de son côté, passa le reste de la journée à essayer de comprendre pourquoi les Indiens étaient perturbés au sujet de la Compagnie. Le Joueur fit allusion au récent arpentage des terres allouées à la Compagnie autour des postes de celle-ci, lors du changement de régime. Il parla de la Compagnie comme s'il s'agissait de l'autorité suprême du pays. Il dit que la Compagnie leur avait volé leurs terres, que tous les Indiens savaient combien la Compagnie avait su s'organiser, il y a longtemps, que le système imposé devenait encore plus rigide maintenant et qu'il fallait que quelqu'un le dise. On rapporte qu'un autre Indien, "Pisqua" ou "la Plaine" (Pasqua), a dit assez brutalement que la Compagnie de la baie d'Hudson avait vendu leurs terres pour la somme de £300,000 sterling et que les Indiens voulaient cet argent.Note de bas de page 23

Après ces explications, Le Joueur dit qu'il n'avait plus rien à dire. Comme il était probablement déjà tard, ce samedi-là, la séance fut levée jusqu'au lundi suivant. Le sujet de litige soulevé, qui avait empêché la discussion sur les conditions du traité au cours des premiers jours de rencontre, laisse penser que les renseignements communiqués à Morris selon lesquels la région de Qu'Appelle était un centre d'agitation étaient exacts.

La Compagnie et ses rapports avec la terre semblaient être au coeur des dissensions chez les Indiens et faire obstacle à la conclusion du traité. Morris fit souvent preuve de perspicacité dans la compréhension du point de vue des Indiens, mais devenait impatient en voyant les Indiens persister à ne s'intéresser qu' à la Compagnie. Il ne voyait pas le rapport entre les préoccupations des Indiens au sujet de la Compagnie et ce qu'ils s'apprêtaient à faire en souscrivant au traité. Les indiens percevaient le pays comme le leur, que la Compagnie n'avait pas le droit de vendre. Morris voyait la terre comme appartenant à la reine. Celle-ci avait versé compensation à la Compagnie pour tous les droits que celle-ci détenait et lui cédait, et s'apprêtait maintenant à éteindre de même les droits aborigènes sur ces terres. L'incompréhension fondamentale au sujet de la cession des terres qu'allait entériner le traité n'a jamais été clairement perçue ni abordée dans les discussions relatives au traité no. 4, bien qu'elle sous-entende les débats qui ont absorbé la majeure partie du temps.

Dans son rapport, Morris expliquait sommairement sa compréhension des objections soulevées par les Indiens, disant que :

ceux-ci s'élevaient contre l'arpentage de la réserve pour le compte de la Compagnie de la baie d'Hudson sans avoir été consultés au préalable, qu'ils prétendaient que c'est à eux que les £300,000 de la Compagnie auraient dû être versées et qu'ils ne voulaient pas du commerce de la Compagnie sur le territoire, sauf aux postes de celle-ci. Les commissaires refusèrent de se rendre à ces demandes et expliquèrent aux Indiens comment la Compagnie en était venue à détenir des droits sur la réserve en question ainsi que la nature de la transaction qui a mené au versement par le gouvernement du Canada des £300,000 mentionnées.Note de bas de page 24

Lorsque la rencontre reprit le 14 septembre, Morris prit la parole pour presser les Indiens de se décider à conclure un traité. Coté et La Voix Haute lui dirent que Le Joueur allait parler tout d'abord. Celui-ci retourna au sujet débattu antérieurement, soit la Compagnie de la baie d'Hudson. Il dit que ce représentant de la Compagnie dont il était question, lui-même ne le haïssait pas, qu'il l'aimant toujours autant qu'il l'aimait précédemment, souhaitant être aimé de lui de la même façon maintenant qu'avant, et qu'il souhaitait que la Compagnie conserve les mêmes activités qu'avant.Note de bas de page 25

Les paroles de cet Indien ne nous parviennent qu'à travers une traduction dont nous ne savons pas si elle est fidèle. Parlant dans sa propre langue, les propos du Joueur ne sonnaient certainement pas comme l'anglais haché de la traduction. Si nous essayons de percevoir la signification probable de ces propos par delà leur traduction littérale, le Joueur semble demander qu'on n'amorce pas les négociations relatives au traité à partir de l'hypothèse de la vente de leur pays à la Couronne par la Compagnie. Il demande que son désir soit inscrit dans le traité, voulant probablement qu'on en fasse une clause du traité. Il semblait dire que les Indiens voulaient que la Compagnie s'en tienne à ses postes et n'aille pas au-delà, que lorsqu'il y aura eu entente écrite là-dessus, alors on pourra passer à autre chose.

Morris prit les propos du Joueur dans leur traduction littérale, ne faisant pas le lien entre eux et l'établissement du traité. Il indiqua qu'il leur avait déjà dit qu'il n'avait rien à voir avec la Compagnie et que celle-ci avait le droit de faire du commerce. Le Joueur dit qu'il ne voulait pas exclure la Compagnie. En fait, les Indiens ne voulaient pas chasser la Compagnie sans laquelle ils ne pouvaient commercer. Morris essayait d'expliquer que la Compagnie ne dirigeait plus les destinées de la région comme elle l'avait déjà fait, que la Reine allait dorénavant faire les lois et que la Compagnie allait devoir observer ces lois au même titre que ses autres sujets.

C'est à ce moment que La Voix Haute dit à Morris que les Cris et les Saulteux n'étaient pas d'accord entre eux. Il dit qu'il s'efforçais de rallier les suffrages et que, pour ce faire, il avait besoin d'une autre journée. Coté, le chef des Saulteux de Fort Pelly, demanda à retourner chez lui, sur ses terres, pour y négocier le traité.Note de bas de page 26 Morris leur demanda s'ils avaient essayé de s'entendre. Il souligna les conséquences d'un échec aux négociations liées au traité, disant que la reine et ses conseillers pourraient croire que les Indiens ne veulent pas être amis, qu'ils ne veulent pas que leurs enfants s'instruisent, qu'ils ne veulent pas que, en cas de disette, quelqu'un dont les moyens sont supérieurs aux leurs leur vienne en aide. Il dit espérer que les Indiens ne refusent pas l'aide qui s'offre au nom de questions aussi futiles que celles qui se rapportent à la Compagnie sans laquelle ils disent ne pas pouvoir vivre.Note de bas de page 27 Il leur accorda ensuite de délai demandé dans l'espoir d'une nouvelle rencontre où ils puissent en arriver à discuter du traité proprement dit.

Morris décrivit les dissensions chez les Indiens réunis à Qu'Appelle en disant que :

les Cris étaient dès le point de départ prêts à s'engager dans la négociation d'un traité, comme d'ailleurs les Saulteux de Fort Pelly, mais que les Saulteux du district de Qu'Appelle n'y étaient pas disposés et tentaient d'exercer des pressions par la force sur les autres Indiens.

Morris poursuivit sa description en ajoutant que :

Les chefs La Voix Haute et Coté étaient tenus sous étroite surveillance par les Saulteux du district de Qu'Appelle, qu'ils étaient confinés dans leur tente ou surveillés par des "soldats" et menacés de représailles s'il leur arrivait de nous faire des ouvertures de négociations.

Morris ajouta que :

les Saulteux étaient allés jusqu'à abattre au couteau une tente sur la tête de l'un des chefs cris et se conduisirent de telle façon que La Voix Haute fit appel aux commissaires pour assurer leur protection, et que les Cris firent l'acquisition de couteaux et s'armèrent.Note de bas de page 28

Morris raconta encore que les Saulteux postèrent six soldats armés dans la tente des négociations pour intimider les autres Indiens, mais que cette mesure avait été contrée par le Col. Smith qui posta lui aussi six militaires dans la tente.

A cet égard, Morris souligna que :

Les événements prouvaient le bien-fondé de la mesure de précaution prise par les commissaires, soit l'obtention d'une escorte militaire, car la présence des militaires exerça une influence morale considérable, Morris se disant persuadé qu'elle avait empêché la jalousie et l'ancienne rivalité entre les Cris et les Saulteux de dégénérer en actes de violence.Note de bas de page 29

Lors de la rencontre suivante, le 15 septembre, Morris dit qu'il désirait entendre ce qu'ils avaient à lui dire. Pour répondre aux Indiens qui s'inquiétaient du sort de leurs frères absents en grand nombre, Morris les rassura en disant que les Indiens présents étaient les porte-parole des Indiens absents qui allaient recevoir le même traitement que les Indiens présents. Ceux-ci interrogèrent Morris sur la bienveillance et sur l'étendue du pouvoir de la reine ainsi que sur l'utilité pour les générations futures de ce qui allait leur être accordé en vertu du traité. Les questions des Indiens furent émouvantes. Morris les assura que le pouvoir de la reine était absolu dans le temps et que ce pouvoir les assisterait eux et leurs descendants.Note de bas de page 30

En dépit du profond désaccord observé chez les bandes indiennes présentes, on finit par s'entendre sur les conditions du traité. "Cependant, d'expliquer Morris, les Cris avaient décidé de négocier avec nous isolément." Ce que voyant, les Saulteux en firent autant. Après une entrevue prolongée, les Indiens demandèrent les mêmes conditions que celles négociées au North West Angle. Les commissaires se rendirent à cette demande estimant que c'était là le mieux qu'ils puissent faire dans les circonstances.Note de bas de page 31

Il est étrange que Morris ait dit que les commissaires avaient accordé les mêmes conditions que celles négociées pour le traité no. 3, persuadés qu'ils étaient de ne pouvoir conclure de traité autrement.Note de bas de page 32 Morris, en effet, avait déjà offert aux Indiens des conditions qu'il décrivait comme semblables à celles du traité no. 3.Note de bas de page 33

La question suivante posée par les Indiens semble elle aussi étrange. Après avoir demandé les mêmes conditions que celles négociées pour le traité no. 3, les chefs demandèrent ensuite aux commissaires ce qu'étaient ces conditions. Il est très probable que ce n'était pas l'ignorance de ces conditions qui était à la base de la question des chefs, mais le désir d'ouvrir ainsi la voie à la négociation. Ils demandèrent immédiatement que toutes leurs dettes auprès de la Compagnie de la baie d'Hudson soient liquidées et que leur annuité s'éleve à quinze dollars par personne. Ces demandes furent refusées et les commissaires informèrent les Indiens que les offres étaient finales et ne pouvaient être modifiées.Note de bas de page 34 Les chefs terminèrent en demandant que les Métis soient autorisés à chasser; ils reçurent l'assurance que la population de Nord-Ouest allait être traitée équitablement.Note de bas de page 35

Une fois les conditions du traité expliquées aux Indiens par l'interprète, le traité fut signé par les commissaires et les chefs.Note de bas de page 36 Morris fit observer que, selon lui, la population Métisse était en général favorable à la conclusion du traité et usa de son influence sur les Indiens avec lesquels elle était en rapport dans le sens de la conclusion du traité.Note de bas de page 37 Christie et M. G. Dickieson, le secrétaire de Laird, restèrent sur place pour effectuer les paiements et distribuer les cadeaux.

Morris et Laird reprirent la route vers Fort Ellice afin de rallier au traité no. 4 une bande de Saulteux restée chez elle au lieu de se rendre à Qu'Appelle. Cette bande occupait un territoire situé en partie dans la zone couverte par le traité no. 4 et en partie dans la zone couverte par le traité no. 2, mais n'avait pas souscrit au traité no. 2. On pensait donc peu probable que la bande accepte de se satisfaire des conditions moins favorables du traité no. 2.Note de bas de page 38

Comme pour les autres traités, on a continué à recueillir d'adhésion des bandes qui avaient tout d'abord rejeté le traité ou qui n'avaient pas assisté aux négociations. Un grand nombre d'adhésions survinrent l'année suivante (1875), lorsque Christie et Dickieson se rendirent dans la région couverte par le traité no. 4 pour verser les annuités prévues. Ils réussirent à obtenir l'adhésion au traité de six autres chefs saulteux et assiniboines. La plupart des Assiniboines étaient absents aux négociations de 1874 et ne se rallièrent au traité qu'à la fin des années 1870.Note de bas de page 39

Interprétation du traité no. 4

Bien que le modèle de la conclusion de traités créé à l'occasion des sept traités numérotés conclus dans l'Ouest dans les années 1870 se retrouve sensiblement d'un traité à l'autre, chaque traité a également eu ses caractéristiques propres. La conclusion du traité no. 4 n'a pas joui du même décorum que certains autres traités.Note de bas de page 40 En outre, la question des terres y a été traitée comme nulle part ailleurs. Contrairement à ce qui se trouve dans les comptes rendus des négociations relatives à la plupart des autres traités,on lit au sujet du traité no. 4 que Morris a dit dès le premier jour aux Indiens réunis à Qu'Appelle qu'il était venu pour leur parler des terres.Note de bas de page 41 Ce sujet n'était habituellement pas soulevé du tout par les commissaires chargés de la négociation des traités, bien que la cession des terres soit la principale clause de chaque traité et le principal objet du traité conçu par le gouvernement. Cependant, avant que Morris ait pu placer un mot encore, les Indiens ont abordé les questions qui les préoccupaient concernant les terres par rapport aux événements survenus peu de temps avant, qui mettaient en cause la compagnie de la baie d'Hudson.

Morris aurait pu profiter de l'occasion pour leur expliquer ce qu'on voulait dire par les droits des Indiens sur les terres et par l'extinction de ces droits par la signature d'un traité. Il ne l'a pas fait. Lorsque les Indiens ont voulu continuer à parler du rôle de la compagnie et de ses rapports avec la terre, Morris est devenu impatient et leur a dit brutalement que les terres étaient la propriété de la Reine par la volonté du Grand Esprit.Note de bas de page 42 Cette déclaration péremptoire avait pour but de clore toute discussion au sujet de l'entente avec la Compagnie concernant le territoire sur lequel les Indiens estimaient avoir des droits plus que quiconque. Cependant, les Indiens n'étaient pas prêts à discuter des conditions précises d'une entente sans en connaître plus long sur les événements qui avaient eu lieu et sur leur signification. Ces événements récents les avaient bouleversées et avaient semé la confusion dans leur esprit.

À partir de 1840, l'ancien rapport symbiotique entre les Indiens et les commerçants avait cessé d'exister. Les routes et moyens de transport nouveaux et l'accroissement des commerçants indépendants changeaient les rapports entre les gens. En outre, la Compagnie de la baie d'Hudson passa en 1863 aux main d'un consortium :

Les directeurs dont les liens avec le commerce des fourrures remontaient à plusieurs générations et qui comprenaient la nature des rapports établis depuis toujours avec les Indiens étaient parties. Ils avaient été remplacés par des hommes qui, même bien intentionnés, s'intéressaient aux profits pouvant découler de la colonisation plutôt qu'aux profits provenant de la traite des fourrures. Les agissements de ces hommes ont modifié le climat dans l'Ouest vers la fin de la décennie 1860 et ont été une source d'amertume chez beaucoup d'Indiens qui avaient le sentiment d'avoir été trahis.Note de bas de page 43

Tant que la Compagnie de la baie d'Hudson s'adonnait au commerce avec la collaboration des Indiens, les terres n'ont jamais été une source de conflit majeur. Or, la Compagnie avait fait le projet de vendre la totalité du territoire au gouvernement du Canada et avait commencé à faire arpenter les réserves autour des postes de traite comme si ces réserves leur appartenaient, sans se préoccuper des Indiens.

Les dirigeants indiens devaient essayer de comprendre où ils se situaient par rapport à la Compagnie, en particulier sur la question des terres, avant de pouvoir conclure une entente avec la Couronne sur cette même question. Rien ne permet de croire que la question a été correctement posée et clarifiée avant la signature du traité. Comme on l'a vu, Morris considérait que les questions se rapportant à la Compagnie faisaient obstacle à sa réelle mission qui consistait à discuter des conditions du traité dans le détail. Il avait hâte de passer aux négociations proprement dites au lieu de passer des jours à discuter de ce qu'il considérait comme des questions non pertinentes. Il ne semblait pas saisir les sources d'inquiétude plus profondes qui se cachaient derrière les questions des dirigeants indiens au sujet de la Compagnie. Par conséquent, ses réponses étaient sans nuances et se limitaient à la portée littérale des questions plutôt qu' à leur sens réel plus large.

Discuter d'un sujet aussi difficile par l'intermédiaire d'interprètes et, de surcroît, à travers le prisme d'une culture qui leur était étrangère a dû être extrêmement frustrant pour les participants indiens aux négociations comme pour Morris. Les tentatives d'un groupe d'Indiens pour en intimider un autre, relatées par Morris, laissent penser qu'il n'a jamais existé de consensus chez les Indiens avant que ceux-ci ne soient forcés de se prononcer pour ou contre la signature d'un traité. À plus d'une reprise, Morris leur fit comprendre qu'il avait peu de temps et que, s'ils ne pouvaient parvenir à une entente, il allait devoir les quitter sans conclure de traité.

Morris était pressé de passer à l'explication des avantages à retirer de la conclusion d'un traité. À toutes les rencontres de négociation, les commissaires ont procédé de cette façon. Parfois, les discussions portaient presque exclusivement sur les avantages de conclure un traité. Cependant, il est arrivé que les Indiens aient effectivement soulevé la question de la propriété des terres. À Qu'Appelle, ils ont abordé le sujet indirectement par leurs questions concernant la Compagnie de la baie d'Hudson. Suite à la persévérance des Indiens de Qu'Appelle à vouloir discuter des questions qui les préoccupaient, relativement peu de temps et d'attention ont été consacrés à la discussion des conditions réelles du traité. Les conditions du traité no. 3 ont été acceptées sans grand changement.

Les Indiens d'aujourd'hui et les associations qu'ils ont formées ont remis en question la signification des traités. Ils font souvent remarquer que les Indiens qui ont signé les traités et les commissaires avaient une conception différente de ce qu'ils faisaient et de quoi ils s'étaient entendus. Des divergences de vue et des malentendus peuvent facilement surgir entre gens de langue et de culture différentes qui tentent conclure des ententes pour parer à une situation future dont nul ne peut prévoir avec exactitude ce qu'elle sera. La façon dont les traités furent conclus rend plus probable les malentendus et divergences de vue. Des ententes qui nécessiteraient des années de mise au point, aujourd'hui, ont été conclues en quelques jours et sans grand préavis. Les traités dans l'Ouest reposaient sur des traités antérieurs dont on ne voulait pas s'écarter, sauf sur des points mineurs et seulement en cas de nécessité. Cette approche excluait toute souplesse dans les discussions et a rendu non pertinentes bien des questions sur lesquelles les Indiens voulaient s'attarder avec les commissaires.

Quant on examine ce qui s'est passé, on a l'impression que les commissaires disposaient d'une faible marge de manoeuvre concernant ce qui pouvait réellement être accordé aux Indiens; on a l'impression que les commissaires estimaient que les procédés utilisés étaient justifiés pour autant qu'on s'occupait des Indiens correctement et avec intégrité suivant la conscience de l'époque. Il va sans dire que, compte tenu de la perception que nous avons aujourd'hui de ce qui s'est passé, les signataires indiens n'avaient pas tellement le choix et encore moins la possibilité de se faire conseiller adéquatement. Dans les circonstances, qu'il y ait un décalage entre ce que les signataires croyaient obtenir et ce qui est réellement prévu dans le traité est compréhensible et que ce décalage devienne encore plus important à mesure que l'instruction et le militantisme augmentent est inévitable.Note de bas de page 44

Les associations indiennes ont remis en question la nature absolue et permanente de la cession des terres décrite dans les traités. D'après les comptes rendus, on n'a rien dit de la cession des terres à Qu'Appelle bien qu'il s'agisse de la principale clause du traité, du point de vue du gouvernement. La fédération des Indiens de la Saskatchewan, dans son ouvrage sur l'interprétation du traité no. 4 par les anciens, a constaté que les anciens de l'endroit croyaient que leurs ancêtres n'avaient fait qu'une cession limitée de leurs terres plutôt qu'une cession absolue et à perpétuité comme il est dit dans le traité.

C'est en considérant la façon dont les anciens comprenaient leurs droits à l'égard de la faune, les droits à l'exploitation du sous-sol et la condition de la terre y compris de l'eau non utilisées pour l'agriculture que ressort le mieux la différence entre les deux interprétations de la cession des ressources/des terres.Note de bas de page 45

Les Indiens voulaient aussi conserver leur statut de nation autochtone qui remonte à une époque antérieure à l'arrivée des Européens. Les Indiens font cependant certains concessions à cet égard, car ils se perçoivent également comme des citoyens canadiens. Ils estiment que leurs deux appartenances ne s'excluent pas forcément l'une l'autre. Ils ne voient pas les traités comme des instruments qui leur enlèvent leur appartenance à la nation indigène, mais plutôt comme des garanties de leur autonomie en tant que nation. C'est la façon dont Walter Gordon a interprété l'engagement contenu dans les traités de maintenir un bon gouvernement pour le bien des Indiens.Note de bas de page 46

Les Indiens qui rencontrèrent les commissaires à Qu'Appelle ou ailleurs étaient représentés par des bandes. Rassemblés par tribu et par affinité de langue et de culture, les Indiens constituaient une nation distincte dont la structure politique différait toutefois de celle des nations européennes. Les traités reconnaissaient et confirmaient l'existence de corps politiques indiens avec lesquels des ententes étaient conclues, bien que les Indiens soient également considérés comme des sujets de la Reine. Les Indiens croient que leur condition de sujet britannique a été par la suite accentuée au détriment de leur appartenance à la nation indienne et ils veulent rétablir un certain équilibre à cet égard.

Les Indiens se sont engagés dans une entente politique avec la Couronne qui leur permettait de vivre leur appartenance à la nation indienne à perpétuité, c'est-à-dire qu'ils conservaient les pouvoirs qui étaient les leurs. Cette assurance a été donnée par un commissaire.

Ce qui je vous offre, disait le commissaire, ne vous enlève pas votre mode de vie : vous le conserverez. Ce que je vous offre s'ajoutera à ce que vous avez déjà.Note de bas de page 47

L'interprétation donnée par les Indiens semble tirée par les cheveux à quiconque ne lit que le texte du traité. L'écart observé dans l'interprétation de part et d'autre vient partiellement d'une compréhension différente ou d'un point de départ différent de part et d'autre quant à la nature et à l'objet du traité. Un professeur de droit a récemment expliqué l'écart d'interprétation en comparant les différences qu'il relevait dans la compréhension de chaque partie concernant le but des traités. Ces différences semblaient s'appliquer en 1974 autant qu'aujourd'hui.

Le gouvernement tient à une entente finale et à l'extinction des droits aborigènes sur les terres et les ressources; les autochtones cherchent un nouveau "contrat social" avec les non-autochtones ainsi que la reconnaissance et la confirmation de leurs droits et privilèges aborigènes.Note de bas de page 48

En outre, les Indiens interprètent les traités dans leur contexte historique, à la lumière de leur propre culture en tenant compte des termes employés par les commissaires ainsi que du texte des traités. Ils soutiennent que la signification des traités ne peut être puisée dans le texte seul. Les Indiens qui ont signé les traités n'étaient pas des gens instruits. Le fait a été reconnu au moment de la signature de ces traités. Les traités, disent-ils doivent être replacés dans le contexte plus vaste du symbolisme utilisé à ce moment et des paroles des commissaires, tout en tenant compte de la langue et de la culture indiennes.

Les traités ne doivent pas non plus rester figés dans le moule du dix-neuvième siècle qui les a vus naître. Ils ont été conçus pour être appliqués à perpétuité et doivent donc être assez souples pour s'adapter aux circonstances qui changentNote de bas de page 49, à défaut de quoi ils deviendraient une parodie des promesses verbales faites au nom de la Reine au moment des négociations relatives aux traités. Une nouvelle interprétation de ces traités s'impose à chaque période de l'histoire si l'on veut que ces traités restent fidèles à l'esprit et aux conditions des premiers traités.

Bibliographie

Principales sources :

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Archives publiques du Manitoba : Correspondance de Morris.

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Stanley, George F.G. The Birth of Western Canada: a history of the Riel rebellions. Toronto : Presses de l'Université de Toronto, 1961.

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